Enfin,
après quatre années d'attente, au début de l'année
44, le Political Welfare Executive britannique commence à diffuser
des messages faisant référence à la grande offensive.
La mobilisation silencieuse commence. Sur des tracts lancés par
la Royal Air Force on peut lire des recommandations très claires
à destination des réseaux de résistance :
"Ne devancez pas les indications ultérieures qui vous seront
données par la radio de Londres ou par la radio Américaine.
Restez à l'écart de toutes les opérations préliminaires.
Le jour où les armées de la libération auront besoin
de votre concours actif, vous en serez prévenus !"
Le
3 janvier 44, le programme "Les Français parlent aux
Français" s'adresse aussi aux fonctionnaires des forces
de maintien de l'ordre, policiers, gendarmes, gardes mobiles républicains,
les enjoignant de se désolidariser des "ennemis du peuple"
et prévient que "l'heure n'est pas éloignée
en effet où les collaborateurs auront à rendre des comptes,
à restituer les bénéfices tirés de leur
trafic, à payer le prix de leur trahison".
Aux civils, des consignes sont données pour évacuer des
villes les femmes, les enfants et les "inutiles".
On demande aux paysans de les accueillir et de pourvoir à leur
ravitaillement. La tension monte, l'heure n'est plus aux appels à
la prudence que Radio Londres a distillés pendant quatre années.
Regroupés autour des postes de TSF qui ont échappé
aux saisies des autorités d'occupation, les Français sont
désormais engagés dans la lutte active et n'attendent
qu'un signe pour passer à l'offensive.
Le
1er mai 1944 va servir de répétition générale
du Jour J. Mi-avril, "Honneur et Patrie" lance une campagne
pour "un jour d'union et de combat". Le 26, Maurice
Schumann relaie le mot d'ordre du Conseil National de la Résistance
qui incite les Français à la grève, à multiplier
les sabotages, à former des milices patriotes et à préparer
le succès du "soulèvement national".
Radio Londres reprend également les ordres donnés par
les journaux clandestins comme "France d'abord", "Libération"
ou "La Vie Ouvrière".
De leur côté, le Parti Communiste, le Parti Socialiste,
les comités d'action féminine du MLN, la CGT, les Mouvements
Unis de Résistance encouragent les civils à faire de ce
1er mai une journée d'insurrection nationale.
L'émission "Les Français parlent aux Français"
appuie vigoureusement ces instructions à partir du 28 avril.
Ayant rejoint Londres deux mois auparavant, Lucie Aubrac appelle à
la mobilisation générale pour ce "dernier 1er
mai célébré sous l'oppression nazie".
Il faut désormais se tenir prêt et l'imminence de la délivrance
semble toute proche comme le laisse entendre André Gillois dans
"Honneur et Patrie" : "l'heure de l'action décisive
va sonner bientôt".
D'ailleurs,
l'augmentation des bombardements alliés laisse présager
que le débarquement approche. Radio Londres multiplie les appels
à la prudence, les autorités alliées craignant
que des actions inconsidérées et prématurées
n'entraînent des massacres de civils par l'occupant. Les messages
personnels eux aussi se multiplient.
Début mai 44, le programme "Les Français parlent
aux Français" intègre l'émission "Honneur
et Patrie" et c'est désormais la voix d'André Gillois
qui donnera les consignes.
Il commence à préparer ses auditeurs Français à
une libération qui ne se déroulera pas en un éclair
mais prendra plusieurs semaines.
Enfin,
le 20 mai, la campagne officielle pour le débarquement est lancée
sur les ondes.
Le 1er juin, 161 messages d'alerte seront diffusés à destination
des groupes de résistance. Parmi eux, un certain vers de Verlaine,
qui annonce que le Jour J approche : "les sanglots longs des
violons…". Destiné au réseau Ventriloquist,
il lance le sabotages des voies ferrées situées en arrière
des côtes Normandes et Bretonnes. Les résistants savent
que lorsqu'ils entendront la fin de ce vers "… bercent
mon cœur d'une langueur monotone", les troupes alliées
débarqueront sur le sol Français.*
Le 5 juin à 21 h 15, ce sont plus de 200 messages qui, pendant
plus de 16 minutes, sont adressés aux résistants : "Ouvrez
l'œil et le bon" , "Tout le monde sur le pont",
"Messieurs, faites vos jeux", "Le gendarme
dort d'un œil", "Les carottes sont cuites",
"Les dés sont sur le tapis" ou encore "les
enfants s'ennuient le dimanche" sont autant de messages qui
donnent aux Résistants le signal de passer à l'action.
Ils doivent déclencher les plans Vert, Violet et Tortue, opérations
de sabotages des communications qui devraient ralentir les mouvements
des unités allemandes.
L'opération Overlord est engagée.
Arrivé
d'Alger le 3 juin dans la capitale britannique, le Général
de Gaulle ne décolère pas. Il est littéralement
mis devant le fait accompli de ce débarquement qui doit avoir
lieu dans deux jours. Jusqu'à la dernière minute, il refuse
d'enregistrer un message destiné aux Français. Mais personne
ne peut concevoir que la voix de la France Libre ne s'exprime pas à
la radio en cette journée décisive. Aussi des tractations
fébriles se déroulent entre Churchill et de Gaulle. La
météo s'en mêle et l'offensive, qui devait initialement
se dérouler le 5 juin, est reportée de 24 heures. Enfin,
dans la nuit du 5 au 6 juin 44, à 4 heures du matin alors que
le débarquement est imminent, un accord est trouvé entre
le premier ministre britannique et le général français.
A 12 h 30, de Gaulle enregistre un message qui sera diffusé à
18 heures.
Ce
mardi 6 juin 1944 à 9 h 30, les auditeurs Français entendent
un premier communiqué allié, puis un message du général
américain Eisenhower, suivi des traductions des messages des
souverains alliés.
A 17 h 30 enfin, la voix du Général de Gaulle retentit
:
"La
bataille suprême est engagée. Après tant de combats,
de fureur, de douleurs voici venu le choc décisif, le choc tant
espéré. Bien entendu, c'est la bataille de France et c'est
la bataille de la France. D'immenses moyens d'attaque, c'est-à-dire
pour nous de secours, ont commencé à déferler à
partir des rivages de la vieille Angleterre. Devant ce dernier bastion
de l'Europe à l'Ouest fut arrêtée naguère
la marée de l'oppression allemande. Il est aujourd'hui la base
de départ de l'offensive de la liberté. La France, submergée
depuis quatre ans mais non point réduite ni vaincue, la France
est debout pour y prendre part.
Pour les fils de France, où qu'ils soient quels qu'ils soient,
le devoir simple et sacré est de combattre par tous les moyens
dont ils disposent. Il s'agit de détruire l'ennemi, l'ennemi
qui écrase et souille la Patrie, l'ennemi détesté,
l'ennemi déshonoré. L'ennemi va tout faire pour échapper
à son destin, il va s'acharner à tenir notre sol aussi
longtemps que possible. Mais, il y a beau temps déjà qu'il
n'est plus qu'un fauve qui recule, de Stalingrad à Tarnopol,
des bords du Nil à Bizerte, de Tunis à Rome, il a pris
maintenant l'habitude de la défaite".
Cette bataille, la France va la mener avec fureur. Elle va la mener
en bon ordre. C'est ainsi que nous avons, depuis quinze cents ans, gagné
chacune de nos victoire. C'est ainsi que nous gagnerons celle-là.
En bon ordre! [... ]
La bataille de France a commencé. Il n'y a plus dans la nation,
dans l'Empire, dans les armées qu'une seule et même volonté,
qu'une seule et même espérance. Derrière le nuage
si lourd de notre sang et de nos larmes voici que reparaît le
soleil de notre grandeur."