Lorsque
le 24 mai 1915, l'Italie, conformément aux accords du traité
de Londres puis de Saint-Jean-de-Maurienne, déclare la guerre
à l'Autriche-Hongrie et va mener du 23 juin 1915 au 6 juin 1917
les 10 batailles de l'Isonzo, fleuve à la frontière orientale.
Batailles frontales, voulues par le généralissime Cadorna,
sanglantes avec des gains de terrain insignifiants par rapport aux pertes
subies mais immobilisant des troupes de l'empire habsbourgeois utiles
au front de l'Est.
Très tôt, le Commando Supremo s'intéresse à
l'utilisation d'unités expérimentées, capables
de préparer le terrain à l'infanterie par la destruction
des barbelés, des points d'appui ennemis ou de mener des patrouilles
afin de ramener des prisonniers. Ce sont les esploratori (éclaireurs),
appelés aussi les compagnies de la mort en raison du nombre élevé
de pertes, reconnus pour être audacieux ou arditi.
La
création des Arditi :
L'expérience acquise par ces troupes mobiles intéresse
le major Giuseppe Bassi et organise dans le camp de Mussig,le 5 juillet
1917 la première unité d'assaut italienne, à l'instar
des Sturmtruppen : les Arditi. Initiative approuvée par le général
Cadorna, le nouveau camp d'entrainement est ouvert à Sdricca
di Manzano et dirigé par Bassi promu lieutenant-colonel.
La première unité créée appelée I°
Reparto d'Assalto est rattaché à la 2ème Armée
le 5 juillet, suivi du IV Reparto d'Assalto assigné à
la 4ème Armée et la 2ème Armée constitue
en août un II° Reparto d'Assalto.
Les Arditi bénéficiaient d'une meilleure nourriture, de
permissions plus fréquentes (pour les survivants du moins), d'une
solde plus élevée et n'étaient pas soumis aux contraintes
du régime des tranchées, ni des tournées de garde
et étaient cantonnés à l'arrière. La montée
au front se faisait en camion. L'entrainement était quotidien.
L'afflux de volontaires rendit la sélection plus exigeante ce
qui infirme la légende que les Arditi criminels de droit commun,
il pouvait s'agir de soldats punis par des tribunaux militaires envoyés
dans un but de réhabilitation, rappelons que les tribunaux militaires
italiens furent parmi les plus implacables.
La
tenue-les insignes-l'équipement :
Pour différencier ce corps d'élite et en raison de l'entrainement
intensif mené à Sdricca di Manzano -utilisation du lance-flammes,
maniement des grenades et de la dague de combat et connaissance de l'armement
ennemi-, et entretenir un esprit de corps, une nouvelle tenue est adoptée.
La vareuse est celle des unités de bersaglieri cyclistes, avec
col ouvert, 2 poches pectorales, un pull à col roulé porté
par-dessous, remplacé l'été par une chemise gris-vert
avec une cravate noire. Les pantalons provenaient du corps des Alpini
parfois des Bersaglieri. Les chaussettes montantes remplacent les fastidieuses
bandes molletières. Les hommes de troupe portent le fez noir
à pompon, héritage des bersaglieri (leur fez est couleur
cramoisi) qui l'adoptèrent durant la guerre de Crimée,
cadeau des Zouaves français reconnaissant la valeur de ces troupes
au combat.
L'insigne distinctif est cousu sur le bras gauche, représentant
un glaive romain avec au bout du manche une tête d'aigle, et l'inscription
FERT sur la garde. Il est entouré d'une branche de laurier (symbole
de victoire) et une branche de chêne (symbole de force) lacés
par le noeud des Savoia. Cet insigne sera repris plus tard par la RSI
en 1943, sans le noeud et l'inscription FERT, effaçant le nom
honnis de la famille royale.
La mostrina ou patte de collet, consubstancielle à l'armée
italienne est une double flamme noire avec une étoile à
5 branches en argent.
Pour les Arditi provenant du corps des Alpini, ils conservent leurs
mostrine verte identifiant ce corps ainsi que le couvre-chef montagnard
porté avec une plume de corbeau pour les hommes de troupe.
En ce qui concerne les Bersaglieri, ils conservent également
la double flamme cramoisie et parfois aussi le fez de la même
couleur et au combat le célèbre casque orné de
plumes de chapon.
La dague de combat est l'arme fétiche des Arditi, qui sont souvent
représentés arborant ce poignard au poing ou entre les
dents ! Les Autrichiens avaient fait courir le bruit que les Arditi
étaient des Siciliens, réputés pour leur adresse
au couteau et les duels "d'honneur". Cette arme blanche était
fabriquée à partir d'une baïonette Vetterli-Vitali
ou provenait d'une prise sur l'ennemi. Elle faisait parti intégrante
de la tenue, portée près de la boucle de ceinturon. Parfois,
des encoches étaient taillées pour indiquer un assaut
ou un corps-à-corps.
Outre le poignard, l'armement individuel était constitué
par le mousqueton mod.91 TS (pour Truppe Speciale), dérivé
du Mannlicher-Carcano mod 1891. Le pistolet à 6 coups Bodeo m1889
était l'arme des officiers ainsi que le Glisenti 9mm mod.1910
ou le Beretta 9mm mod.1915.
L'utilisation intensive de la grenade à main différenciait
essentiellement les Arditi aux autres fantassins.
Le pettardo Thevenot avait la préférence, fabriqué
en France, d'un poids de 400 grammes, portant sur un rayon de 5 à
10 m. Outre l'armement individuel, les unités d'Arditi possédaient
un nombre de mitrailleuses plus important, 8 par unité. Le fameux
pistolet-mitrailleur FIAT mod.1915, plus connu sous le nom de Villar-Perosa
avait été modifié par le lieutenant-colonel Bassi
en l'allégeant avec la pose d'un bi-pied. Les lance-flammes était
au départ d'origine française, remplacé par un
modèle italien plus léger. Enfin, chaque reparto avait
une section de 4 mortiers de 65mm.
Ardito
Bersagliere avec son casque à plumet de chapon (DR)
Répartition
des Reparti d'Assalto (Unités d'assaut) :
Les 5000 Arditi formés étaient jusqu'au début 1918
repartis de la manière suivante :
1ère Armée : I, II, III, IV, IX, XVI, XXIII, et XXIV Reparti
d'Assalto
2ème Armée : X et XVIII Reparti d'Assalto
3ème Armée : XIX, XX, XXI et XXII Reparti d'Assalto
4ème Armée : V, VI , VII et VIII Reparti d'Assalto
5ème Armée : XI, XII et XIII Reparti d'Assalto
3ème Corps d'armée : XVII Repato d'Assalto.
Baptême
du feu des Arditi :
C'est lors de la 11ème bataille de l'Isonzo, sur la plaine de
Bainsizza que furent utilisés pour la première fois les
Arditi. Les 1ère et 2ème compagnies du I° Reparto
d'Assalto sous les ordres du lieutenant-colonel Bassi franchissent l'Isonzo
durant la nuit du 18 au 19 août 1917, prennent position sur le
monte Fratta en attendant l'arrivée de l'infanterie le 20. 500
Austro-hongrois sont capturés avec 8 mitrailleuses et 4 mortiers
pour un nombre infime de pertes dans les rangs des Arditi.
Une autre action d'éclat est la prise du Monte San Gabriele le
4 septembre suivant par 3 compagnies d'Arditi. Après une minutieuse
préparation d'artillerie, les Arditi s'élancent, nettoient
les tranchées à la grenade, s'emparent des fortifications
ennemies et occupent le sommet. La moisson est abondante : plus de 3000
prisonniers dont un général, 55 mitrailleuses et 26 canons
de tranchées pour 61 tués et environ 200 blessés
sur 500 Arditi engagés. Cette action était accomplie sous
l'oeil du roi et d'observateurs étrangers.
Groupe
d'Arditi Bersagliere (DR)
Caporetto
et la controverse :
Lors
de l'offensive austro-allemande de Caporetto, le 24 octobre 1917, les
Arditi sont utilisés comme fantassins classiques en raison de
la débandade générale, seuls à pouvoir retarder
l'inexorable avance jusqu'au Tagliamento puis jusqu'au Piave. Ils se
livrent à des pillages, les troupes étant livrées
à elles-mêmes, sans ravitaillement.
La
réorganisation :
Décembre 1917, les survivants des Reparti d'Assalto sont retirés
du front et réorganisés. Le nombre de Reparti atteint
21. Ils ne sont utilisés que pour des actions offensives ponctuelles.
En juin 1918, les Arditi sont à nouveau réorganisés.
9 Reparti di Marcia (unités d'assaut de marche) sont créés
et assignés à une armée. 2 divisions d'assaut sont
mises sur pied sous les ordres du général Grazioli regroupant
12 Reparti, 14 Reparti étant attribués aux armées
dont 2 iront combattre en France au sein du II Corpo d'Armata du général
Albricci en France (le II° et le XXXII°). Le colonel Bassi,
opposé à ces mesures, est muté dans un régiment
classique.
Les
derniers combats :
Lors de la dernière offensive autrichienne en juin 1918, le IX°
Reparto du commandant Giovani Messe, positionné dans le secteur
du Monte Grappa, va en 3 jours reprendre les cols Fagheron, Ferilon
et le col Moschin, reconquis en seulement 10 minutes, le 16 juin 1918.
Au col Beretta, ce IX° Reparto se fit décimer, perdant 400
Arditi sur 500 et 28 officiers sur 30.
Le 24 octobre 1918, l'offensive finale italienne débutait. Les
2 divisions d'assaut le Piave en crue au nord et au sud de Montello.
La 1ère division d'assaut ne réussit pas à franchir
le fleuve en raison de la forte opposition, la 2ème division
put remplir sa mission et permettre l'offensive sur Vittorio Veneto.
Le 4 novembre, l'Autriche capitulait, mais l'Italie sortait de la guerre
exsangue, 574 000 morts et un pays au bord du gouffre et une situation
sociale explosive.
Avec
d'Annunzio à Fiume :
La fin de la guerre sonna le glas pour le corps des Arditi, l'état-major
décida de les dissoudre craignant une politisation de cette "nouvelle
aristocratie des tranchées".
La propagande contribua fortement à leur prestige, la fin des
hostilités fut pour beaucoup une forte désillusion.
Les Futuristes magnifièrent l'esprit de corps, désignant
les Arditi comme l'avant-garde de la nation.
L'un d'entre eux, Mario Carli fonda l'association des Arditi. Mussolini,
en jouant habilement sur les sentiments nationalistes va récupérer
nombre d'entre eux, qui seront présents lors de la création
des fasci de combattimento, place San Sepolcro à Milan le 23
mars 1919.
Le poète-condottiere Gabriele d'Annunzio, partant de Ronchi avec
une poignée de "légionnaires" pour occuper Fiume
au mépris de l'interdiction du gouvernement italien, avait intégré
dans ses rangs les Arditi venus lui barrer la route. Cette mutinerie
annonce leur dissolution en 1920.