Avec le Corps de Cavalerie Sordet
Le 31 juillet 1914, le 16e régiment de Dragons quitte le quartier Louvois de Reims pour rejoindre le Corps de Cavalerie Sordet dans le région de Sedan. Il est rattaché à la 5e division de Cavalerie du général Bridoux qui succédera au général Sordet en septembre 1914. Sans artillerie de soutien, ni infanterie et reconnaissance aérienne, le Corps de Cavalerie doit se débrouiller pour trouver le ravitaillement et le fourrage nécessaires.
A la déclaration de guerre, le 4 août, il a pour mission de pousser jusqu'au camps retranché de Liège, en effectuant des reconnaissances et ensuite d'engager le corps de cavalerie allemand von Richtofen.
Mais les uhlans évitent soigneusement toute bataille rangée en entraînant les dragons vers les mitrailleuses allemandes, tactique qui à défaut de panache s'avère meurtrière. Le C.C. Sordet arrive à peine aux environs de Liège qu'il doit rebrousser chemin pour se porter à la jonction du B.E.F. (Britisch Expeditionnary Force) et de la 5e armée Lanzerac vers Namur. Cette chevauchée inutile est désastreuse, les chevaux sont prématurément usés par ces marches et contremarches sous un soleil de plomb. Le 23 août, le 16 R.D. se replie sur Maubeuge, livrant des combats retardateurs. Ce qu'il reste du flamboyant corps de cavalerie devient la Division Provisoire, affectée à la protection de la 6eme armée Maunoury. Évacué sur le camps retranché de Paris, le régiment est transféré par rail le 6 septembre de Versailles sur le Plessis-Belleville. Aussitôt débarqués, les dragons sont au contact de la cavalerie adverse dans la région de Villers-Cotterets et mène de durs combats autour de Betz.
La Division Provisoire est dissoute le 8 septembre, le général Sordet faisant les frais de la vague de limogeages entrepris par Joffre. Il est remplacé par le général Bridoux.
Derrière les lignes ennemies.
La 5eme Division de Cavalerie est passée sous les ordres du général de Cornulier-Lucinière, succédant au général Bridoux. La contre-offensive française qui va aboutir à la victoire de la Marne est en route.
Les dragons, repliés dans la forêt de Villers-Cotteret, mènent des combats de harcèlement sur les unités de la Iere Armée de von Kluck en retraite, détruisant des convois et semant la panique sur les arrières allemands.
Le 2eme escadron du lieutenant de Gironde est envoyé en reconnaissance sur la route de Villers-Cotteret à Soissons le 9 septembre. Progressant à travers bois dans une contrée hostile, l'escadron se retrouve coupé des lignes françaises. Repéré par les uhlans, il doit se réfugier dans une ferme isolée : la ferme Chauffour.
Chevaux et dragons sont épuisés, mais il n'y a pas d'autre alternative que de continuer à travers bois guidés par un fermier qui leur montre un gué. L'effort a été trop grand, des chevaux s'effondrent, ils ont besoin de repos et la ferme de Vaubéron qui se présente au loin est l'ultime refuge, c'est la nuit et les Allemands sont dans tous les villages environnant. L'escadron se retranche dans la ferme, le fermier: monsieur Ferté et sa femme rallument le feu, les dragons s'allongent sur les paillasses, les chevaux ne sont pas dessellés.
De Gironde n'a pas l'intention de les laisser aux Allemands et compte leur couper les tendons.
Il fait part de son projet au sous-lieutenant de Kérillis, chef de peloton. Leur discussion est interrompue par l'arrivée d'un paysan qui leur indique que non loin de la ferme, près du chemin qui mène à Vivières les Allemands ont installé un parc d'aviation. Huit avions, exactement, des Aviatik, gardés par des sentinelles : c'est une occasion inespérée pour l'escadron de rendre un grand service que de détruire ces appareils de reconnaissance. De Gironde rassemble ses chefs de peloton: Villelume, Ronin, Gaudin de Villaine et de Kérillis.
Un plan d'attaque est mis au point: les pelotons de Kérillis et Villelume mettront pied à terre, le long de la route et ouvriront le feu avant que le peloton Gaudin de Villaine ne charge sur les avions. Le peloton Ronin reste en réserve à la Râperie. De Gironde participera à l'assaut avec le peloton Gaudin de Villaine. Lance contre avion. Les hommes sont réveillés et se rassemblent dans la cour de la ferme. A 1H30 du matin, l'escadron est en route. Guidés jusqu’au carrefour de la Râperie par le paysan qui leur avait signalé l'escadrille, deux hommes et un maréchal des logis partent en reconnaissance et reviennent au bout de vingt minutes : l'escadrille est bien là, à six cents mètres. Tandis que les dragons des pelotons Kérillis et Villelume mettent pied à terre pour prendre position, en rampant face aux Aviatik ; de Gironde, à la tête du peloton Gaudin de Villaine, fait faire un arc de cercle pour le ramener à la droite de de Kérillis. Une sentinelle allemande repère un dragon couché qui ouvre le feu. Aussitôt de Kérillis ordonne de tirer trois salves. C'est au tour des dragons à cheval de charger, lance basse. Une mitrailleuse allemande montée sur affût dans une voiture, entre en action. Une seule rafale réussit à mettre hors combat le peloton Gaudin de Villaine, son chef et de Gironde fauchés en pleine action.
Kérillis se précipite vers son chef agonisant, il n'y a plus rien à faire. De Gironde décédera à l'hôpital de campagne que les Allemands ont établi près du château de Vivières. La mitrailleuse est mise hors d'état de nuire après un âpre combat au corps-à-corps. Les dragons se précipitent sur les avions qu'ils détruisent à coups de hache, s'acharnant sur les tableaux de bord, déchirant les toiles... Les Allemands, revenus de leur surprise, se reprennent. L'officier commandant l'escadrille, parabellum à la main abat plusieurs Français, laissant d'horribles blessures : il utilise des balles expansives. De Kérillis pointe son arme vers lui, deux détonations, l'officier allemand est mort, de Kérillis gravement blessé. Le sous-lieutenant Ronin, qui a entendu la fusillade fait s'élancer son peloton, repéré par des phares d'autos, les dragons font demi-tour sur la Râperie, mettent pied à terre et vont à la rencontre de leurs camarades. Un peloton cycliste allemand vient prêter main-forte, les dragons doivent décrocher. Les 27 survivants dont huit blessés, commandés par de Villelume et Ronin se retirent dans la nuit. Les chevaux sont fourbus. Les hommes épuisés, affamés n'ont plus de munitions.
A la poursuite de l'escadron fantôme. Avant le lever du jour, ils trouvent la ferme de Hautefontaine, proche de Montigny-l'Engrain. Vers 6H00, un Aviatik survole la ferme à basse altitude, peu après les Allemands se présentent à la ferme, les dragons doivent décamper. Les chevaux tombent, morts de fatigue ou par les shrapnells qui s'abattent sur eux. Des uhlans les suivent mais n'osent engager le combat. Dans le village de Saint-Etienne, les civils proposent aux cavaliers de se changer en civil et de se fondre parmi la population.
Seuls Ronin et Villelume gardent leur tenue. Ils se cachent dans une cave et s'endorment instantanément.
Le lendemain 11 septembre, du fond de leur cachette, les deux officiers contemplent la retraite allemande.
Un convoi d'artillerie est en train de passer lorsqu'un sous-officier met pied à terre et se dirige vers la cave.
Il aperçoit les deux hommes et court donner l'alerte. Aussitôt c'est la ruée, des coups de feu sont échangés, un officier allemand tombe tué net par Villelume.
Puis d'un seul coup, plus rien. Des bruits de pas, des voix : « rendez-vous, ou nous allons être fusillés ! ».
Ce sont les propriétaires de la cave, pris en otage. Les deux officiers sortent de leur cachette, jettent leurs armes, s'attendant à être fusillés, mais c'est la captivité qui les attend.
Le lieutenant de Kérillis.
Le lieutenant de Kérillis est laissé pour mort dans le parc d'aviation de Vivières. Mais il est juste blessé et étendu au sol. Deux autres survivants le traînent et le portent jusqu'à la Râperie. Ils sont rejoints par d'autres dragons, en tout six ou sept. A trois kilomètres, ils pénètrent dans le village de Montigny-l'Engrain qui par chance n'est pas occupé. Les hommes sont cachés, habillés en civil, les chevaux dissimulés.
De Kérillis est transporté chez le curé, l'abbé Saincir qui lui soigne ses blessures : une balle a traversé l'épaule, l'aine lui fait terriblement mal suite à un coup. Il est transporté chez un fermier. L'ennemi ne tarde pas à faire son apparition : à six heures du matin, la ferme est réquisitionnée ! Pendant trois jours, de Kérillis côtoie les officiers allemands qui le prennent pour un tuberculeux. Il réussira à faire passer des messages à l'état-major français.
Le 13 septembre, le bruit de la canonnade se fait de plus en plus proche : les Allemands reculent.
Des fantassins en pantalon garance se présentent : de Kérillis n'a plus rien à craindre ! Il continuera la guerre dans l'aviation et deviendra par la suite journaliste.
Sources : L'escadron de Gironde , René Chambe. Editions Baudinière 1935. 14-18 , le magazine de la Grande-Guerre, n° 15 et 21.