"Travail,
Famille, Patrie"…
Qu’en fut-il du travail et des travailleurs français pendant
l’occupation ?
De
l’armistice, notre pays sort divisé géographiquement,
meurtri moralement, en état de choc devant sa nouvelle condition
de vaincu.
Le
désarroi est tel que le nouveau régime, qui a l’habileté
d’invoquer des valeurs profondes (le travail, la famille, la patrie)
parvient à tromper sur sa nature véritable une grande
partie des travailleurs.
Pour
beaucoup le vieux maréchal de 84 ans, encore auréolé
du prestige de "vainqueur de Verdun", a réellement
"fait don de sa personne à la France" et incarne l’homme
providentiel, capable de tenir tête aux exigences des Allemands.
Le ralliement au régime de certains hommes de gauche et de quelques
responsables syndicaux ne peut qu’alimenter la mystification.
Dans
ce brouillard des consciences, représenteront des premières
lueurs, l’appel lancé depuis Londres par le général
de Gaulle le 18 juin et ceux de certains dirigeants syndicaux qui invitent
les Français à refuser l’asservissement.
Vichy
est expert dans l’art du camouflage. Officiellement il affiche
l’ambition de réaliser une "Révolution Nationale",
anticapitaliste et antisocialiste, alors que dès le 16 août
1940 il organise l’ensemble des structures économiques
du pays en faveur des grandes entreprises.
Chaque
branche d’activité est structurée en "comité
d’organisation". Parallèlement, le régime a
le souci de son image sociale. Le nouvel Etat assiste les chômeurs,
crée un salaire minimum et une allocation à la femme au
foyer, encourage les œuvres de charité et verse à
compter du 1er janvier 1941, une retraite aux vieux travailleurs. Décisions
qui permettent à Pétain de déclarer : "je
tiens mes promesses, même celles des autres, lorsque ces promesses
sont fondées sur la justice".
En
réalité, derrière son masque paternel et outrancièrement
"patriotique", ce régime appliquera avec détermination
la politique que réclamait depuis 1936 la droite traditionaliste
et se fixera comme ligne de conduite la collaboration avec les nazis.
De
fait l’occupant aura l’avantage considérable de disposer
de suite, en France, de toutes les structures économiques, administratives,
judiciaires, policières et même idéologiques, dont
il avait besoin pour continuer la guerre contre les anciens alliés
de la France.
C’est
ainsi que l’on verra les grandes firmes françaises conclure
au plus vite des accords industriels et commerciaux avec les organismes
économiques allemands. Une large partie du patronat met ses usines
au service de la machine de guerre nazie. L’état de collaboration
satisfait bien des appétits.
Discours
du 11 octobre 1940 du Maréchal Pétain :
"Le
désastre n’est, en réalité, que le reflet,
sur le plan militaire, des faiblesses et des tares de l’ancien
régime politique… Jamais, dans l’histoire de la France,
l’état n’a été plus asservi qu’au
cours des vingt dernières années… par des coalitions
d’intérêts économiques et par des équipes
politiques ou syndicales, prétendant fallacieusement représenter
la classe ouvrière. Il faut aujourd’hui reconstruire la
France… On ne saurait davantage y découvrir les traits…
d’une revanche des événements de 1936… L’ordre
nouveau est une nécessité française. Nous devrons
tragiquement réaliser, dans la défaite, la révolution
que dans la victoire, dans la paix, dans l’entente volontaire
de peuples égaux, nous n’avons même pas su concevoir.
Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale. Il ne reposera
plus sur l’idée fausse de l’égalité
naturelle des hommes, mais sur l’idée nécessaire
de l’égalité des "chances" données
à tous les Français de prouver leur aptitude à
"servir". Seuls le travail et le talent redeviendront le fondement
de la hiérarchie française. Aucun préjugé
défavorable n’atteindra un Français du fait de ses
origines sociales, à la seule condition qu’il s’intègre
dans la France nouvelle et qu’il lui apporte un concours sans
réserve. On ne peut faire disparaître la lutte des classes,
fatale à la nation, qu’en faisant disparaître les
causes qui ont formé ces classes et les ont dressées les
unes contre les autres. Ainsi renaîtront les élites véritables
que le régime passé a mis des années à détruire
et qui constitueront les cadres nécessaires au développement
du bien-être et de la dignité de tous."
Le
ton est donné.
Les
bases de la "Révolution Nationale" sont établies
et de multiples textes et campagnes de propagande vont tenter d’en
faire le fondement de la vie quotidienne des Français. Mais,
dans les faits, les résultats furent médiocres. La "Révolution
nationale" a rarement débouché sur des transformations
radicales, et elle rencontre surtout l’apathie, voire l’hostilité.
Le retour à la terre ne concerne pas plus de 1500 personnes.
La charte du travail met en place des structures qui tournent à
vide, exception faite des comités sociaux d’entreprise,
"Les comités patates ". La corporation paysanne sert
surtout à réquisitionner et à contrôler.
Enfin, les notables, la hiérarchie catholique passent de l’enthousiasme
à un éloignement prudent. Cet échec de la "Révolution
nationale " montre une capacité d’autonomie et de
résistance de la société par rapport à l’Etat
même de la part de ceux qui n’ont pas fait le pas de plus
les emmenants a rejoindre la Résistance ou la France Libre.
"Il
est vain de penser que des ouvriers puissent être heureux au sein
d'une industrie en détresse ; la prospérité des
entreprises conditionne le bien-être de leurs membres.
La
pierre angulaire de la charte réside dans la création
des comités mixtes sociaux, au sein desquels se trouveront réunis
tous les membres d'une même profession.
Le
comité social sera, pour la profession d'aujourd'hui - pour la
corporation de demain -, le véritable animateur de la vie professionnelle.
Lien de tous ceux qui concourent à une même production,
il recevra, de surcroît, la mission d'assurer la gestion sociale
de la profession (...).
L'expérience
a montré que partout où les hommes de bonne foi se réunissent
pour une explication loyale et franche, les oppositions s'atténuent,
les malentendus se dissipent, l'accord s'établit, dans l'estime
d'abord, dans l'amitié ensuite.
C'est
en utilisant les bases de l'organisation professionnelle existante que
sera réalisée, dans un esprit nouveau, la jonction de
tous ceux que la vie sociale appelle à collaborer. Les syndicats
ont donc leur place dans cet ordre nouveau. Ils auront la double mission
de discipliner les libres réactions de leurs adhérents
et de participer à la formation des comités sociaux.
Mais
ces syndicats ne seront plus les syndicats de tendance du passé.
S'ils demeurent voués dans chaque profession à la représentation
d'une même catégorie sociale (patrons, ouvriers, cadres),
ils seront désormais obligatoires pour être forts, uniques
pour être francs. Leur activité sera désormais strictement
limitée au domaine de leur profession. Ils vivront et fonctionneront
sous l'autorité des comités sociaux et en s'inspirant
de leurs doctrines qui ne sauraient être elles-mêmes que
celles du Gouvernement."
Loi
du 4 octobre 1941 relative à l'organisation sociale des professions.
Rapport au maréchal de France, chef de l'État français,
cité in Coll., "Le Gouvernement de Vichy", Paris Presses
de la Fondation nationale des sciences politiques, 1972, p.337.
Chronologie
:
Après
la signature de l’armistice par Pétain en juin 1940, on
retrouve dans son cabinet, au poste de Ministre de la Production Industrielle
et du Travail, René Belin, ex secrétaire confédéral
de la CGT.
16
Août 1940 - Le gouvernement en place publie une loi interdisant
les confédérations syndicales.
9
Novembre 1940 - Belin signe le décret de dissolution de la CGT,
de la CFTC et de la Confédération Générale
du Patronat Français.
15
Novembre 1940 - La résistance syndicale se met en place et 3
membres de la CFTC et 9 de la CGT signent un manifeste "Le Manifeste
des 12" qui rappelle l’indépendance syndicale, la
mission purement économique et sociale du syndicalisme, la lutte
contre l’antisémitisme et le pluralisme syndical.
4
octobre 1941 – Promulgation de la Charte du Travail de Vichy.
22 juin 1942 - Mise en place de la "Relève " par Laval.
16
février 1943 : instauration du Service du Travail Obligatoire
(STO).
17 Avril 1943 - Accords du Perreux. La guerre et la lutte commune dans
la résistance à l’occupation allemande permettent
la réunification clandestine de la CGT sur un accord verbal au
Perreux (banlieue parisienne).
La
vérité sur le terrain :
Les
grandes villes sont quasiment ruinées par la guerre, du fait
même de l’asphyxie de leur économie. Elles sont contraintes
de demander un effort fiscal considérable aux populations, au
moment même où l’augmentation du coût de la
vie effondre le pouvoir d’achat dès l’automne 1940
et rend la survie précaire :
- La livre de beurre passa de 12 f à 20 f 50,
- Le kilo de pommes de terre de 1 f à 2 f 50,
- Le kilo de viande de 36 f à 56 f,
- L’œuf de 0 f 75 à 2 f 50,
- Le kilo de sucre de 5 f à 7 f,
- Le litre de lait de 1 f 40 à 2 f 50.
La
population est confrontée à la pénurie : farine,
lait, beurre, pommes de terre. Les légumes secs, le sucre, le
savon de Marseille, etc. disparaissent. Depuis juillet 1940, toutes
les denrées sont contingentées, livrables contre la remise
de tickets de rationnement : 350 grammes de pain par jour, 50 grammes
de fromage, 10 grammes de matières grasses, 360 grammes de viande
(dont 20% d’os par semaine. Vichy a fixé des catégories
de rationnaires : E (moins de 3 ans), J1, J2, J3 (enfants et adolescents),
A (21-70 ans), T (travailleurs de force), C (cultivateurs, V (vieillards).
D’un mois à l’autre les rations fluctuent, souvent
à la baisse. Le pain devient noir. Des jours sans viande sont
institués. Le café pur, interdit, est remplacé
par des mélanges, etc.
Roger
Lenevette :
"En 1940, j'avais quinze ans et j'étais plus préoccupé
ainsi que ma famille par les problèmes de survie que par les
statuts de Vichy, puis par le besoin de renvoyer chez eux ceux qu'on
n'avait pas invité. Nous avons vécu le problème
des villes topographiquement dangereuses parce que stratégiques.
Cela a été le cas de Brest. Habitant prés du fort
du Guelmeur, c'était un point stratégique de bombardement.
Nous avons eu la chance de quitter à temps puisque trois semaines
plus tard le pavillon était pulvérisé par une bombe
(revenu fin juin ou en juillet à Vieux Vy) et cela s'est passé
en août 1940 Cette chance, tout le monde ne l'a pas eue et beaucoup
en sont morts.
Il faut garder à l'esprit que cette génération
était loin d'être aussi aveugle qu'on essaie de nous faire
croire depuis longtemps. Cette époque est celle de mon enfance
que j'ai passé dans ce monde du travail. D'abord l'école
et ses instituteurs, où on faisait quelquefois plus de trois
kilomètres à pied pour y aller, et même pour certains
en sabots. L'usine (l'arsenal de Brest, la Mine de Brais), les champs
avec l'aide pour les les moissons ou la récolte des pommes de
terre et des betteraves, l'artisanat comme bûcheron à la
tâche l'hiver 1940/1941 ou aide mécanicien sur Machines
agricoles à Ernée dans la Mayenne en 1942. C'est cette
génération de ces anciens qui a fait de moi le militant
à vie que j'ai été et que je suis resté.
J'ai gardé pour elle une grande admiration et je souhaite que
nos jeunes générations soient aussi vigilantes."
Roger rejoindra les FTPF d’Ile et Vilaine en 1944.
Louis
Jacquemart :
"Je
n'ai pas d'expériences personnelles particulières, ayant
toujours travaillé, par chance, +ou- seul, soit avec mon père
artisan ciseleur sans employé ou chez un petit électricien
paternel, chez qui j'ai appris des rudiments d'installations électriques.
Mis
à part ma participation et soutien symbolique auprès des
travailleurs revendiquant leurs droits, je ne peux me targuer d'avoir
eu a me battre pour l'obtention de conditions de travail particulières.
Après
avoir travaillé plusieurs mois chez un pâtissier réputé
à Châteaulin, où en cours d'activité j'ai
planté là, seul, mon patron qui m'accusait faussement
d'avoir cassé un œuf ! Je me retrouve à Douarnenez,
où avec un copain nous allons, sur un tandem et tirant une remorque,
vendre du poisson aux habitants, sur un parcours de 30 Km. Cette vente
illicite ("Illicite" pour les Allemands et le régime
en place qui avaient réquisitionné le camion de mes tantes
(mareyeuses à Douarnenez) qui de ce fait ne pouvaient plus exercer
leur profession ! Idem pour les parents de mon camarade) ne peut pas
durer longtemps, les Allemands occupant DZ depuis quelques mois, le
Service du Contrôle Economique sévit et nous pourchasse.
Nous devons cesser cette activité, mais avant nous nous vengeons
en introduisant du sucre dans le réservoir d'essence de la moto
du contrôleur.
Ma
seule expérience de travail collectif, c'est lorsque pour éviter
le STO je travaillais à faire du bois gazo dans l'attente de
pouvoir entrer au maquis."
Louis
rejoindra le maquis Bayard en Cote D’Or en 1944.
A
les lire, il est clair que ces deux travailleurs n’ont strictement
jamais bénéficié d’aucune des promesses du
gouvernement de Vichy ! L’un d’entre eux nous a même
avoué avoir appris des choses à la lecture de cet article.
Des limites de la propagande…
La
collaboration économique :
La
collaboration économique découle d'abord de la dette de
guerre théoriquement fixée par l'armistice de juin 1940,
mais pratiquement fixée au cours des ans de façon unilatérale
par les Allemands qui établissaient arbitrairement le taux du
franc par rapport au mark. Cette dette, censée correspondre à
l'entretien des troupes d'occupation a été en moyenne
de 400 millions de francs par jour, l'équivalent de 4 millions
de salaire journalier d'ouvriers. L'emploi du terme de "collaboration
économique" signifie que la politique prédatrice
de l'Allemagne s'est effectuée sous administration française.
De
même on peut également ajouter les prisonniers de guerre,
qui sont 1,5 millions à travailler pour l'Allemagne en Allemagne
pendant presque toute la durée de la guerre.
En
octobre 1940, on comptait en France un million de chômeurs, conséquence
de la désorganisation complète de l'économie due
à la débâcle. Rapidement après l'armistice,
le gouvernement de Vichy décida d'autoriser les entreprises françaises
à accepter des contrats avec les Allemands. Les commandes allemandes
seront le principal moteur du redémarrage de l'économie
française.
Le nombre de chômeurs était descendu à 125 000 en
1942, et à la Libération, il était pratiquement
nul. En gros, avec les indemnités d'occupation, l'Allemagne arrive
à faire travailler l'agriculture et l'industrie française
en grande partie pour son compte.
En
1943, d'après les statistiques de l'Office central de la production
industrielle, 100% de l'industrie aéronautique, 100% de la grosse
forge, 80% des BTP, 60% de l'industrie du caoutchouc travaille pour
le compte de l'Allemagne.
Ces
chiffres sont un peu contestes (Henri Rousso) mais ils donnent un ordre
de grandeur correct. Selon l'historien allemand Jaekel, "Au
printemps de 1942, 170 000 Français travaillaient sur place dans
les services de la Wehrmacht et 275 000 à la construction d'aérodromes
et de fortifications comme le mur de l'Atlantique, 400 000 enfin à
la fabrication d'armements."
Selon
le général von Senger und Utterlin de la Commission d'armistice
allemande, "L'industrie française des armements de guerre
fut remise à plein tours pour les armements allemands... Sans
le potentiel économique de la France, Hitler n'aurait pas pu
faire durer la guerre aussi longtemps. C'est cela qui fut le grand profit
qu'Hitler tira de la conquête de la France."
Les
émigrés Républicains Espagnols :
En
janvier 1939, devant l’avancée des troupes franquistes,
harcelés sous les bombardements incessants de l’aviation
allemande et nationaliste, les Républicains espagnols, civils
et militaires, affluent à la frontière pyrénéenne,
alors fermée par les autorités françaises. Le 26
janvier, la chute de la Catalogne provoque un exode encore plus massif.
C’est la retraite "LA RETIRADA", et le gouvernement
français est contraint de revoir sa position.
Environ cinq cent mille espagnols passeront la frontière.
Les
civils, femmes, enfants, vieillards sont pris en charge à leur
arrivée, et répartis sur tout le territoire, en fonction
des disponibilités et des bonnes volontés locales. Le
département d’Ille-et-Vilaine ouvre six centres d’hébergement.
Quant aux combattants, rien n’est prévu pour les accueillir.
Escortés par les services d’ordre, ils sont acheminés
vers les plages clôturées d’Argeles sur Mer et de
Saint Cyprien. Ils restent là plusieurs mois dans des conditions
épouvantables. A maintes reprises, les autorités françaises
les incitent à un retour en Espagne.
Face
à la menace de guerre contre l’Allemagne, d’indésirables,
les réfugiés espagnols deviennent indispensables. Placés
sous autorité militaire, des milliers sont enrôlés
dans des Compagnies de Travailleurs Etrangers, réparties sur
toute la France, afin d’y effectuer des travaux de fortification.
Lors de l’invasion allemande, nombre d’entre eux sont faits
prisonniers. Les Républicains espagnols sont les premiers déportés
du territoire français : 7288 seront envoyés à
Mauthausen, 4676 n’en reviendront pas.
Les
Compagnies de Travailleurs, sous l’autorité de Vichy, sont
livrées aux allemands pour construire le mur de l’Atlantique.
Conduits vers la zone occupée, les Espagnols travaillent à
la construction des bases sous-marines de La Pallice, Lorient, Brest.
Beaucoup doivent embarquer à Saint-Malo ou Cherbourg, pour les
îles anglo-normandes. L’une d’elles, Aurigny, rattachée
administrativement au camp de Neuengamme, verra travailleurs forcés
et déportés espagnols, mourir sous le joug nazi.
Les
travailleurs français en Allemagne :
Le
Commissaire général du Reich pour l'emploi et la main
d'œuvre, Fritz Sauckel (Condamne à mort a Nuremberg), surnommé
le "négrier de l'Europe", fut chargé le 21 mars
1942 d'amener la main-d'œuvre de toute l'Europe par tous les moyens.
Il s'intéressa particulièrement à la France. Il
trouva à la tête du régime de Vichy des interlocuteurs
prêts à lui donner satisfaction en mobilisant la législation
française et les forces de l'ordre au profit du recrutement forcé.
Un total de 600.000 à 650.000 travailleurs français est
acheminés vers l'Allemagne entre juin 1942 et juillet 1944. La
France fut le troisième fournisseur de main-d'œuvre forcée
du Reich après l'URSS et la Pologne, et le pays qui lui donna
le plus d'ouvriers qualifiés.
Jusqu'en
septembre 1943, le plénipotentiaire de Fritz Sauckel en France
était le général Julius Ritter, exécuté
par le groupe Manouchian le 23 septembre.
Automne
1940 : 80 000 volontaires choisissent de travailler en Allemagne. En
tout, pendant la Seconde Guerre mondiale,
150 000 à 200 000 Français se seraient portés volontaires,
dont 30 000 femmes. C'est aussi à l'automne 1940 que l'occupant
procéda à des rafles arbitraires de main-d'œuvre
dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés
à Bruxelles.
Juin
1942 : l'Allemagne exige de la France 350 000 travailleurs. Vichy, obligé
de maquiller cette sommation, annonce le 22 la création de la
"Relève" qui consiste à échanger un prisonnier
libéré contre trois travailleurs volontaires envoyés.
Mais seuls les ouvriers spécialistes sont en fait pris en compte
dans l'échange, tandis que les prisonniers relâchés
doivent être des paysans ou des hommes déjà âgés
et malades, donc improductifs et qui auraient probablement été
rapatriés de toute façon.
De
plus, la Relève n'est pas nominative : on ne peut pas s'enrôler
pour faire libérer son frère, son mari, son voisin, etc.
Le manque de succès de cette mesure (17 000 volontaires fin août)
sonne le glas du volontariat.
On
vit ainsi partir en Allemagne des travailleurs volontaires attirés
par la rémunération ou voulant faire revenir un parent
proche. Ces derniers ne furent ni mieux ni plus mal traités que
les requis, mais contribuèrent dans l'opinion, après la
guerre, à un amalgame fréquent et injustifié entre
requis du STO et volontaires.
Pétain
promulgue alors la loi de réquisition du 4 septembre 1942, malgré
l'opposition de quatre ministres et une aggravation sensible de l'impopularité
du régime. Moins connue que la loi du 16 février 1943,
la loi du 4 septembre ne frappe de fait que des ouvriers. Elle fut surtout
appliquée en zone occupée, la plus industrielle et la
plus peuplée. Cette loi, récemment redécouverte
par les historiens, est responsable du départ forcé de
près de 250 000 travailleurs en six mois.
Le
STO (Service du Travail Obligatoire) :
Avec
la complicité active du gouvernement de Vichy (les travailleurs
forcés français sont les seuls d'Europe à avoir
été requis par les lois de leur propre Etat, et non pas
par une ordonnance allemande), l'Allemagne nazie imposa la mise en place
du STO pour compenser le manque de main-d'œuvre dû à
l'envoi de ses soldats sur le front.
16
février 1943 : instauration du Service du Travail Obligatoire
(STO) proprement dit. Le recrutement, de catégoriel, se fait
désormais par classes d'âge entières. Les jeunes
gens nés entre 1920 et 1922 sont obligés de travailler
en Allemagne (ou en France) à titre de substitut de service militaire.
La classe d'âge 1922 fut la plus touchée, et les exemptions
ou sursis initialement promis aux agriculteurs ou aux étudiants
disparurent dès juin. Les Chantiers de la Jeunesse contribuèrent
aussi activement à l'envoi de leurs propres jeunes en Allemagne,
par groupements entiers.
Selon la Fédération Nationale des Déportés
du Travail, fondée en 1945 et devenue en 1979 Fédération
Nationale des Victimes et Rescapés des Camps nazis du Travail
Forcé, 60 000 moururent en Allemagne et 15 000 furent fusillés,
pendus ou décapités pour "actes de résistance".
Les historiens jugent aujourd'hui ces chiffres excessifs, et estiment
qu'entre 25.000 et 35.000 STO ont néanmoins perdu la vie en Allemagne.
Leur emploi dans des usines de guerre bombardées, souvent dans
de mauvaises conditions et sous la surveillance fréquente de
la Gestapo, rendait en tout cas leur taux de mortalité supérieur
à celui des prisonniers de guerre.
250.000
prisonniers de guerre durent également travailler pour le Reich
à partir de 1943 après avoir été "transformés"
de gré ou de force en travailleurs civils.
Admise
en Belgique et bien que le Parlement français ne se soit jamais
prononcé définitivement sur la qualification à
donner aux requis du STO, la dénomination officielle de "déporté
du travail" a été interdite aux associations de victimes
du STO par la justice française (1992), au nom du risque de confusion
entre la déportation vers la mort des résistants et des
Juifs, et l'envoi au travail obligatoire.
Certaines
victimes furent prises dans des rafles de la Milice et de la Wehrmacht.
Le PPF de Jacques Doriot mit quant à lui sur pied, en 1944, des
Groupes d'Action pour la Justice Sociale (sic) chargés de traquer
les réfractaires contre de l'argent, et d'enlever la main-d'œuvre
jusqu'en pleine rue.
Dans
l'ensemble, grâce à la collaboration indispensable du gouvernement
de Vichy et de l'administration française, et en particulier
d'une bonne part de l'inspection du travail, les Allemands obtinrent
tous les hommes qu'ils voulaient. Les deux premières grosses
demandes de Fritz Sauckel furent intégralement fournies en un
temps assez bref. Seuls le développement des maquis et le tarissement
des ressources humaines prélevables expliquent la chute des départs
à partir de l'été 1943, et le demi-succès
de la troisième "action Sauckel" (juin-décembre
1943) puis le fiasco de la quatrième (1944). Le département
de la Gironde, grâce au préfet régional Sabatier
et à son secrétaire général Maurice Papon
(Encore lui…), fut félicité par Pierre Laval pour
être l'un des seuls a avoir fourni plus que le quota fixé,
aussi tard qu'à l'automne 1943.
Le
STO provoqua le départ dans la clandestinité de près
de 200 000 réfractaires, dont environ un quart gagnèrent
les maquis en pleine formation. Le STO accentua la rupture de l'opinion
avec le régime de Vichy, et constitua un apport considérable
pour la Résistance.
Mais
la plaça aussi dans l'immédiat devant une tâche
inédite, d'une ampleur non moins considérable (Manque
d'argent, de nourriture, d'armes, etc, pour des milliers de maquisards
soudain engagés).
Les
réfractaires au STO forment également le premier groupe
au sein des 35 000 évadés de France qui gagnèrent
l'Espagne puis l'Afrique du Nord et s'engagèrent dans la France
Libre. Faute de filière, de place dans le maquis ou de désir
de se battre, de nombreux réfractaires se contentèrent
toutefois de se cacher à domicile ou de s'embaucher dans des
fermes isolées où ils servirent de main-d'œuvre à
des paysans complices.
D'autres
Français échappèrent au STO en Allemagne en s'embauchant
dans la police et les pompiers, voire dans la Milice. Après l'automne
1943, ils furent nombreux à rejoindre un vaste secteur industriel
protégé mis en place par l'occupant, et travaillant exclusivement
pour son compte.
Une
controverse interminable entoura le passé de Georges Marchais,
dirigeant du Parti Communiste Français (1970-1994), accusé
d'avoir été volontaire en Allemagne chez Messerschmitt
et non pas au STO selon ses dires. Selon son biographe Thomas Hoffnung,
Marchais ne fut en fait ni volontaire ni requis du STO, il fut muté
en Allemagne par l'entreprise allemande d'aviation qui l'employait déjà
en France depuis 1940. Son parcours pendant la guerre ne ferait dès
lors que refléter le sort de centaines de milliers de Français,
contraint pour survivre de travailler pour les Allemands, soit en France,
soit en Allemagne, une très large majorité de l'économie
nationale étant de toute façon déjà mise
au service des occupants.
Pour
conclure, citons Monsieur Jacques Floch, Secrétaire d’Etat
à la Défense, chargé des ACVG, durant le Colloque
International des 13-14-15 décembre 2001 au Mémorial de
la paix à Caen, s’adressant à d’anciens déportés
du travail :
"Cela
veut dire aussi qu’au niveau de la France, du Gouvernement de
la France mais aussi de la Nation Française toute entière,
il doit y avoir cette reconnaissance de ce que vous avez vécu
et comment vous l’avez vécu. Qu’il doit y avoir un
moment donné une déclaration solennelle qui dira "oui,
la France a participé à cette organisation de l’esclavage,
oui la France a commis une faute, oui la France vous reconnaît
et doit vous reconnaître comme victimes d’un système
abominable ."
Sources
:
· Dominique Venner, Histoire de la Collaboration, Pygmalion,
2000.
· G. Garcia et I. Matras, La mémoire retrouvée
des Républicains espagnols, Editions Ouest-France, 2005.
· La CGT dans la Résistance en Seine-Maritime, par Gilles
Pichavant, avec le concours de Pierre Largesse, Albert Perrot, Robert
Privat, Guy Décamps et Serge Laloyer.
· Les souvenirs de Roger Lenevette et de Louis Jacquemart qui,
tous deux, rejoindront la Résistance en 1944.
· Jean Pasquiers, "Jeannot chez les nazis ", Journal
d'un Déporté du Travail 1943-45.
http://jean-pasquiers.chez-alice.fr/journal-d-un-deporte-du-travail-1943-45.pdf
· Fédération Nationale des Rescapés et Victimes
des Camps Nazis du Travail Forcé
http://www.requis-deportes-sto.com/
· La Main-d'œuvre française exploitée par
le IIIe Reich, actes du colloque international de Caen (Novembre 2001),
Centre de Recherche d’Histoire quantitative, Caen, 2001, textes
rassemblés par B. Garnier, J. Quellien et F. Passera.
http://www.requis-deportes-sto.com/colloque/
· Charte du travail de Vichy, 1941
http://www.marechal-petain.com/charte_travail.htm
· Affiches de propagande : Les illustrations nous ont été
fournies par un ami généralement bien informé mais
qui ne cite pas ses sources.
Si, d’aventure, certaines sont protégées par des
droits d’auteur, merci de nous le faire savoir et elles seront
immédiatement retirées.