Auteur
d’un récent ouvrage « Tombes lointaines »,
qui éclaire d’une lumière intime les assassinats
de Juifs perpétrés par les Einsatzgruppen sur le Front
de l’Est, dont François Delpla dira qu’il s’agissait
de
« l’instrument des nazis pour achever de damner la Wehrmacht
tout en mettant le génocide sur orbite » (1), et appelés
« Shoah par balles », (nommé ainsi par le père
Desbois) Madame Alix Brijatoff a eu l’extrême gentillesse
de nous accorder une interview. Mais présentons-la d’abord
avant de l’écouter.
Daniel Laurent
Alix Brijatoff est née le 20 avril 1942 à
Perpignan. Elle est la troisième fille d’Adolphe-Abraham
Landau et Bluma Katz-Jankelevitch. Deux communistes émigrés
de leurs pays d’origine (Pologne et Lettonie) avant la guerre.
Lui est issu de lignées de rabbins remontant selon la légende
familiale au Maharal de Prague (1513-1609), elle de « petit-bourgeois
» établis à Riga au début du XXe siècle.
Après avoir passé son doctorat de psychologie sociale
à la Sorbonne (1971) elle devient chargée d’études
puis directrice des études publicitaires chez Young & Rubicam.
À l’instigation de Martin Desprez, directeur général
de l’agence - actuellement directeur général délégué
du groupe Amaury, elle crée en France (1975) la première
structure de développement de nouveaux produits et services.
Elle travaille dès lors avec de nombreuses entreprises françaises
et internationales, les aidants à imaginer, mettre au point et
en marché des nouveaux produits et nouveaux services. Depuis
10 ans, elle partage son temps entre le conseil et l’écriture
de livres (2).
À la suite d’un éprouvant périple à
Riga, Jurmala, Rumbala sur les traces des racines lettones de sa mère
(toute sa famille y sera exterminée en 1941), elle décide
de se consacrer à retrouver les faits historiques de cette tragédie.
L’équipe du père Patrick Desbois lui précise
que son « travail » en Ukraine ne lui permettra pas de faire
de même dans les pays baltes avant de nombreuses années.
Ainsi commence un terrible voyage dans le passé : la «
shoah par balles » perpétrée dans les pays baltes
est mal connue.
Elle fera deux voyages en Lettonie, sera aidée par les Archives
Lettones, l’adjoint de Marger Vestermanis, survivant des «
aktions » de 1941 et directeur du Musée juif de Riga, de
nombreux témoignages (Ushmm, Yad Vashem, le "livre noir"
de Grossman et Ehrenbourg …), quelques rares livres publiés
en anglais, des archives russes, ainsi que les actes des procès
des bourreaux.
Notes :
1 - François DELPLA, Magazine Seconde Guerre Mondiale, Editions
Astrolabe, Hors Série septembre 2008, éditorial
2 - http://recherche.fnac.com/ia289645/Alix-Brijatoff
Daniel
Laurent : Qu’est-ce qui vous a poussé, a l’origine,
à vous lancer dans cette éprouvante aventure de recherches
au sujet des racines de votre mère et de sa famille massacrée
?
Alix Brijatoff : Ma sœur et moi-même avions le projet de
« retourner » à Riga avec notre mère Bluma.
Elle le souhaitait, disait-elle. Nous l’avons fait alors qu’elle
n’était plus là. Pour dire la vérité,
c’était mieux ainsi.
Je ne sais comment elle aurait supporté de revoir toute cette
vie, dont le cadre était identique à celui ou elle et
sa famille avaient vécu avant le drame ! De retour de ce voyage
j’ai décidé d’écrire ce livre-témoignage.
Elie Wiesel témoignait au procès Barbie : "L'assassin
tue 2 fois. La 1ère fois en tuant, la 2ème en effaçant
les traces du meurtre … Pour éviter cela, c'est la mémoire
qui est nécessaire. Je veux entendre leurs voix, leur prêter
la mienne, leur dire que je les aime. Nous n'avons pas pu éviter
la première mort, il faut à tout prix empêcher la
seconde. Cette mort-là serait de notre faute… C’est
donc bien un « devoir de vie et non de mémoire »
qui est le mien !
DL : Etre, en 2009, Juive ayant eu une
partie de sa famille ignoblement assassinée génère-t-il
des sentiments de haine ? Si l’oubli est impossible, le pardon
l’est-il ?
AB : Ni oubli, ni pardon pour les bourreaux. Aucune haine pour les générations
suivantes
DL : Les travaux du Père Desbois
au sujet de la Shoah par balles ont été critiqués
par des gens qui prétendaient représenter « les
historiens ». Qu’en pensez-vous ?
AB : Je connais l’aspect communautariste de certains historiens.
Je le subis moi-même. Qui suis-je pour évoquer des faits
historiques. Je le revendique en imaginant une nouvelle approche.
Celle qui confronte des faits historiques à un carnet (écrit
par moi) de ma grand-mère Brocha. Le père Desbois a enfreint
une règle qui serait « seuls les historiens auraient le
droit de traiter de sujets historiques » !
Il faut reconnaître que certaines omissions sont fâcheuses
: les Ukrainiens (les Lettons, les Lituaniens, les Estoniens, les Polonais…)
ont été les agents zélés des einsatzgruppen
(seulement 3000) pour exécuter plusieurs centaines de milliers
de juifs). Ils ont pillé, volé les biens, les appartements,
les commerces des juifs « partis », comme nous a dit une
habitante d’un appartement de mes grands parents !!
En résumé, plus on parle de ces faits, mieux ils sont
connus de beaucoup !
DL : Vos parents étaient communistes.
Comment ont-ils vécus ce qu’il est advenu de leurs terres
natales après 1945 ?
AB : Ma mère n’est pas retournée en Lettonie. Ils
ont par contre beaucoup travaillé (cinéma) avec la Pologne
et la Russie. Ils y sont allés à nombreuses reprises et
sans difficulté.
DL : Les falsificateurs négationnistes
tentent de « démontrer » que le judéocide
nazi n’a pas existé.
Quelles sont, selon vous, leurs motivations, leurs mobiles ? Ont-ils
des liens avec l’existence de l’Etat d’Israël
?
AB : le racisme et l’antisémitisme existent depuis …2000
ans ! donc pas de surprise. D’autant qu’ils trouvent des
relais très performants dans de nouvelles catégories de
populations (de Soral à Dieudonné, sans parler d’intégristes
et pro-palestiniens/hamasiens de tout genre !) Le lien avec l’existence
de l’état d’Israêl est évident.
DL : Le racisme existe toujours en France
de nos jours, qu’ils s’agissent d’antisémitisme
ou plus vulgairement du « délit de sale gueule ».
Pensez-vous qu’on n’en finira jamais avec cet héritage
hitlérien ?
AB : comme évoqué ci-dessus ce n’est pas un héritage
hitlérien mais un courant de pensée très ancien.
Le régime nazi est une folie extrême qui en est issue.
Et non l’inverse.
DL : Le peuple juif été victime,
depuis des temps immémoriaux, de discriminations diverses, le
judéocide nazi en étant la manifestation la plus ignoble
mais étant loin d’être la seule, le terme pogrom,
par exemple, étant russe.
Ces divers antisémitismes dépassent, et de loin, les autres
manifestations du racisme. Comment expliquer ces attitudes ? Pourquoi
les Juifs ?
AB : l’antisémitisme que P-H Taguieff nomme « la
vieille haine des juifs » se serait transformée en judeophobie
après la guerre, l’extermination de 6 millions de juifs
…et la création de l’état d’Israël
(en très court, bien sur). Sa dimension planétaire et
inclus l’americanophobie. « Le juif » est «
un bouc émissaire pratique » pour cristalliser les colères,
rancoeurs, défiances, jalousies et autres noirceurs de l’âme
humaine. 20 siècles d’idées reçues et actions
conséquentes facilitent les réflexes. Ils sont installés
dans les sub-conscients de beaucoup. Ils ressurgissent sous des formes
diverses à toutes occasions.
DL : Merci, Chère Madame, d’avoir
pris le temps de répondre à nos questions
Présentation du livre :
Alix Brijatoff, Tombes lointaines, Le destin tragique d'une femme dans
la "Shoah par balles", 2009 Robert Laffont.
Présentation de l'éditeur :
Un témoignage présenté sous forme de journal intime
sur un épisode mal connu de la Shoah. Illustré de photos
de famille et de documents d'époque, il raconte la vie quotidienne
dans la communauté juive de Riga, en Lettonie, jusqu'au drame.
Le 10 mai 1940, Bluma Jankelovitch, Juive et communiste réfugiée
à Paris, reçoit un appel téléphonique en
provenance de Riga, sa ville natale. Sa mère, Brocha, est au
bout du fil. Inquiète des nouvelles qui lui arrivent de France,
elle supplie sa fille de revenir au plus vite chez elle, à Riga,
où, dit-elle, « elle sera en sécurité, car
les gens nous connaissent et nous protègent ». Mais Bluma
n'écoute pas ses conseils : avec son mari et ses enfants, elle
fuit Paris en direction du sud, vers la zone libre. Plus jamais elle
n'entendra la voix de sa mère. Brocha Jankelovitch a disparu
avec toute sa famille dans la forêt de Rumbala au cours d'un épisode
mal connu appelé depuis la « Shoah par balles ».
Longtemps après la guerre, sa petite-fille, Alix, est partie
sur ses traces par le biais des archives de Riga, dans ce qui fut le
ghetto où les nazis avaient parqué la communauté
juive de Lettonie et sur les lieux du massacre. Elle a retrouvé
des noms, des lieux, des chiffres : 26 000 Juifs tués en deux
opérations nommées « Aktions ».
Mais cette comptabilité sans âme ne parvient pas à
assouvir sa soif de comprendre, et surtout de mieux connaître
cette grand-mère lointaine à laquelle, lui dit-on, elle
ressemble tant. Aussi, pour rendre la parole à Brocha, et pour,
selon ses mots, « substituer à l'étouffant devoir
de mémoire la liberté créatrice du ressouvenir
», a-t-elle pris le parti d'écrire à sa place ce
qui aurait pu être son journal intime, entre le moment où
elle raccroché son téléphone, le 10 mai 1940, et
celui où des soldats l'ont arrachée au ghetto pour la
conduire dans la forêt. C'est aussi l'occasion de raconter les
joies et les peines du petit monde yiddish de Riga, ses coutumes, ses
bons petits plats, ses blagues, ses figures pittoresques telles que
Bluma les lui a décrites. Pour aller jusqu'au bout de sa démarche,
Alix Brijatoff a tenu à présenter le Journal de Brocha
sous une forme originale : sur les pages de droite court le journal
intime ; sur les pages de gauche sont mis en regard, dans un style sobre
et concis, les faits historiques - les deux registres se répondent
et s'enrichissent, illustrés par une soixantaine de photos de
famille et d'archives. Ainsi, à sa façon très personnelle,
avec dignité et sensibilité, l'auteur a-t-elle réussi
à dire l'indicible.
Table
des matières :
Préface de Jacques Attali
- Carnet de Brocha Katz-Jankelevitch
- Les chiffres
- Après les Aktions
- Le sort des bourreaux
- Le héros
- L'histoire de la Lettonie
- Extraits du témoignage d'Elie Wiesel au procès de Klaus
Barbie (Lyon, 1987