Avel Gornog
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Pendant
l'occupation allemande, les actions de résistance sont nombreuses
en Presqu'île de Crozon.
Il s'agit d'actes isolés ou d'opérations préparées
par des groupes organisés. Des véhicules réquisitionnés
par les Allemands sont détruits ; des câbles téléphoniques,
souvent posés à même le sol, sont très fréquemment
coupés et la voie ferrée endommagée. (1)
Les occupants prennent des mesures de répression individuelles
ou collectives : réquisition d'hommes pour des, gardes diurnes
et nocturnes, arrestations et sanctions diverses. Ainsi, à la
fin de l'année 1941, des câbles ayant été
sectionnés à trois reprises sur son territoire, la commune
de Crozon se voit lourdement punie.
Elle est contrainte, par ordre de la Feldkommandantur de Quimper, de
« consigner entre les mains des autorités allemandes, (...)
une somme de 60 000 francs à titre de garantie contre de nouveaux
actes de sabotage ». (2) Cependant, ni les
mesures coercitives, ni les efforts de toute nature demandés
à une population éprouvée par les années
de guerre, n'empêchent la poursuite des actions de résistance.
Juin 1944
Le Débarquement a eu lieu le 6 sur les côtes de Normandie.
L'avance rapide des troupes alliées et la perspective des combats
à venir dans la Presqu'île rendent les occupants plus nerveux.
Sur ordre du groupement de résistance de Douarnenez, divers actes
de sabotage sont entrepris, notamment sur la voie ferrée Châteaulin
- Camaret et sur des câbles de transmission souterrains reliant
la presqu'île de Crozon au Cap Sizun, qui sont sectionnés
en divers endroits.
Mais si, pour la Résistance, comme l'écrit le colonel
F.F.I. Philippot, (3) « les résultats
sont excellents », les représailles allemandes sont, cette
fois, exceptionnellement dramatiques pour les populations locales.
Crozon
La Rafle
Dans la matinée du vendredi 30 juin, des policiers et des soldats
allemands bloquent toutes les routes d'accès au bourg de Crozon.
Quelles que soient les raisons de leur déplacement, toutes les
personnes qui se présentent sont automatiquement arrêtées.
Les feldgendarmes les regroupent à proximité, hors de
la vue des nouveaux arrivants :
près du « Doué de Saint-Pierre », à
Keramprovost, sur la route entre Morgat et Crozon ; aux abords du moulin
du Crénoc sur la route de Dinan ; ceux qui montent la côte
de Saint-Jean, sur la route venant du Fret, sont parqués dans
une carrière proche du bourg, en face du Collège actuel
; d'autres sont arrêtés route de Châteaulin ou au
bourg. Toutes les maisons sont fouillées. La nouvelle des arrestations
se répand et quelques personnes parviennent à éviter
les secteurs dangereux (4). Plus tard dans la
journée, les différents groupes sont conduits vers la
Mairie, où un officier allemand procède à divers
contrôles. Ensuite, toutes les personnes arrêtées
sont réparties de façon apparemment arbitraire en deux
endroits de la Place de l'Eglise : plus d'une centaine près de
la pompe, qui seront relâchés ; quarante trois autres,
des hommes uniquement, sont alignés le long du mur de l'église.
L'un d'eux, M. Guiffant, comprenant le danger, se glisse discrètement
dans l'édifice par la porte du transept restée ouverte
et regagne sa maison, de l'autre côté de la rue, sans être
repéré. Pour les autres, innocents de tout, mais retenus
désormais comme otages, impressionnés par les chiens,
les ordres hurlés, et la mitrailleuse pointée vers eux
par un soldat allemand allongé sur le sol, le cauchemar commence.
En fin d'après-midi, vers dix-sept heures, quelques camions bâchés,
débouchent de la rue de Châteaulin, arrivent devant la
place, contournent la Mairie et les maisons continues, puis disparaissent
en direction de Châteaulin (5).
A pied, les quarante-deux otages sont alors conduits jusqu'à
une carrière à Menez Gorre. Les camions sont là,
qui vont les emporter vers une destination inconnue.
- à Plonévez-Porzay
Le convoi se rend à Châteaulin, puis à Plonévez-Porzay.
Là, à l'entrée du bourg, il s'arrête. Des
feldgendarmes descendent des camions et se dirigent vers le centre.
De nombreuses personnes sont rassemblées devant l'église
à l'occasion d'un enterrement. (6) Ici
encore, la feldgendarmerie procède à des interrogatoires
et à des contrôles de papiers. Dans les véhicules
qui reprennent ensuite leur route en direction de Quimper, dix otages
supplémentaires ont rejoint leurs camarades d'infortune. Ils
sont cinquante-deux désormais, âgés de 15 ans ?
à 43 ans, célibataires ou mariés, pères
de famille pour certains. Ils sont étudiants, marins pêcheurs
ou marins d'Etat, fonctionnaires de la Division du Port de Brest, chauffeurs
ou mécaniciens, ouvriers réquisitionnés par les
Allemands, commerçants...
Ils n'ont rien à se reprocher, sinon la malchance de s'être
trouvés là au mauvais moment.
DESTINATION: L’ENFER
Conduits à la gare de Quimper dans la soirée du 30 juin,
sans avoir été jugés, les otages rejoignent directement
d'autres prisonniers, hommes et femmes, dans les wagons d'un convoi
prêt pour un départ immédiat. (7)
.
Après avoir évité les zones tenues par les Alliés
ou par la Résistance, au bout de « dix jours et onze nuits
dans des wagons à bestiaux » (8),
ils arrivent à Compiègne. Ils sont alors dirigés
vers le camp de transit de Royallieu. Situé dans un faubourg
de la ville, seul camp d'internement français entièrement
administré par les Allemands- appelé également
Frontstalag 122- c'est une sorte de gare de triage pour de nombreux
convois à destination des camps de concentration en Allemagne
(9).
Les conditions de vie y sont déplorables : promiscuité,
hygiène et nourriture insuffisantes, humiliations et coups.
Les prisonniers s'affaiblissent rapidement. D'ailleurs l'un d'eux, Joseph
Téphany, tombe malade et ne sera pas du convoi - l'un des derniers
trains vers les camps de concentration allemands - qui part de Compiègne
le 28 juillet.
Le 31, au terme d'un trajet éprouvant auquel leur camarade Joseph
Guivarch ne survivra pas, les cinquante autres otages arrivent au camp
de concentration de Neuengamme, dans le nord de l'Allemagne. (10)
Situé à 25 kilomètres au sud-est de Hambourg, dans
une zone marécageuse sur la rive droite de l'Elbe, le camp principal
est construit autour d'une ancienne briqueterie, remise en activité.
Les détenus sont employés à divers travaux : entretien
du camp, extraction de la terre glaise pour la fabrication des briques,
aménagement des bords de l'Elbe, comblement des marais... Après
leur arrivée à Neuengamme, la plupart des prisonniers
de la rafle sont dispersés dans les kommandos extérieurs,
camps annexes répartis autour des centres industriels du nord
de l'Allemagne (Brème, Hambourg, Hanovre, Brunswick) et jusqu'à
proximité des frontières avec le Danemark et la Hollande.
Comme les autres déportés, ils constituent une main d’œuvre
pour des entreprises allemandes de fabrication de matériels divers
utilisés par l'armée (pneumatiques, munitions, masques
à gaz, accumulateurs pour les sous-marins...). Ils sont également
employés à des tâches destinées à
contrer l'avance alliée (fossés antichars, construction
d'abris souterrains pour y dissimuler le matériel de guerre )
ou à des travaux de déminage, de déblaiement ou
de réparations après les bombardements. Sans nouvelles
de leurs familles, ni de l'extérieur, ils ignorent que la Presqu'île
de Crozon a été libérée, à la mi-septembre,
quelques semaines après leur départ...
Le froid, la boue, l'insuffisance de nourriture et les mauvais traitements
incessants, rendent les conditions de vie et de travail si épouvantables
qu'au début de mars 1945, sur les 51 otages arrivés à
Neuengamme, 34 survivent encore.
Cependant, l'étau se resserre inexorablement sur les S.S. et
sur leurs camps de concentration. Paris est libéré depuis
le 25 août 1944 et, dès l'automne, les raids de l'aviation
alliée se multiplient sur les cibles industrielles, le jour,
et sur les villes, la nuit. Début février, l'armée
soviétique (l'Armée Rouge) atteint l'Oder, et n'est plus
qu'à 60 km au sud-est de Berlin. Les Alliés envisagent
déjà la fin de la guerre (la conférence de Yalta
se tient du 4 au 11 février 1945).
Les Alliés occidentaux franchissent le Rhin le 7 mars. Le 5 avril,
la IIème armée britannique traverse la Weser, et le 11
avril, la IXème armée américaine atteint l'Elbe,
près de Magdeburg, dans le but de rejoindre l'Armée Rouge
au sud de Berlin. Les S.S. aux abois ont commencé à évacuer
les camps et leurs kommandos extérieurs à partir du mois
de février, parfois sous les bombardements. C'est la panique.
Pendant tout le mois d'avril surtout, dans des souffrances physiques
et morales indicibles, les prisonniers affamés, malades, exténués,
frappés à tout instant, sont traînés par
leurs bourreaux dans des trains ou à longues marches forcées
d'un camp dans un autre (11). Début avril,
les déportés des camps satellites de la région
de Brème sont évacués principalement vers Bergen-Belsen,
Sandbostel et Neuengamme.
Ceux de Hanovre sont dirigés sur Bergen-Belsen, et ceux de Brunswick
(Salzgitter, Watenstedt, Fallersleben) sont évacués vers
Wôbbelin et Ravensbrück. Le camp principal de Neuengamme
est lui-même évacué à partir de la mi-avril
vers le camp de Sandbostel.
La
plupart du temps, lorsque les Anglais, les Américains ou les
Russes arrivent, les camps sont désertés par les S.S.
qui ont abandonné sur place les malades, les mourants et les
morts. Dans les camps libérés, les prisonniers reçoivent
de la nourriture et des soins médicaux appropriés. Mais
pour certains, il est trop tard ; la famine, le typhus et la dysenterie
font des ravages. Trop faibles ou trop malades, ils succombent à
quelques jours de la fin de la guerre. Après la mi-avril, Lübeck
devient l'endroit où convergent les derniers détenus arrivant
du camp principal de Neuengamme et les survivants des colonnes qui ont
quitté Brème à pied pendant la première
semaine d'avril. Dans les tous premiers jours de mai, les rescapés
sont embarqués sur des bateaux de transports de troupes allemands,
pour être vraisemblablement abandonnés en mer. Alors qu'Hitler
s'est suicidé le 30 avril, que le 2 mai la ville de Berlin est
tombée, l'aviation anglaise bombarde « par erreur »
ce dernier « convoi » dans la baie de Lübeck le 3 mai,
faisant plus de 7000 morts. (12)
Sur les 51 otages de Crozon et de Plonévez-Porzay arrivés
en Allemagne, 18 seulement survivront à cet hallucinant périple.
UN TERRIBLE SILENCE
Après la rafle, le blocus du bourg de Crozon s'est poursuivi
jusqu'au mardi 4 juillet. Il semble que les occupants allemands aient
organisé seuls cette rafle. Les familles, les autorités
municipales, ainsi que les autorités administratives supérieures,
n'ont pas été tenues informées exactement du sort
des prisonniers. Le mercredi 5 juillet, le 2e adjoint au Maire de Crozon
écrit au Préfet et au Sous-Préfet (13)
pour tenter d'avoir quelques explications sur la situation des prisonniers
:
Lettre n° 1
«
Monsieur le Préfet
J'ai l'honneur de vous faire connaître qu’à la suite
d'actes de sabotages commis dans la commune, une rafle a eu lieu le
vendredi 30 juin. A l'issue de cette rafle, 53 hommes ont été
pris au hasard et emmenés dans des camions et dirigés
sur Quimper où ils sont paraît-il écroués
à la prison St Charles.
Pour me permettre de rassurer éventuellement (14)
les familles de ces hommes, je viens vous demander, Monsieur le Préfet
de bien vouloir intervenir près des autorités allemandes
afin de connaître le sort qui leur est réservé,
et d'effectuer toutes les démarches que vous jugerez utiles.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'expression de mes
sentiments respectueux ».
Lettre n° 2
« Monsieur le Sous-Préfet
J'ai l'honneur de vous signaler qu’au cours d'une rafle faite
par la police allemande le 30 juin, à la suite d'actes de sabotage
commis dans la commune, 53 hommes, pris au hasard, il me semble, ont
été arrêtés. (15)
Je n'ai pu vous en aviser plus tôt, car toutes les routes étaient
gardées jusqu’à mardi matin et nul ne pouvait ni
entrer ni sortir du bourg de Crozon. Voici les noms et adresse des personnes
arrêtées qui ont été écrouées
à la prison St Charles à Quimper. Il vous sera peut-être
possible d'intervenir en faveur de ces hommes et tout au moins obtenir
quelques renseignements sur le sort qui leur est réservé
(...).» Cette dernière lettre comporte, en marge de la
liste des noms des otages recensés par la Mairie de Crozon, ces
mentions lapidaires :
« Ne sont pas à Quimper », « À classer
».
Deux semaines après ces correspondances, on est toujours sans
nouvelles des prisonniers. «La population de Crozon est de plus
en plus inquiète sur le sort réservé aux 53 personnes
arrêtées le 30 juin dernier. Les bruits les plus fantaisistes
courent sur leur compte et il serait désirable, dans le but de
rassurer les familles, de connaître la destination prise par ces
otages» (16). Le 4 août, l'Inspecteur
d'Académie du Finistère se demande si le jeune instituteur
Jean Diraison pourra rejoindre le poste qui lui a été
attribué car, écrit-il dans une lettre au Préfet
de ce département, il a été «arrêté
au cours d'une rafle. Le seul motif paraît être le hasard.
Il serait actuellement en région parisienne». En fait,
à cette date, le jeune homme et ses compagnons étaient
déjà en Allemagne. »
LA FIN DU VOYAGE (17)
Après leur libération, les survivants sont retenus dans
les centres de secours de pays alliés pendant environ quatre
semaines. Ils y reçoivent des soins appropriés et une
alimentation adaptée à leur état physique déplorable
(18).
Puis, après un passage obligé par l'Hôtel Lutétia
à Paris, pour diverses formalités administratives, ils
sont autorisés à rentrer chez eux. Les retours s'échelonnent
entre le début mai (Yves Rolland) et la fin juin 1945 (Jean Mével).
Ils sont accueillis par le Maire, puis rendus à leurs familles
et soignés (19). L'absence des otages a
privé leurs familles, pour la plupart modestes, d'une part importante
de leurs ressources financières et les aides qu'elles ont reçues
pendant l'absence de leur déporté ont été
bien insuffisantes. (20) La vie doit reprendre
son cours. Après quelques semaines de repos et de réconfort,
certains se voient confier la surveillance des prisonniers allemands
du « Commando communal de prisonniers de l'Axe » (2I).
D'autres reprennent rapidement leurs activités d'avant la déportation.
Au cours des années 1945 et 1946, alors que les otages déportés
ne sont pas tous rentrés, le Ministère des Prisonniers,
Déportés et Réfugiés entreprend dans chaque
commune un «Dénombrement des internés et déportés»,
sous forme de questionnaires individuels, sous la responsabilité
d'un enquêteur (à Crozon, M. Gustave Landouaré,
demeurant rue Alsace Lorraine). (22) Les réponses
données par les déportés libérés
eux-mêmes permettent de reconstituer leur histoire. Ils évoquent
les circonstances de leur arrestation, les divers lieux et les conditions
de leur détention.
Ils racontent tous l'absence totale d'hygiène: « la saleté,
la vermine, les poux » ; la nourriture : « abjecte et rare
», « de la soupe de rutabaga et du pain» ; le régime
auquel ils ont été soumis : « un régime de
terreur et de coups», « maltraité tous les jours»
; le « travail forcé », « un régime
infernal » ; ils évoquent leur inquiétude pour les
familles...
Les formulaires de l'enquête recommandent : « N'oubliez
pas que les renseignements que vous donnerez permettront peut-être
de retrouver et d'aider non seulement votre prisonnier, mais beaucoup
d'autres dont les parents sont sans nouvelles et qui souffrent en attendant
que nous fassions quelque chose pour eux». Les rescapés
sont invités à donner les noms des camarades qu'ils ont
rencontrés au cours de leur captivité et qui auraient
pu être « libérés, transférés,
fusillés, inhumés, incinérés ». Quant
à ceux qui ont payé de leur vie la barbarie de leurs tortionnaires,
une loi votée le 16 octobre 1946, fixe les modalités du
retour éventuel de leurs dépouilles. L'insuffisance des
moyens de transport rend nécessaire la constitution de convois
groupés, parfois plusieurs années plus tard: les cercueils
seront rapatriés vers des dépositoires, dont celui de
Nantes, avant d'être remis au Maire de la commune, chargé
d'organiser les funérailles en accord avec les familles. (23).
DES BLESSURES INDELEBILES
Dans l'enquête citée plus haut, on demande aux survivants
de donner «un compte-rendu aussi exact que possible de l'histoire
de (leur) captivité».
Certains, comme Pierre Fertil, arrêté à Plonévez-Porzay,
n'ont pas pu raconter leur calvaire : « Interrogé par la
Sécurité récits les laissaient incrédules.
Un camarade m'a dit : « Ne raconte pas ce que tu as vécu,
ils te mettront à l'asile de fous! ». (24)
Ceux qui ont pu répondre ont tenté de résumer l'indicible
: « un régime de terreur et de coups» (Jean Boucharé)
; « Travail et torture» (Jean Chevalier) ; « C'est
une histoire de famine et de coups journaliers » (Jean Marchand)
; « Une année de terreur et de famine » (Jean Sévellec)
; « Le but poursuivi était notre destruction lente »
(Hervé Mignon)
Notes :
(1)
A rch. Dép. Finistère, 200 W 218- Le sous-préfet
de Châteaulin écrit au Préfet du Finistère
que, selon le Maire de Crozon les fréquentes coupures de câbles
sont dues au passage des charrettes et que le « fautif »
ne s'en aperçoit pas toujours.
Arch. Dép. Finistère, 178 W 20 (Crozon) -« Questionnaire
aux maires, concernant la commune, à adresser à M. l'Archiviste
en chef du Département qui est le correspondant de la Commission
Ministérielle d'Histoire de l'Occupation et de la Libération
de la France de 1940 à 1945, enquête réalisée
en 1949-1950 sous les auspices du Ministère de l'Education Nationale
» : « II existait dans la commune un groupe de FFI dirigé
par MM. Le Du Alfred, Hernandez Joseph, Blain Ignace et Kerdreux Albert,
et qui a été l'auteur de plusieurs actes de sabotages
(destruction de camions au service de l'ennemi, de câbles téléphoniques,
de voies ferrées) ».
(2)
Arc. mun. Crozon. Délibérations du Conseil municipal,
séance du 11 janvier 1942 : « Pour réunir cette
somme, une souscription volontaire est ouverte du 18 au 25 janvier 1942.
De plus, chaque famille devra s'acquitter d'une taxe de 30 francs en
échange des tickets d'alimentation du mois de février...
Les familles nécessiteuses de prisonniers de guerre, et les familles
indigentes seront exemptées du paiement de cette taxe ».
(3) Arch. Dép. Finistère, 178 W 21- « La résistance
et la Libération dans le sud Finistère. Notes de M. Philippot,
instituteur au Moulin Vert en Penhars, chef de bataillon et ex-colonel
FFI ». Dans le « fascicule 10-Du maquis de Rosnoën
au Bataillon de la Presqu’île », M. Philippot écrit
: « En mai 1944, sur ordre de Douarnenez, le groupement entreprend
une série de sabotages sur les câbles de transmission souterrains
de l'ennemi et sur la voie ferrée de Châteaulin à
Camaret.
Les résultats sont excellents, mais l'ennemi réagit violemment
à Crozon où 53 hommes sont arrêtés et déportés.
Parmi eux, deux résistants de LANVEOC, les frères ROGEL».
Plus loin, dans le « Fascicule 11 -Douarnenez, porte de l'Angleterre
», il précise: « Le 28 juin, un sabotage d'ensemble
du réseau téléphonique souterrain, à l'aide
de clous d'acier, met définitivement hors d'état ce réseau
depuis AUDIERNE jusqu'à CROZON »
(4) Arch. Dép. Finistère, 178 W 2, 178 W 3 - Les archives
auxquelles nous avons pu accéder donnent quelques informations
sur les circonstances de la rafle. Le recoupement avec des témoignages
d'anciens déportés permet de mieux connaître le
déroulement des événements. Quelques personnes
parviennent à éviter l'arrestation: une sage-femme, Madame
Meillard, attendue à Rostudel pour un accouchement, est autorisée
à passer. Un soldat allemand met en garde Yves Rolland et son
collègue de travail : « Nicht passage » ; ce dernier
prend une autre direction; Yves Rolland, confiant, car il a un laissez-passer,
continue néanmoins son chemin et est arrêté. (Témoignage
d'Yves Rolland).
D'autres Allemands ont également tenté de dissuader des
personnes de se rendre au bourg.
Ainsi, quand M. Millour, qui travaillait au Fort de Crozon pour la TODT,
s'apprête, à l'heure de midi, à regagner son domicile
au 36, rue Alsace Lorraine, des employés de l'organisation préviennent
l'équipe d'ouvriers qu'il va y avoir un « ramassage ».
Malgré cet avertissement, ces derniers se dirigent vers le bourg,
le fils de M. Millour raconte: « De la fenêtre du premier
étage à l'arrière de notre maison, qui donnait
également sur la rue Louis Pasteur, je les ai vus qui montaient.
Mon père a dû comprendre ; il a pris une pelle, ou une
pioche et il s'est dirigé vers un chantier à l'emplacement
de l'actuelle bibliothèque; il s'est mêlé aux autres
travailleurs et est resté là jusqu'au soir. Cela l'a sauvé.»
(Témoignage de Pierre Millour)
(5) Témoignage de Jean Mével.
(6) On enterre M. Le Brusq, de Lanzent. Selon des témoins, surprenant
par hasard des saboteurs en pleine action dans un de ses champs, il
aurait eu une attaque cardiaque, qui a entraîné sa mort.
(7) Arch. Dép. Finistère, 200 W 79. On constate une certaine
confusion quant au nombre des otages: les Renseignements Généraux
communiquent une liste de 40 noms sur les 42 effectivement partis de
Crozon ; la Mairie établit une liste de 34 otages connus; il
y avait également des personnes de passage dans la commune, inconnues
des témoins.
Il y a bien eu « 53 personnes arrêtées », à
Crozon et à Plonévez-Porzay, si l'on compte M. Guiffant,
qui a réussi à fausser compagnie aux gardes allemands.
On peut supposer que, pour éviter d'autres problèmes,
les autorités et peut-être la population ont toujours fait
comme si 1'«évasion» de M. Guiffant n'avait pas eu
lieu. Pour les Allemands, il y avait 53 otages, qu'ils n'ont sans doute
pas recomptés... II se peut également que l'un des otages,
demeurant à Crozon, mais arrêté à Plonévez-Porzay
ait été recensé dans chacune des deux communes.
En définitive, 52 otages ont quitté Quimper, au soir du
30 juin 1944. Un seul d'entre eux, Joseph Téphany, n'a pas été
déporté en Allemagne.
(8) Arch. Dép. Finistère, 178 W 3. Renseignement donné
par Joseph Téphany.
(9) Composition du camp de Royallieu ( terminologie utilisée
par les nazis ) : « politiques » (communistes )
et « résistants » (résistants non communistes
) : environ 70% ; « raciaux » (dont des Juifs ) : environ
12% ;
« droits communs » environ 8% ; otages pris dans des rafles
: environ 8 à 9%.
(10)
Arch. Dép. Finistère, 178 W 3. Les otages quittent Compiègne
le 28 juillet. Joseph Guivarch est déclaré mort à
Neuengamme le 27 juillet 1944. Son décès est vraisemblablement
intervenu pendant le trajet Compiègne-Neuengamme. Joseph Téphany,
âgé de 21 ans, explique à son retour que, «sorti
comme malade» du camp de Compiègne, il a été
conduit à Péronne le 25 août 1944, et « plutôt
abandonné que libéré ». En fait, le convoi
dont il fait partie avec environ 300 détenus quitte Compiègne
pour l'Allemagne le 26 août 1944. Il sera conduit par les cheminots
dans les lignes alliées à Péronne et les prisonniers
seront libérés.
(11) Lire le récit de Jean Mével, le plus jeune des otages
crozonnais. (Document annexe)
(12) A la mi-avril, les déportés du camp central de Neuengamme
sont dirigés vers Lübeck, et contraints d'embarquer sur
trois navires, dont le Cap Arcona (4 600 hommes). Attaqué en
baie de Lübeck par l'aviation anglaise le 3 mai 1945, il chavire,
ne laissant que 450 à 500 survivants. Jean Chevalier fait partie
de ceux-là, mais Yves Kermorgant, Albert Rogel, et Bernard Hamel
n'en reviendront pas.
(13) Arch. Dép. Finistère, 200 W 79. Pierre Quentric,
2e adjoint, remplace Joseph Graveran, 1er adjoint par intérim,
démissionnaire à la date du 20 juin 1944. Joseph Graveran
remplaçait lui-même le maire, Pierre Dreyer, révoqué
le 20 janvier 1944 sur ordre de la Feldkommandantur de Quimper. Le 21
juin 1944, la préfecture dissolvait le conseil municipal de Crozon
et instituait une délégation spéciale habilitée
à prendre les mêmes décisions que le conseil municipal.
M. le Borgne, directeur d'école à Crozon, a été
nommé Délégué spécial extraordinaire
de la commune de Crozon le 11 juillet 1944. Il est donc possible que
Pierre Quentric ait liquidé les affaires courantes de la commune
entre le 20 juin et le 11 juillet.
(14) « éventuellement »: ajout manuscrit au-dessus
de la ligne du texte dactylographié.
(15) Arch. Dép. Finistère, 200 W 79 - Noms figurant sur
la lettre de la Mairie de Crozon : « Diraison René, Diraison
Yves, Rogel Raymond, Rogel, Téphany Joseph, Rolland Albert, Cosquer
Yves, Louarn Louis, Corner Laurent, Balcon Auguste, Mignon Hervé,
Rouillard Roger, Cariou Yves, Moulin Denis, Verdun Maurice, Kermel Louis,
Rolland Yves, Drévillon Eugène, Férec Pierre, DolciAngel,
Briand Corentin, Laniès Georges, Drévillon Francis, Berre
Yves, Guivarch Joseph, Quillien Pierre, Marchand Jean, Mével,
Vigouroux François, Kermel Joseph, Sévellec Jean, Kermorgant
Yves, Daniélou Pierre, Boucharé Jean». On remarque
que certains prénoms manquent ou sont erronés. Cette liste
ne mentionne aucun nom d'otage originaire de Camaret ou de Plonévez-Porzay.
(16) Arch. Dép. Finistère, 200 W 79 - Lettre de l'Inspecteur
Balay R., du Commissariat des Renseignements Généraux,
au Préfet du Finistère, au Sous-Préfet de Châteaulin,
et au Commissaire Divisionnaire, chef du Service Régional des
R. G, datée du 19 juillet 1944.
(17) Allusion au livre de Jorge Semprun, « Le Grand Voyage »
- Paris: Gallimard, 1996.
18) A leur retour, Pierre Fertil et Yves Rolland ne pèsent que
36 kilos... A Crozon, le Docteur Donnard soigne au dispensaire les déportés
libérés. (Arch. Dép. Finistère, 178 W3)
(19) Arch. mun. Crozon. Série D, Registre des délibérations
du Conseil municipal. Séance du 25 avril 1945.
« La Délégation vote un crédit de 7500 francs
(...) destiné à couvrir les frais d'accueil des Prisonniers
de guerre et Déportés à leur arrivée à
Crozon. »
(20) Arch. Dép. Finistère, 178 W 3. Pour Pierre Daniélou,
« la Marine a payé la solde jusqu 'en janvier.
Pas d'allocation militaire. Aucun secours pour sa femme ». Pour
Yves Cariou, « la famille a perçu ? solde de la Compagnie
Electricité pour laquelle il travaillait ». D'autre part,
la Délégation Spéciale de Crozon vote, le 19 janvier
1945, « un crédit de 17500 francs qui sera consacré
à l'accueil des Prisonniers de guerre et Déportés
libérés par l'avance des Armées Alliées
sur la base de 100 francs par prisonnier ou déporté ».
Un crédit supplémentaire de 7 500 francs est inscrit au
budget additionnel le 25 avril 1945. (Arch. Mun. Crozon. Série
D, Registre des délibérations du Conseil municipal)
(21) Arch. mun. Crozon. Les prisonniers du « Commando communal
de prisonniers de l'Axe » sont hébergés dans un
baraquement au Yunic et employés principalement aux travaux de
déminage. Ils seront renvoyés au Dépôt de
prisonniers de Brest le 1er février 1947.
(22)
L'accès aux archives de cette période est restreint (délais
de communicabilité), et la documentation est parfois incomplète,
des documents ayant disparu au cours des évacuations des camps
ou des bombardements. Selon les sources, il peut y avoir des inexactitudes,
sur les dates, par exemple. De plus, tous les déportés
disent que, dans les camps, ils avaient perdu la notion des dates.
Arch. Dép. Finistère, 178 W 2 (Camaret), 178 W 3 (Crozon),
178 W 10 (Ploaré), 178 W 11 (Plomodiern, Plonévez-Porzay),
178 W 14 (Quéménéven, Quimper, St. Nie): «
Dénombrement des victimes de la guerre (en application du décret
du 16 janvier 1945). Listes et états récapitulatifs; fiches
individuelles par communes »
(23) Arch. Dép. Finistère, 31 W 601. Lettre du Ministère
des Anciens Combattants au préfet du Finistère, transmise
au Maire de Camaret, concernant le retour à Camaret de la dépouille
mortelle de Jean Kerdreux, exhumée le 21 février 1952.
(24) Arch. Dép. Finistère, JAL 2/855 - OUEST FRANCE /
29 février 2000 - Entretien de Pierre Fertil avec le journaliste
Michel Loret. C'est par le dessin que, des années plus tard,
il tentera d'exorciser sa souffrance. 25 Arch. Dép. Finistère,
178 W 3 - 178 W 14.
Autres sources :
Etat civil des communes de naissance.
Archives F.N.D.I.R.P.
« Mémorial des Français et Françaises Déportés
au camp de concentration de Neuengamme et dans ses kommandos »
« Une page tragique de l'histoire de Crozon. La rafle du 30 juin»
par Didier Cadiou. Le Presqu'îlien n° 15 -décembre
1994. »
« Plonévez au XX ème siècle», par Guillaume
Fertil. Bibliothèque de Plonévez-Porzay. »
Musée de l'histoire de Hambourg/ Holstenwall 24, 20355 Hambourg.
Remerciements chaleureux à toutes les personnes qui m'ont aimablement
aidée à compléter mes informations, et plus particulièrement
aux anciens déportés, rescapés de cette rafle qui
m'ont apporté leur témoignage: à Jean Mével,
à Pierre Fertil et à Yves Rolland (1). Que leurs proches
soient également remerciés. Je dédie cet article
à tous les otages de Crozon et de Plonévez-Porzay qui
ont été entraînés malgré eux dans
la folie nazie.
LISTE DES OTAGES DE LA RAFLE
(CROZON et PLONEVEZ-PORZAY - 30 juin 1944)
Témoignages
de déportés
« Et c'est précisément parce que nous sommes à
l'orée de la disparition des témoins, à ce moment
confus, quelque peu troublant, où la mémoire, inévitablement,
s'efface, où elle cède la place à la reconstitution
historique, qu'il est plus nécessaire que jamais de recueillir
ces paroles de déportés. »
(Jorge Semprun)
TEMOIGNAGE DE JEAN MÉVEL(l)
Climat général de l’occupation
Le climat général pendant l'occupation allemande est oppressant
et difficile à supporter pour la population en raison du manque
de liberté : couvre-feu, privations par rationnement alimentaire,
contrôles d'identité, patrouilles incessantes de la Werhmacht
(base d'aviation sur la commune voisine).
Je vis alors dans l'insouciance de l'adolescence et n'ai encore aucune
conscience politique, nous feignons d'ignorer l'occupant qui n'est pas
dans notre cœur.
Dans notre zone, nous dépendons de la « Kommandantur »
et non des autorités de Vichy.
Arrestation et internement en France
Le matin du 30 juin 1944, les Allemands organisent une grande rafle
à Crozon en raison du sabotage par la Résistance des lignes
téléphoniques et électriques reliant deux points
stratégiques (radar Pointe du Raz et Base aéronavale du
Poulmic).
Le bourg est encerclé par les troupes et en arrivant je tombe
dans la nasse. Arrêté par les feldgendarmes, je suis conduit
à la mairie pour un interrogatoire par un officier SS qui m'accuse
de « terroriste ».
Sur la place du bourg, deux groupes se forment: l'un d'une centaine
de personnes, l'autre de 44 hommes retenus comme otages, alignés
le long du mur de l'église, face à un peloton en armes.
On nous ordonne d'embarquer dans des camions en direction de Quimper,
puis de monter dans un train à bestiaux par une « chatière
» par laquelle nous devons entrer à quatre pattes. Les
wagons sont aménagés en trois espaces : au centre deux
soldats en armes et, de chaque côté, 20 personnes debout
sont entassées.
Le train démarre dans la soirée et commence alors notre
voyage vers l'inconnu...
Le trajet dure 10 jours jusqu'à Compiègne. Pour toute
nourriture une boule de pain et un saucisson, la soif nous tiraille
car l'eau est très rare.
Dans ces wagons, pas de lieux d'aisances, et nous urinons au travers
des fentes du train. Nous nous asseyons sur le sol à tour de
rôle, tant nous sommes serrés les uns contre les autres.
Le trajet dure plusieurs jours et nous sommes autorisés à
sortir du train une seule fois. Sur le quai, quelques-uns tentent de
s'évader mais très vite des menaces, de représailles
retentissent.
Par la lucarne grillagée défilent les noms des gares traversées:
Lorient, Nantes, Angers, Tours, Vierzon, Bourges, Paris et Compiègne;
à l'arrivée du convoi, nous sommes confrontés à
la brutalité des SS par leurs cris et les aboiements des chiens.
Nous traversons Compiègne par rangs de 5 et je suis frappé
de voir la ville complètement déserte. Nous arrivons au
camp de Royalieu où l’internement dure deux semaines, sans
trop de problèmes, pour ma part.
A ce stade du parcours, je n'ai pas encore pu donner de nouvelles à
ma famille en Bretagne qui demeure totalement dans l'incertitude quant
à mon sort.
La déportation.
Le 27 juillet 1944, notre convoi quitte Compiègne avec environ
1200 hommes (chiffre connu plus tard).
Sur le quai, les SS nous ordonnent de quitter nos vêtements et
nos chaussures (à l'exception de nos sous-vêtements).
Debout et entassés à 70 environ par wagon, c'est le départ
vers l'Allemagne. Ici notre inquiétude est grandissante car les
SS montrent leur vraie nature de sauvages. Nous n'avons rien à
manger ni à boire.
A la suite d'une tentative d'évasion, trois hommes sont fusillés
sur la voie.
Nous arrivons le 31 juillet au camp central de NEUENGAMME, près
de Hambourg.
Neungamme
L'univers concentrationnaire
A l'arrivée dans cet univers, les SS nous ordonnent de descendre
avec des hurlements et des aboiements de chiens et, dans une cavalcade
folle, nous atteignons la place de l'appel pour recevoir notre immatriculation
(Matricule 39788) et des hardes misérables, puis c'est la douche
et le rasage intégral sur tout le corps et la tête.
A la vue d'êtres humains décharnés et en guenilles,
nous comprenons que l'enfer commence ici.
C'est la déshumanisation de l'homme.
La journée au camp est invariable :
- réveil brutal par les Kapos vers 5 heures, sous les cris et
les coups,
- petite « toilette » rapide torse nu, sans serviette, dans
une bousculade générale inimaginable,
- appel sur la place centrale, en rang de 5, qui dure des heures et
des heures pendant lesquelles les SS comptent et recomptent les déportés,
dans le froid, la pluie et la neige,
- distribution du « café » qui est une eau noirâtre
et presque froide et d'une boule de pain pour 12 hommes, départ
vers le lieu de travail qui consiste (pour moi-même) à
pousser des wagonnets de terre glaise servant à la fabrication
de briques,
- vers midi, distribution de la « soupe », plutôt
d’eau claire sous les cris et les coups des Kapos et des SS,
- le soir, nouvel appel général pendant des heures sur
la place, distribution de la « soupe » pour le dîner,
- le couchage se compose de 2 lits à une personne que nous devons
partager à 5 détenus,
- plusieurs fois par semaine, réveil brutal pour nous rendre
aux abris, dans l'obscurité et la boue, lors des alertes de bombardements
sur Hambourg.
Après quelques jours de ce régime, nous perdons totalement
la notion des jours et des dates, seuls comptent le jour et la nuit.
Je n'ai eu aucune connaissance d'un mouvement de « résistance
» autour de moi ; d'ailleurs nous n'avons pas une minute de répit
pour pouvoir nous concerter.
Si on peut appeler « résistance » de tenter de garder
sa dignité d'homme face à l'arrogance et à la sauvagerie
des gardiens, oui, il y a une certaine résistance en ces lieux.
Personnellement, malgré mon jeune âge, je suis soumis au
régime général du camp et ne bénéficie
d'aucune mesure de bienveillance. Par contre, autour de moi, des adultes
courageux et fiers m'apportent leur soutien en me conseillant dans la
mesure du possible.
L'esprit général est de « tenir le coup »
et une sorte de solidarité s'est installée dans le groupe
afin de soutenir les plus faibles et les plus défaillants. Nous
voulons résister avec nos faibles forces jusqu'à la libération
pour retrouver nos proches et notre patrie, et aussi pouvoir témoigner
de notre parcours horrible.
Début septembre 1944, je suis transféré au Kommando
de Wilhelmshaven et affecté à l'arsenal de la Kriegsmarine
pour la fabrication de sous-marins.
Le régime est à peu de choses près le même
qu'au camp central. La journée de travail dure 12 heures sans
compter les six kilomètres de marche aller-retour, dans le froid
et la neige, sous-alimentés et simplement vêtus du pyjama
rayé.
Début avril 1945, le Kommando est évacué en raison
de l'avance des troupes alliées. Les plus affaiblis d'entre nous
(400 détenus environ) partent en train vers le camp central.
(Ce train est hélas bombardé à Lüneburg et
seuls 72 détenus survivent à ce drame).
Je reste dans le groupe considéré « plus valide
» et nous entamons une longue marche d'environ 330 kilomètres,
nous tramant faiblement à travers Oldenburg, Brème et
Hambourg pour atteindre NEUENGAMME.
Ce site étant lui-même évacué, la marche
reprend pour atterrir au mouroir de Sandbostel.
En arrivant, un spectacle hallucinant nous saisit, une vision de fin
du monde : des tas de morts et de morts-vivants décharnés
et couverts de vermine, contaminés par le typhus et la dysenterie.
Ces êtres presque morts agonisent sur le sol dans une crasse et
une puanteur épouvantables. Plus loin, des squelettes sont entassés
sur une longueur et une hauteur de plusieurs mètres. Nous ne
trouvons en ces lieux aucune nourriture ni une goutte d'eau, une simple
mare noirâtre au milieu de cette désolation indescriptible.
Poussés par la faim, des cas de cannibalisme auraient eu lieu.
Après deux jours, notre kommando reprend de nuit sa marche, puis
embarque sur un train de marchandises, convoi mitraillé en cours
de route avec de très nombreuses victimes.
Nous continuons notre « chemin de croix » vers Stade (port
sur l'Elbe). Après un passage sur péniches, nous embarquons
à bord d'un bateau-charbonnier l'«Olga Siemers »
et sommes entassés comme des bêtes à fond de cale,
à l'exception des blessés qui restent sans soins sur le
pont.
Après la traversée du Canal de Kiel, nous atteignons la
Mer Baltique et Flensburg. Débarquement pour monter dans un train
qui s'arrête en rase campagne. Les chupos (policiers) nous dirigent
à nouveau vers le port de Flensburg pour prendre un autre bateau
dont les cales sont déjà occupées d'une centaine
de déportés de NEUENGAMME.
Libération et rapatriement
En rade, ce bateau est accosté par un navire portant pavillon
de la Croix-Rouge suédoise. Les survivants sont transbordés
sur celui-ci et nous apprenons que nous sommes le 10 mai 1945, soit
trois jours après la capitulation nazie. C'est enfin la DELIVRANCE
!
En arrivant à Malmö le 11 mai, malades du typhus exanthématique,
nous sommes hospitalisés puis placés en convalescence
pendant un mois. Nous reprenons des forces peu à peu.
Je suis très reconnaissant à la Suède, aux Suédois
et aux personnels hospitaliers pour l'accueil et aussi la grande générosité
dont ils ont fait preuve à notre égard.
ENFIN, le 26 juin 1945, en compagnie de vingt camarades, je suis rapatrié
par avion de l'Armée Française et conduit à l'hôtel
Lutétia à Paris, point d'accueil et de recensement des
déportés. Le lendemain, je prends le train Paris-Brest
où m'attendent mes parents. Retrouvailles heureuses avec tous
mes proches mais sentiment de tristesse aussi d'avoir perdu mes rentrés.
A mon retour, encore adolescent de 16 ans et demi, j'essaie de réapprendre
à vivre et de retrouver la vraie vie. Grâce aux soins et
à l'affection de mes parents qui se dépensent sans compter,
je retrouve lentement la santé et ma jeunesse évaporée
dans les brumes d'Allemagne du Nord.
Si parler de la déportation entre déportés est
aisé et même un besoin que nous ressentons tous car nous
nous comprenons et sommes liés par ce passé qui nous unit
forcément, en parler avec des personnes étrangères
à notre histoire est rare car elles ne peuvent pas comprendre.
(1) Texte intégral inédit rédigé par Jean
Mével. Né le 18 janvier 1929, Jean Mével était
étudiant au moment de son arrestation.
TEMOIGNAGE D'YVES ROLLAND (1) (extraits)
« Pris en otage le 30 juin 1944, j'ai été libéré
par les Américains, à Hanovre, le 10 avril 1945 et je
suis rentré à Crozon le 5 mai.
On nous avait réquisitionnés avec des paysans, pour faire
des tripodes, près de l'école du bourg, à Crozon.
On avait fini et on attendait la charrette pour les embarquer. Elle
n'arrivait pas. Une femme nous a dit en breton qu'il y avait «
des grosses têtes près de la Mairie ».
Elle voulait dire la Gestapo. Ils devaient être énervés
à cause du débarquement. On a compris qu'il se passait
quelque chose, et on est descendu vers le lavoir de St Pierre.
On a rencontré un Allemand qui nous a dit : « Nicht passage
en bas! ». On est descendu quand même, car le laissez-passer
était avec Jos Kermel en bas. Un de nos camarades a rejoint Kérigou,
puis Morgat, en passant par Landromiou; il a évité les
Allemands qui étaient au lavoir de St Pierre. Ils nous ont remontés
jusqu'à la place de la Mairie et mis avec une centaine de personnes
rassemblées là. On est allés dans la mairie. Jos
Kermel a dit : « Si je reste, je ne peux plus aller en mer ! ».
L'Allemand a répondu : « Quand vous allez en mer, vous
allez directement en Angleterre... ». Ceux qui étaient
placés à côté de la pompe ont été
libérés. On nous a embarqués dans des camions avec
toute la toile au-dessus.
On était peut-être une trentaine dans chaque. Quelqu'un
qui passait a dit: « Vous allez passer à la casserole !
». On nous a conduits dans une carrière à Menez
Gorre et de là, à Plonévez, où trois autres
sont montés avec nous. Puis, direction Quimper, la gare, sans
passer sont par la prison, sans nous dire où on allait. Il faisait
nuit ; on entendait crier; on nous a fait monter dans des wagons à
bestiaux; il y avait des femmes aussi.
Le train a mis près de quinze jours pour arriver à Compiègne,
en passant par Nevers. La nuit, on voyait de la lumière et j'ai
su qu'on est passés à Redon, à Nevers. Quelquefois
le train stoppait longtemps. Une fois, on est restés vingt-quatre
heures en attente. On en profitait pour aller derrière les arbustes
et les autres contrôlaient. Puis on est arrivés à
Compiègne. C'était comme une gare de triage. On était
dans une caserne ; il y avait des Sénégalais avec nous
aussi.
On est restés une dizaine de jours dans cette caserne, puis on
nous a remis dans des wagons, à peu près soixante dans
le wagon. On nous a donné une boule de pain et une boîte
de sucre, mais on avait seulement soif. Je me rappelle que sur la route,
les gens de Compiègne nous regardaient partir et faisaient le
V Les Allemands avaient dit, en français : « Pas de chants
! ». Personne ne nous disait où on allait. En route, on
a fusillé un type ; il avait sans doute voulu s'évader.
Et, quarante-huit heures après, on est arrivés en Allemagne,
à Neuengamme, dans le camp.
A Neuengamme, on pouvait voir une inscription au-dessus de l'entrée:
« Arbeit macht frei »(2). Eugène
Drévillon me disait que ça voulait dire: « Ici on
rentre, mais on ne sort pas ». Il était trois heures du
matin quand on a fini de me couper les cheveux et de me raser tout du
long. Puis, on nous a dit d'aller dans une cabane à trois dans
chaque lit, et des femmes nous ont lancé notre tenue, au hasard,
un caleçon, une culotte, une chemise et un pantalon bariolé
et trop large. Pour les kommandos, on était en tenue rayée,
bleu et blanc. Pour le camp, on n'avait pas de tenue particulière.
Les lits faisaient quatre-vingts centimètres de large. Il y avait
François Vigouroux avec moi sur le côté et un autre
à l'autre bout du lit, qui mettait ses pieds sur nous.
Il y avait quinze ou seize cabanes, et on devait être cinq cents
dans chaque. Tous les jours, quand on allait aux cabinets, on passait
devant la cabane où on mettait les morts, tout nus, maigres comme
tout, des squelettes.
Il y en avait bien cent cinquante tous les jours, morts de faim, brutalisés.
On récupérait leurs habits pour d'autres.
Neungamme
Il y avait les kommandos aussi. La première fois, après
vingt-quatre heures de train, on est arrivés à Brunswick.
Il y avait la moitié de Crozonnais avec moi. On avait le droit
de se parler, et de chanter aussi. Un jour, on était en rang
pour aller au camp. Le Russe qui nous gardait avait dit : « Si
vous ne chantez pas, vous marcherez au pas. ». Alors, on commence
à chanter: « Ah, c'qu'on s'emm... ici ! Y avait un macchabée
!... », et Jos Kermel me dit: « Kan a rez c'hoazh? »
(tu chantes encore ?...)
Certains travaillaient à la mine. Il fallait poser des rails,
et pousser des wagonnets de poussière jusqu'en haut.
On promettait aux volontaires un casse-croûte supplémentaire,
qu'ils n'ont jamais eu. Ici, chacun avait son lit, on n'était
pas battus et il y avait moins de morts qu'à Neuengamme. On est
restés un mois là.
Ensuite, on est revenus à Neuengamme. C'était là
qu'on revenait quand on avait fini un kommando. Huit jours après,
on est partis à Husum. Là, c'était le pire ; la
cravache sur le dos tous les jours. On creusait des fossés anti-chars,
au bord de la grève, pas loin de l'aérodrome. C'était
du sable comme ici, à l'Aber, tout du long (3).
Sur trois ou quatre kilomètres, on faisait des fossés
de 2m50 de largeur et 2m50 de profondeur. On travaillait à la
pelle et à la brouette; il y avait des pompes qui fonctionnaient
de chaque côté, et pendant six heures d'affilée,
on faisait le vide, à trois pour une pompe, un Quimpérois,
moi et un Danois. C'était très dur, parce qu'on n'était
pas bien nourris. C'était comme une fourmilière : on était
deux mille ! Il n'y avait pas de miradors.
Il y avait des gardiens qui avaient fait la guerre de 14 ; ceux-là
étaient plus humains.
Ils disaient de ne pas travailler le dimanche, comme ça, il y
aurait moins de morts.
Le SS disait: « C'est moi le patron ; je n'ai qu'à téléphoner
à Neuengamme. Si j'ai besoin de mille hommes, j'en aurai mille
! ».
Les autres gardiens étaient des « droits communs »
qui sortaient de prison pour nous garder. Ils pouvaient tout faire.
Je suis resté là de septembre jusqu'à Noël.
Pour Noël, on a eu juste quatre ou cinq cigarettes.
Après, je suis retourné à Neuengamme et je suis
resté deux mois sans travailler. On était à quatre
par couchette. J'étais avec Jos Cariou, le père d'Yves
Cariou. Quelquefois, il pleurait et nous disait: « Je pense à
ma famille, à mes enfants. ».
Il y avait des Irlandais dans la même baraque et des Hollandais
qui pleuraient aussi. Auguste Balcon, qui parlait bien l'anglais, discutait
avec les Irlandais.
J'ai travaillé dans plusieurs kommandos, puis je suis arrivé
à Hanovre. Je suis resté une semaine, à travailler
de nuit sous terre pour vider des réservoirs obstrués.
Les Allemands cachaient toutes les machines dans des souterrains, car
les Anglais approchaient. J'ai eu de l'œdème aux jambes
et quand je disais que je ne pouvais plus aller travailler, on me répondait
d'attendre le lendemain.
J'ai eu enfin une fiche pour l'infirmerie. Le jour où je suis
parti à l'infirmerie, les SS ont quitté le camp. Ils ont
disparu comme ça; quand je suis sorti de l'infirmerie, il n'y
avait plus personne. Plus un seul SS dans la cour!
Il restait une cinquantaine de prisonniers dans le camp. Certains étaient
partis. Alors, on a fouillé la cuisine pour trouver du pain,
et la baraque des S S pour avoir des habits. Je suis allé pour
dormir dans la cabane où il y avait le linge des femmes et j'ai
enfilé trois chemises, trois pull-overs et un grand manteau de
femme les uns sur les autres. Une jeune femme que j'ai croisée
me les a fait enlever. Au moment où je venais de trouver un vieux
pardessus de SS tout mouillé, je reçois un coup de bâton.
Je n'avais pas vu que mes collègues étaient partis.
La Gestapo était entrée dans la baraque et nous voilà
embarqués dans une camionnette, conduite par la Gestapo... Ils
ont fait faire le tour de la ville sans savoir où ils allaient,
et nous ont lâchés dans la rue.
Tout le monde allait voir dans les camps. Et nous, on cherchait de la
nourriture partout dans la ville.
C'était la débandade pendant trois ou quatre jours. Il
fallait faire attention aux mines.
Les Américains nous ont vus et, huit jours après, on a
embarqué tous les hommes pour Bruxelles, puis Paris.
A l'hôtel Lutétia, on nous a proposé de rester pour
nous nettoyer et nous reposer. Mais, on avait hâte de rentrer.
Avec un camarade de Tours, on est allés prendre le train à
la gare Montparnasse. Arrivé à Brest, j'ai embarqué
sur le « Garde à Vous », un Frétois qui faisait
la traversée. Ils m'ont reconnu et ont téléphoné
à Crozon pour qu'une voiture vienne me prendre. Sur la cale du
Fret, j'étais attendu par le taxi de J. Daniélou et le
Maire, M. Le Borgne. J'ai eu un verre de cognac à Crozon et un
autre à Morgat, dans un café. Puis, après m'être
débarrassé de la gale, des poux et de la vermine que j'avais
rapportés sur moi, j'ai été garder les prisonniers
Allemands, route de Yunic, pendant un mois et demi, et déminer
la plage de la Palue. Un an après, j'embarquais sur le «
Jazz Band » pour la pêche au thon.
(1) Yves Rolland est né le 31 août 1913 à Crozon.
En 1944, il exerçait la profession de marin-pêcheur.
Il est décédé le 8 décembre 2002.
Ce témoignage a été recueilli à Kerigou,
Morgat, le 19 juillet 2001, et transcrit par Monique Drévillon.
(2) « le travail rend libre »
(3) La plage de l'Aber, comme les autres plages de la presqu'île
de Crozon, avait été fortifiée pour interdire un
débarquement. On y trouvait des tétraèdres, mais
aussi des pieux de bois enfoncés dans le sable à l'aide
de la pompe à incendie de Crozon. ces obstructions ont été
mises en place par la main d'œuvre locale réquisitionnée
par les Allemands.
Sources
: La rafle du 30 juin 1944 par Monique Drévillon, magazine Avel
Gornog No. 12, 2004
Crozon
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