Madame Tereska Torrès
Par Daniel Laurent

Une Française libre

 

Tereska Torrès est née en 1920 à Paris, ses parents, le sculpteur Marek Szwarc et son épouse, Guina, sont des juifs polonais. En 1940, suite à la fulgurante avancée allemande, Tereska et sa mère se réfugient en Angleterre via Lisbonne. Son père, qui combattait dans les forces armées polonaise de France, est évacué de la Rochelle par la Royal Navy britannique. A Londres, Tereska, qui n’a pas encore 19 ans, s’engage chez les « Volontaires Françaises » (le Corps féminin des Forces Françaises Libres du général de Gaulle).


Elle est la 16ème femme engagée chez les V.F. Elle travaille au Quartier Général de Carlton Gardens, ensuite au BCRA, puis elle suit les cours de l’école d’officiers à Camberley. En Mai 44, elle épouse Georges Torrès, qui fait partie de la 2éme Division Blindée du Général Leclerc. La mère de Georges Torrès a épousé Leon Blum et se trouve avec lui à Buchenwald. Georges Torrès est tué en Octobre 1944, sur le front des Vosges, au cours des combats pour la Libération. Leur fille, Dominique naitra quatre mois après la mort de son père.


En 1947, elle participe au tournage du documentaire « les illégaux » sous la direction de Meyer Levin, ecrivain americain , film qui retrace toute la route suivie par des survivants des camps de concentration, qui, après la guerre, tentent de rejoindre la Palestine sur des bateaux clandestins.
A l’arrivée à Haiffa, Meyer Levin et elle sont mis en prison par les Britanniques. Le journal qu’elle a tenu pendant tout ce voyage , n’a jusqu’ici eté publié qu’en Allemagne sous le titre « Unerschrocken» (nous n’avons pas peur).


En 1948, Tereska épouse Meyer Levin à Paris, puis, sur les conseils de son mari, publie aux USA un roman de fiction au sujet de son expérience de guerre sous le titre Women’s Barrack. Ce « pavé dans la mare » aborde de manière candide les problèmes des femmes vivant dans la caserne et en autres la question de quelques relations lesbiennes dans cet environnement militaire. Ce livre fut vendu à 4 millions d’exemplaires aux USA, traduit en 13 langues et valu à Tereska d’être prise à partie par la commission parlementaire américaine sur les matériaux pornographiques…ce qui n’empêcha pas une republication à New York en 2003 qui fut saluée par toute les organisations féministes américaines. Ce livre, à la demande de l’auteur, n’a jamais été publié en France.
En 1963, Tereska accompagne Meyer Levin, son mari, en Ethiopie pour le tournage du premier documentaire sur la vie des Juifs noirs d’Ethiopie, les « Fellashas » bien avant leur retour en Israël.
Elle retournera en Ethiopie dans les années quatre vingt, plusieurs fois, à l’époque d’une grande famine et au moment de « l’Opération Moise » Elle vit maintenant à Paris.


Bibliographie (partielle) :

Le sable et l'écume, 1945, Gallimard.
Women's Barracks, 1950, Fawcett's Gold Medal.
The Converts, 1970, Knopf (New York).
Les poupées de cendre, 1972, Le Seuil et Phébus.
Les maisons hantées de Meyer Levin, 1974, Denoël et Phebus
Une Française Libre, 2000, Le Seuil et Phébus
Le Choix, 2002, Desclée de Brouwer (Paris). Une version existe également en Polonais, Pamientnik na trzy glossy, Znak, Varsovie.
Le livre qu’elle a écrit sur ses aventures en Ethiopie, Le pays des chuchotements, n’a pas encore été publié.
Quelques informations complémentaires (en anglais) :
http://www.marekszwarc.com/
http://en.wikipedia.org/wiki/Tereska_Torres


Madame Tereska Torrès a fort aimablement accepté de nous en dire plus. Qu’elle en soit vivement remerciée car rares sont les auteurs qui acceptent ainsi d’aller au devant de leur public sur des plateformes internautiques.

Daniel Laurent : Ou se situe le « déclic » qui vous a fait prendre la plume dés votre plus jeune âge ?

Tereska Torrès : Peut être parce que j’étais fille unique et d’écrire mon journal remplaçait une soeur ?
Peut être aussi parce que ma mère écrivait (Le porteur d’eau, Plon 1931).


DL : L’une des particularités des volontaires FFL fut que leurs motivations étaient très variées.
Quelles furent les vôtres ?


TT : J’étais la première française dans ma famille, mes parents étant polonais. J’aimais passionnément la France, j’avais honte de la défaite. Je voulais participer à la guerre aux cotés des Anglais. Pour l’honneur de la France.

DL : Avez-vous eu l’occasion à Londres d’approcher Charles de Gaulle ? Si oui, qu’en avez-vous retenu ?

TT : Je le voyais souvent monter ou descendre des escaliers au Quartier Général, mais je ne l’ai jamais approché. Un jour il m’a souri en passant !

DL : Votre père s’est battu en France en 1940 au sein des Forces Polonaises. Vous a-t-il parlé de ses combats ?
Si la présence d’unités polonaises à l’Ouest entre 19343 et 1945 est connue, ceux de 1940 le sont moins, d’où ma question.


TT : Mon père m’a non seulement parlé de sa vie dans l’armée polonaise en exil de 1940 à 1943 en Angleterre, mais pendant ces années il a dessiné beaucoup de portraits de soldats et d’officiers de cette armée dans leur vie quotidienne. C’est un document historique unique pour la Pologne. On peut consulter ces dessins à l’Association YIVO à New York.

DL : Vous êtes retournée en Pologne avec Meyer Levin en 1947. Y êtes-vous retournée depuis ?
Avez-vous gardé des liens, des attaches avec le pays de vos parents ?


TT : Oui, je suis retournée en Pologne après la guerre. Une fois pendant le tournage du film « les illégaux»
puis en rapport avec mon livre publié en Pologne Pamientnik na try glossy. J’avais encore une cousine en Pologne mais elle morte depuis.


DL : Fille de parents juifs clandestinement convertis au catholicisme, vous êtes revenue vers le judaïsme.
Les horreurs de la guerre et de la Shoah y sont-elles pour quelque chose ?


TT : Mes parents se sont convertis en secret au Catholicisme en 1919, comme je le raconte dans Le choix et The converts. En secret pour ne pas faire de peine à leurs familles. Et ils se sont convertis par conviction religieuse. Ils n’ont jamais cessé de se considérer juifs mais pas de religion. Je ne suis jamais « revenue vers le judaïsme ». Comme mes parents, je me sens appartenir à la nation juive mais pas à sa religion.
Je connais bien Israël ou j’ai parfois habité et ou l’un de mes fils vit. J’aime Israël mais pas sa politique.


DL : La publication en 1950 de Women's Barracks qui fut le premier roman parlant de la situation de celles que l’on appelait encore des « déviantes sexuelles », voire pire, a jeté un pavé dans la mare. Quel était votre but en prenant cette initiative ?

TT : Je ne pensais pas du tout en écrivant un roman basé sur la vie de 5 filles dans l’armée que les expériences sexuelles de l’une d’entre elles et des descriptions qui me semblaient très innocentes allaient faire un tel scandale aux Etats Unis. Mais c’était en 1951 et les choses ont changé. Je ne pense pas qu’aujourd’hui ce roman soulèverait tant de polémiques. Je trouve curieux que des féministes y aient vu autre chose qu’un roman parlant de femmes dans une armée et de leurs différentes expériences en temps de guerre.

DL : Ce livre n’a jamais été publié en France, à votre demande. Pourquoi ?

TT : J’avais tenu un journal pendant la guerre et ce journal racontait la vérité, pas de la fiction.
Après « Une Française Libre », je trouvais que c’était diminuer l’impact du journal que de le faire suivre par la publication d’un roman en France au même sujet, qui n’ajoutait rien. Au contraire.


DL : Avez-vous eu le temps de visiter notre forum et notre publication Histomag’44 ? Si oui, que pense le témoin de la guerre et l’écrivain professionnel que vous êtes de ces initiatives d’amateurs ? Vos éventuelles remarques et conseils nous seraient extrêmement précieux.

TT : Oui j’ai regardé Histomag 44 et votre Forum. Je trouve ce travail remarquable et très important.
Surtout pour atteindre un public jeune qui s’intéresse davantage à ce qu’il voit sur l’internet que ce qu’il…ne lit pas dans des livres. Continuez !

Une Française Libre.

Le livre tiré du Journal de Tereska Torrès raconte au jour le jour cinq années d'une jeune fille d'abord, d'une femme ensuite.
Dès les premières pages, le lecteur est séduit. Ce n'est pas une autobiographie.
C'est le journal d'une écolière qui consigne simplement tout ce qui lui arrive, tout ce qu'elle voit, tout ce qu'elle entend, tout ce qu'elle ressent.

« Depuis l'âge de neuf ans, j'écris tous les jours sur des cahiers d'écolières. Ils se sont accumulés et je suis dans ses pages le passage des années, j'entends mes différentes voix d'enfant, de jeune fille, de femme : toute ma vie est là ».

La partie que publient les éditions Phébus est celle de la guerre de 1939-1945. « En juin 1939, j'avais passé mon premier bac. C'est l'été, je suis en vacances au bord de la mer avec mes parents.
Le 3 septembre, je commence un nouveau cahier.... » (Tereska Torrès)
Le 3 septembre c'est l'invasion de la Pologne par les nazis. Le 18 juin 1940, elle écrit "la France a repris les armes"... je suis allée passer mon bachot à Bayonne.
"Elle rejoint l'Angleterre. Elle se lance crânement dans l'action. Autour d'elles, tous les jours, la mort frappe.... à Londres sous les bombes ou ailleurs, ses amis tués au combat. Elle s'inscrit dans l'armée féminine de la France libre... "Auteur et éditeur assurent que ce "Journal" a été publié tel qu'il fut écrit, sans y apporter la moindre retouche.
On les croit volontiers et c'est ce qui donne tout son poids à ce témoignage exceptionnel" (André Lafargue, Le Parisien)



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