Les combats de la poche de Falaise
Par Prosper Vandenbroucke

Tank Sherman

 

La bataille de Normandie évoque pour beaucoup d'entre nous le débarquement du 6 juin 1944, la percée d'Avranches, les combats pour Cherbourg, les parachutistes à St-Mère-Eglise etc... mais nous oublions trop souvent que les combats ont duré prés de deux mois. En effet, cette bataille ne s'est terminée que lorsque les derniers soldats allemands en retraite auront traversé la Seine aux environs du 22 ou 23 août 1944, c’est à dire quinze jours seulement avant la libération de Bruxelles. Le récit de la Bataille de la Poche de Falaise que je vous livre ci-dessous, vous fera connaître un épisode curieusement assez méconnu de cette bataille.

Pourtant des lieux comme, Chambois, Moissy, Trun, Mont-Ormel, Coudehard, Boisjos sont des villages qui ont connus des combats sanglants et sans merci. Les Allemands eux-mêmes ont appelé leur chemin de retraite :
"Le Couloir de la Mort". Lorsque le voyageur venant de Paris et se dirigeant sur Granville arrive aux abords immédiats du Bourg Saint-Léonard, s'il jette un regard sur sa droite, il découvrira une large et profonde vallée limitée à l'horizon par de hautes collines escarpées. L'une d'elles est dominante, c'est la cote 262, à l'assaut de laquelle serpente la départementale N° 16 En sortant de l'agglomération ses regards seront limités à une luxuriante frondaison qui, après Silly, s'étendra vers le sud, jusqu'aux abords de Sai. C'est la forêt de Gouffern.
Au sortir de la forêt qu'il verra s'estomper vers le nord-ouest derrière Crennes, il débouche dans la riche plaine d'Argentan, qui n'est qu'une périphérique des plaines de Caen -Falaise. La forêt de Gouffern couronne la ligne de démarcation des bassins de « l'Orne » et de « la Dives ». Dans sa partie nord, longeant la large vallée entrevue au Bourg Saint-Léonard, une brusque dénivellation vient s'éteindre dans la vallée. C'est dans cette forêt et cette vallée que la 7ème armée allemande connut sa défaite totale.

La vallée, ou plutôt un plateau d'une élévation moyenne de 110 mètres, large de 7 à 8 kilomètres, est ceinturée au sud, à l'est et au nord par une ligne de collines continues ne présentant que de rares trouées.
Seule, la vallée de « la Dives » forme goulot à cette espèce de nasse.Dans l'espace compris entre Le Bourg-Saint-Léonard - Exmes - Saint-Pierre-la-Rivière et Chambois, c'est une riche et fertile plaine où sont cultivées céréales et légumineuses. Au nord de cette plaine, au¬ delà de la rivière que longe la départementale N°13, s'instaure un bocage dont les herbages de petites dimensions sont clos par des haies vives, jalonnées d'arbres de haut jet et de grandes souches portant leurs rameaux ; beaucoup de ces herbages sont plantés de pommiers, offrant ainsi l'aspect d'une petite futaie. Là nous sommes en Pays d'Auge.Après Chambois, vers le nord -ouest, comme si elle voulait tout à coup se libérer des entraves de la forêt et de la rivière, la plaine saute « la Dives », traverse la départementale et s'enfonce vers le nord pour former cet ensemble dit « Plaine de Trun »

Cette plaine ne présente que quelques ondulations de terrain peu importantes, entre Exmes et Trun elle est parsemée de petits boqueteaux de sapins et de fractions de haies sans solution de continuité. « La Dives » qui, au centre de la vallée, étire ses méandres, proche de sa source, n'a qu'un faible tirant d'eau sa largeur n'est que d'une dizaine de mètres, mais elle s'est creusée sur tout son cours, un lit profond entre des berges à la verticale, de plusieurs mètres de hauteur.
C'est un fossé anti-chars que la nature a réalisé.
Pour la clarté des ultimes combats, je vais essayer de décrire ce chemin, que les Allemands appelleront « Le Couloir de la Mort » et la colline de « Boisjos ». Lorsque l'on va de Chambois à Trun, après avoir traversé la petite plaine en bordure du cimetière, on rencontre un hameau d'une douzaine de maisons, c'est le village de Moissy.
De ce point, orienté au sud, un chemin de terre descend vers « la Dives », qu'il traverse à gué, au lavoir de Moissy. Une planche. jetée sur la rivière, permet au piéton de continuer sa route, Le chemin rectiligne continue sa course en longeant, d'un côté, une propriété, clôturée de haies vives qu'ombragent quelques grands arbres, et franchit la route qui relie Fel à Tournay. C'est à ce point de jonction que commence le « Couloir de la Mort ». A droite, se dirigeant vers le nord, une route vicinale s'engage dans le village qu'elle traverse pour aller gagner la ferme de Hennecourt, au-delà de laquelle, un chemin de terre non carrossable, peu fréquenté, et qu'encombre une abondante végétation la prolongera pour aller rejoindre auprès de la cour du Bosc, le chemin vicinal, dit de Chambois à Neauphes.
Cette section de route et chemin, sur la plus grande partie de son itinéraire, est encaissée par les herbages en surélévation bordés de haies vives et d'arbres, constituant ainsi un défilé à l'abri des regards indiscrets.

Parallèlement, face à l'est et à distance proche, dans une légère dépression du sol, sillonne un espèce d'oued, qui ne coule qu'au moment des pluies, il s'est creusé un lit étroit et profond servant d'abornement pour le partage des terres, il est, sur chaque rive, bordé de haies vives et d'arbres, laissant croire que cette tranchée naturelle n'est qu'une simple haie, A gauche de la route vers l'ouest, et toujours dans la ligne sensiblement parallèle, la crête de la légère ondulation est à limite du bocage et de la plaine, formant par les levées des fossés et le couvert de ses haies; une ligne de défense avec un glacis découvert.

La route et ses abords sont donc favorables pour la défense dans un combat d'infanterie.
Il ne faudra pas s'étonner si les Allemands fournirent là une résistance farouche aux derniers jours de la bataille.
Au nord et dans l'axe du « Couloir de la Mort », à environ 2 kilomètres de son débouché, s'élève la côte 262 dite de  « Boisjos », point culminant, surplombant la plaine environnante de ses 150 mètres et dont l'escarpement atteint par endroits plus de cinquante pour cent. Son flanc recèle quelques boqueteaux et des épineux, au milieu desquels apparaissent de maigres pâturages. Une pittoresque et fine silhouette se profile sur son flanc droit.
C'est la charmante petite église de Coudehard au-dessus de laquelle le sommet de la colline est agrémenté d'une partie boisée. A l'ouest, un grand herbage s'étend sur le plateau, donnant à cette partie de colline l'aspect d'une pente assez dénudée. Un léger vallonnement abrite un bosquet, ce n'est autre que les arbres qui recouvrent la motte d'une forteresse primitive, derrière laquelle se dissimule le manoir de Boisjos. C'est dans ce décor, digne d'une plus humaine admiration., que la 10ème division polonaise livrera son combat le plus sanglant de la guerre, pour arrêter l'Allemand, qui n'avait plus d'autre issue. Coïncidence, l'ordre de marche des armées alliées progressant au nord et au sud, précise que la 1ère armée canadienne et le 15ème C.A. US., doivent opérer leur jonction à ce point. Jonction qui s'opéra dans Chambois même .

LA BATAILLE

Le dimanche 13 août, dès le matin, la garnison allemande, qui occupe Le Bourg-Saint-Léonard, se retire, ne laissant que quelques hommes dans un élément de tranchée près de la poste. Elle abandonnait dans le parc du château un dépôt considérable de vivres, que la population, privée de pain depuis plusieurs jours, met immédiatement à profit pour se ravitailler. Toute la matinée, les abords de la forêt sont battus par le feu de l'artillerie alliée. Vers midi, une fusillade éclate, suivie d'une détonation. C'est un « Sherman » qui tire dans la tranchée que les Allemands viennent de quitter pour se réfugier en forêt. Deux autres chars suivent et s'installent au village. C'est la pointe d'avant-garde de la 80ème division américaine d'infanterie qui est stationnée à Almenêches.
Dans la nuit du 12 au 13 août la 5ème D. B. U. S. et la 79ème D. I. U. S. sont parvenues à Nonant-le-Pin, poussant leur progression jusqu'à « La Castelle », située à l'intersection des routes , N 138 et D. 4, à 6 kilomètres de Gacè, où les Américains s'organisent pour, au matin, avec leur artillerie, ouvrir le feu sur une batterie allemande installée à Bellefontaine. Au début de l'après-midi quelques chars s'avancent en direction de Gacé, mais sont attaqués par les Allemands installés au-dessus du ruisseau du Bouillonnay; l'artillerie et les mortiers américains répondent à l'ennemi. Les chars pousseront jusqu'à l'église de Coulmer, faisant alors demi-tour pour nettoyer le bois du Bouillonnay et les abords du ruisseau du même nom. D'autres chars s'avancèrent sur la route de Vimoutiers pour s'emparer du carrefour de La Boulaie, bloquant, dès leur arrivée, une auto blindée allemande venant de Gacè pour occuper le carrefour. Près d'Argentan, une patrouille venant du sud de Sai, composée de deux chars et de deux mitrailleuses, guidée par un médecin argentanais, parvient sur la 24 bis, à l'auberge Beaugé, faisant prisonnier un Polonais enrôlé dans la Wehrmacht. Sur la route Gacè-Chambois, un groupe de résistants abat, à a mitraillette, un officier et des soldats allemands.

LUND 14 AOUT

Chambois et Fel subissent leur premier bombardement d'artillerie. En même temps, la route du Bourg¬-Saint-Léonard est balayée par le feu des canons. Vers 13 heures, les Allemands ripostent en bombardant l'agglomération du Bourg-Saint-Léonard, la fromagerie, et, pendant une partie de l'après-midi, la route Le Bourg-Almenêches. Le village de Silly est gratifié d'une rafale d'obus. Vers 9 heures, une colonne de chars américains s'avance jusqu'au château d'Urou et fait aussitôt demi-tour. Un blindé allemand, monté par trois hommes, est arrêté et détruit au carrefour de La Boulaie. Les occupants sont tués. Le soir, l'artillerie alliée effectue un barrage sur la ville de Gacé. Les Allemands procèdent à quelques patrouilles dans la région de Gacé. Exmes est occupé par les Américains où, du haut de la bulle célèbre, ils domineront tout le champ de bataille, observant ainsi directement tous les mouvements des Allemands.
Au Bourg-Saint-Léonard, l'infanterie américaine, précédée de chars, débouche vers 8 heures, prend position et l'artillerie s'installe aux abords immédiats de la localité.
Depuis 2 heures du matin, une batterie américaine tire à intervalles réguliers sur la 24 bis, aux abords d'Urou.
Un peu avant midi, une colonne de tanks et de camions arrive à Urou. Un tank allemand qui, le jour, se réfugie dans les jardins à Cayenne, pose, la nuit, des mines sur la route nationale, au delà de la route Urou-Crennes.

Dans Argentan, quelques tanks, camouflés sous un amas de matelas, de couvertures et de volets, se déplacent sans cesse et tirent au hasard, Après chaque salve, les équipages se réfugient dans les égouts. L'artillerie alliée bombarde tous les carrefours de la zone de retraite. Trun, copieusement arrosé, subit de graves dommages.
Malgré l'allure exagérée avec laquelle passent les convois allemands ceux-ci subissent de grands ravages dans leurs colonnes.Le commandement allemand s'efforce de procéder à de nombreux regroupements pour former des unités retardatrices. Les Américains invitent la population du Bourg-Saint-Léonard a chercher refuge dans les autres localités déjà libérées.Dans le couloir Tournai-Chambois, la population des centres cherche abri dans les fermes isolées, les bergeries ou dans des tranchées aménagées par elle.

MARDI 15 AOUT

Pendant la matinée, les batteries alliées, installées entre Croisilles et Saint-Germain-de-Clairefeuille, tirent sur les positions allemandes de Saint-Evroult-de-Montfort, La Tninité~des-Laitiers, Cisay et Orgères, hauteurs dominant Gacè et la vallée de la Touques. A l'autre extrémité de la poche, en fin d'après-midi, les troupes allemandes, qui refluent de Falaise, viennent se joindre à celles de Mortain - Flers. Ces masses confuses arrivent par toutes les routes, les chemins ou à travers la plaine, dans la région de Bailleul et Tournay. L'étroit passage de retraite, compris entre Trun et la forêt, n'a plus maintenant que trois ou quatre kilomètres de largeur. Sauf dans quelques unités, la cohésion et la discipline n'existent plus. Chacun cherche à s'enfuir au plus vite; des disputes éclatent pour la priorité de circulation. Des Français astucieux déplacent les fléchages de direction à deux carrefours, provoquant ainsi un sens giratoire, qui ne fait qu'augmenter l'embouteillage et la confusion. Cependant, l'artillerie allemande, en position, riposte violemment au bombardement allié. De 23 heures à 5 heures, il fut pointé, à Tournay, sept obus pour un reçu. Depuis la veille, la départementale 16, qui va de Chambois à Vimoutiers, est rendue inutilisable sous le bombardement d'artillerie et d'aviation. Mais même sans cela, elle ne permettrait pas un écoulement assez rapide de cette masse d'hommes et de matériel. Les Allemands décident de la doubler par le chemin Moissy-Hennecourt, partant du Bas-Aubry, ils s'engouffrent dans le « Couloir de la Mort ».

Si cette voie offre l'avantage d'un couvert dissimulant les convois à l'observation des Alliés, et d'un encaissement protégeant un peu des coups directs, il a, par contre, le désavantage, si la couverture des flancs de colonne n'est pas sérieusement assurée, de se prêter aux surprises. C'est ainsi que, vers 15 heures, un petit groupe de chars polonais s'avance à la faveur des haies qui bordent les enclos, et vient reconnaître les lieux à quelque cent mètres des Allemands, pour se replier ensuite sur un petit bois de sapins proche, d'où ils sortiront la nuit du 19 au 20, pour anéantir un convoi entier, rendant impraticable la section de route entre Moissy et Hennecourt.

MERCREDI 16 AOUT

Au matin, un groupe d'officiers allemands venant de Gacé, se rend à Croisilles pour y chercher des objets oubliés dans leur précédant cantonnement. Les Américains, qui sont en pleine relève, préfèrent laisser repartir la voiture et ses occupants, afin de ne pas attirer l'attention sur eux. Vers 5 heures, les Allemands tirent sur Le Bourg-Saint-Léonard et la ferme du château. Après une accalmie, le bombardement reprend vers 10 heures, et, en fin de matinée, l'infanterie attaque. A 15 heures 30, les Allemands sont maîtres du bourg, combattant à la grenade et au fusil contre les Américains, qui se trouvent aux abords du « Chemin des Vignes ».
A 18 heures, les Américains débouchant de l'est, par La Houellerie, contre-attaquent. Les Allemands, ayant monté une deuxième vague d'assaut partant de Fougy, sont repérés aux abords nord du village par l'aviation alliée.
Un violent barrage d'artillerie a lieu sur le Haut de Fougy et la route de Sainte Eugénie, mais les Allemands ont déjà dépassé cette ligne et continuent leur progression vers le Bourg.Dans l'après-midi, les Américains, qui étaient en position à « Courmaceul », se replient sur les hauteurs des Vaux.Après cette première journée de combat, le Bourg, dans sa presque totalité, est aux mains des Allemands, un détachement venu d'Urou occupe un petit bois proche de La Houelierie où il passera la nuit. Une patrouille allemande, venue occuper le presbytère d'Urou, d'où un sous-officier observe à la jumelle la plaine d'Aunou, est attaquée au canon et au fusil par les Américains.
La patrouille riposte par une courte fusillade et s'enfuit par les jardins vers Argentan. Les Allemands ayant eu connaissance qu'un poste de commandement allié est installé entre le pont d'Aunou et Tercé, préparent à Chambois, un détachement de Panzers pour s'en emparer. Ce coup de main n'aura pas lieu. Trun, déserté par ses habitants, est la proie des flammes Les troupes en retraite se livrent à un pillage éhonté. Les Canadiens ne sont plus qu’à faible distance de ce nœud routier. Artillerie et aviation écrasent les hordes fuyantes sous leurs feux. La 1ère armée canadienne détache, à sa gauche, la 1ère division blindée polonaise « Général Maczeck », qui axe sa progression sur Montreuil-les-Ligneries - Champosoult.

JEUDI 17 AOUT

Un groupe d'artillerie américain prend position sur la route « La Castelle-Croisilles », à 500 mètres de
« La Boulaie », Gacé devant être attaqué dans la nuit, mais les troupes chargées de cet assaut sont dirigées sur le Bourg.
L'attaque n'a pas lieu. La véritable bataille pour la prise définitive du Bourg - Saint - ¬Léonard s'engage. Dès avant le jour, l'artillerie tonne sans arrêt; à l'aube les combats d'infanterie et de chars sont très violents et prendront une telle âpreté qu'il est impossible de décrire la lutte. On se bat partout, les belligérants employant toutes les armes dont ils disposent.

Le combat paraît cependant revêtir une plus extrême violence entre la rivière « l'Ure » et la sortie du Bourg-Saint-Léonard vers « Le Vieux Pin », ainsi qu'à proximité de « La Pommeraie ». De 14 à 16 heures, dans l'agglomération même, une douzaine de chars se poursuivent, en se tirant dessus à courte distance. Le hameau de « Courmaceul » fut pris et repris plusieurs fois. Vers 19 heures, les Allemands rompent le combat sur l'ensemble de la ligne, sauf à Fougy et à proximité du château où il ne cessera qu'à la nuit. Les Allemands se retirent sur une ligne approximative Fougy-Rabotte-Bas du Chemin des Vignes -Bercherie. Les derniers îlots de résistance encerclés cherchent a s'enfuir ou se rendent. Les pertes sont sévères des deux côtés. Dans le secteur d'Urou, les Allemands occupent toujours les abords de la nationale 24 bis, leur artillerie et leurs tanks sont sous les couverts de la forêt de Gouffern.
De 7 à 10 heures, il y a recrudescence des bombardements par l'artillerie alliée sur Trun. De ce lieu, on perçoit les feux de mousqueterie les Alliés se rapprochent de la ville. Les Allemands détruisent leur dépôt de munitions. Cependant, l'incendie s'étend de plus en plus. La route départementale N 16, de Chambois à Vimoutiers, offre un spectacle effarant.

Les convois sont bombardés à la fois par l'artillerie et l'aviation qui, dans des piqués impressionnants, défiant le tir de la D. C. A., lâche ses bombes et mitraille tanks, voitures, blindés. camions, qui sont paralysés par la destruction et incendiés. Les munitions explosent. Ce chaos stoppe la circulation que les Allemands cherchent à rétablir en empruntant les chemins de terre et même les herbages, où les sapeurs abattent les clôtures et nivellent les fossés.Des hommes haves, aux yeux enfiévrés, se terrent dans les fossés ou se dissimulent dans les ruines des habitations détruites. Certains sont tapis derrière les moindres levées de terre. C'est un avant-goût de l'immense carnage qui, bientôt, anéantira cette armée de cent mille hommes.

VENDREDI 18 AOUT

Au Bourg-Saint-Lêonard, les Américains craignant un retour offensif des troupes allemandes refluant d'Argentan, ont, pendant la nuit, organisé le terrain face a l'ouest, Au lever du jour, les combats de chars reprennent, sur la route de Fougy - Exmes. Après différentes manœuvres, les Américains franchissent, au nord et au nord-ouest du hameau de Fougy, la ligne occupée la veille par les Allemands et déferlent dans la vallée en direction de Chambois, que les batteries d'artillerie, en position près du Bourg, arrosent copieusement. A 15 heures. le Bourg est complètement dégagé.

A l'aube, à Urou, une colonne d'infanterie, partie de Tercé, s'avance silencieusement ( les hommes sont chaussés de caoutchouc } prendre position au sud de cette localité. A 7 h 30, le combat s'engage. Dès le début il s'avère très dur, malgré la régularité des relèves, toutes les deux heures. Les Allemands tiennent tête. Les pertes américaines sont élevées. Seule, l'aile droite, qui longe la petite route de l'église, avance assez rapidement, mais, a proximité de la route nationale, elle se heurte à un tank et à des mitrailleurs retranchés dans un café, qui leur tuent plusieurs hommes.
Vers 10 heures, cinq chars américains passent à l'action. Mais dès le début de l'attaque ils seront pris sous un feu si précis que presque simultanément quatre sont détruits. Le cinquième fait demi-tour et va s'enliser dans le marais au sud de « l'Ure ». A 11 heures, le combat connaît une accalmie pour reprendre dans la soirée, mais les Américains ne peuvent franchir en force la 24 bis.

De Trun, on continue à entendre le bruit caractéristique des mitrailleuses qui se rapprochent de plus en plus.
Vers 6 ou 7 heures des tanks canadiens, venant de Louvières, surgissent au lieu dit « La Pointe de Chemise », ouvrent le feu sur quatre chars allemands qui défendent la position. Trois sont immédiatement détruits.
Le quatrième, qui cherche à s'enfuir, ne tarde pas a subir le même sort. D'autres chars, en position au « Mont de Coulonces », sont liquidés dans les mêmes conditions. L'attaque canadienne comprend plus d'une centaine de chars, chaque colonne est d'un effectif de trente à quarante unités. Les fantassins canadiens et polonais arrivent si nombreux par les routes et les herbages qu'un témoin écrit « Nous aurions cru qu’ils surgissaient de terre ».
Des pièces d'artillerie et des tanks se déploient autour de la côte 118. A 14 heures, les Alliés pénètrent dans la localité par les accès particuliers évitant les rues, qui pourraient être défendues solidement. Chenillettes et légers en avant, précèdent l'infanterie qui, mitraillette au poing, procède au nettoyage des immeubles. Un tank allemand est en position a la sortie S.-O. de la ville. Son équipage se rend sans résistance après l'avoir incendié.
Mais les Canadiens sont arrêtés devant Magny, que les Allemands ont solidement organisé pour former un centre de résistance.

La 1ère D. B. polonaise continue à faire progresser le gros de ses forces plus au nord et atteint Champeaux.
A partir de la nuit du 17 au 18, le champ de bataille sera l'objet d'une observation constante diurne et nocturne de la part de l'aviation alliée. La nuit, des fusées éclairantes illuminent sans cesse la plaine de Bailieul à Chambois.
Tous les rassemblements et convois repérés sont immédiatement bombardés ou pris sous le feu des batteries alliées, souvent par les deux.
Dans l'après-midi des chars appartenant au groupe tactique Langlade ( 2ème D.B. française ) viennent prendre position au carrefour « Boulaie », près de Gacé. Leur mission serait d'attaquer cette ville mais peu après leur arrivée ils reçoivent l'ordre de retourner à Exmes et au Bourg-Saint-Léonard où les Allemands résistent.

SAMEDI 19 AOUT

Toute la nuit, dans la poche et bien au-delà, les routes ont subi un bombardement intensif d'aviation et d'artillerie. La route Vimoutiers-Bernay-Rouen est l'objet d'une surveillance toute particulière. Sur son itinéraire, les fusées surgissent à chaque instant, pour permettre à l'aviation de déceler les convois en fuite, qui sont aussitôt attaqués à la bombe.
Dans la nuit les quelques Allemands, isolés aux abords nord de Fougy, incendient leur matériel. Un audacieux coup de main des Canadiens est exécuté au cours de la nuit, à Magny. Informés et guidés par des jeunes gens du pays, une dizaine d'hommes se faufilent au travers des lignes allemandes jusqu'à la ferme Gallet, où ils firent prisonniers trois officiers supérieurs allemands, dont un général et une vingtaine d'hommes, qui dormaient dans une grange.
Un groupe d'Allemands, encerclé à Coulonces, ne s'est pas encore rendu. Les Canadiens, pour éviter une surprise de ce côté, font sauter les ponts. Dans l'après-midi, les Trunois se réjouissent du spectacle de plusieurs colonnes formées de prisonniers allemands qui, mains derrière la nuque, défilent, encadrés de Canadiens montés sur auto-mitrailleuses. A l'aube, un régiment de cavalerie blindée polonaise, partant de Champeaux, attaque le coteau de « Boisjos » et s'en empare après avoir anéanti la compagnie allemande qui l'occupe, et refuse de se rendre.
Les Allemands, nombreux à la Cour du Bosc et dans les bois environnants, contre-attaquent vigoureusement et parviennent a encercler la position. Un combat sauvage s'engage. Les Canadiens, qui veulent se porter au secours des Polonais, sont stoppés par les Allemands à une assez grande distance. Les Allemands lancent plusieurs attaques blindées sur la colline. Elles échouent, stoppées par l'artillerie, et dans la nuit, l'infanterie en viendra au corps à corps.

Dans la nuit, le 10ème Dragons polonais, progressant vers l'est, réussît à atteindre la cote 137, près de Mont-Ormel, mais les Allemands se présentèrent si nombreux sur ses arrières, que l'approvisionnement ne put rejoindre que le matin, Plusieurs unités étant venues renforcer le régiment, les Polonais poursuivent la progression jusqu'à la cote 113, à douze cents mètres de Chambois, où leur parvient l’ordre de s'emparer de cette ville et de s'y consolider. Prenant une formation d'assaut divisée en trois colonnes, ils attaquèrent le long de la route départementale Chambois-Vimoutiers
Les combats furent courts mais très violents. En atteignant le centre de Chambois, les Polonais eurent surprise et la joie d'y rencontrer la 6ème compagnie du 395ème régiment d'infanterie américaine qui, elle aussi, venait d'y parvenir en passant par Le Bas-Aubry et Fel. Le verrou est tiré. Les Polonais venant du nord se joignaient au 15ème Corps d'armée américain venant du sud. Désormais les Allemands n'ont plus d'autre solution que se rendre ou mourir.
Vers 20 heures, les Allemands contre-attaquent sur Chambois, mais sont repoussés par les Polono-Américains.

Dans la matinée, des tanks légers canadiens, venant de l'ouest, cherchant sans doute à établir la liaison à l'est avec les Polonais, traversent les lignes allemandes à Hennecourt même, puis s'en furent prendre position au milieu des Allemands, près du cimetière de Chambois, d'où ils arrosèrent copieusement l'ennemi de salves meurtrières.
La veille, les Allemands avaient formé une concentration d'une centaine de canons et d'un nombre indéterminé de tanks et de D. C. A., dans Tournay et ses environs immédiats. Ils gardaient l'expectative quant à l'opportunité de l'emploi de cette masse de feu. Mais les Alliés, sans doute informés de la présence de cette artillerie, ouvrirent le feu sur ce point stratégique à 9 heures 30. Ce fut un beau tintamarre qui se déclencha départs et arrivées se confondent. Les Allemands tirent à une cadence accélérée. Deux cents pièces alliées de tous calibres concentrent leurs feux sur ce petit village, écrasant méthodiquement le matériel allemand. Les routes sont crevées sous les obus, encombrées de chevaux éventrés, de soldats tués, de véhicules détruits, toutes les maisons ou communs qui ne sont pas détruits ou la proie des flammes, sont transformés en hôpitaux où l'on opère sans arrêt. Les cadavres des morts sont rejetés en tas.
Cette tuerie ne s'arrêtera que le lundi 21 dans l'après-midi. Devant ce déluge de feu, les Allemands se précipitent de plus en plus nombreux vers la seule voie qu'ils croient être celle du salut.
Mais ils ne sont pas encore décidés a abandonner leur matériel, tanks, artillerie tractée et hippomobile, camions, voitures légères. Ils s'engouffrent dans le « Couloir de la Mort » , dans cet étroit chemin, presque un sentier on se bouscule, on s'injurie. L'artillerie et l'aviation alliées pilonnent sans arrêt cette masse semi-paralysée les hommes, à pied, empruntent les herbages pour éviter l'écrasement
Quel espoir peuvent encore avoir ces hommes, sinon celui d'échapper à l'anéantissement? Ce ne peut être que l'instinct de conservation qui les fait encore se mouvoir, dans cette tentative de fuite inutile.

DIMANCHE 20 AOUT

Les Alliés s'emparent de Gacé, qui a subi de graves dégâts dus aux incendies provoqués par les tirs de. barrage et de préparation d'attaque. Les. Américains attaquent en force sur Crennes qui, la veille, a subi un violent bombardement. Partis d'Urou et de Sai, ils parviennent à l'agglomération du bourg, où ils font jonction avec une vague d'assaut venue d'Argentan. Les deux vagues, de concert, poursuivent leur progression au travers de la forêt et. débouchent a Bailleul, à 18 heures. Les batteries alliées, installées aux environs de Trun, exécutent toute la journée un tir continu sur Tournay et les abords de la forêt. Trun reçoit la riposte allemande, mais elle ne parvient pas à ralentir les convois de troupe et de matériel qui se rendent au combat. Déjà, les bulldozers procèdent au déblaiement des rues. Les Canadiens, qui continuent leur progression en direction de Chambois, le long de la route et de la rivière, parviennent au Moulin de Saint-Lambert, où un groupe important de S. S. simule l'intention de se rendre en arborant un drapeau blanc. Les Canadiens s'approchent, confiants, et lorsqu'il n'y a plus que la largeur de la rivière qui les sépare, les Allemands jettent leur pavillon et ouvrent le feu. Ce fait déclenchera des représailles, consistant à intensifier encore le tir des batteries alliées sur Tournay. On estime qu'à partir de ce moment cinq à six cent pièces concentrent leurs feux sur ce lieu.
Sur le sommet de « Boisjos », toute la nuit, le combat a continué de part et d'autre La position dominante des Polonais rend toute surprise impossible, mais les Allemands, qui attaquent sans relâche et de tous côtés, obligent les Polonais à tirer sans arrêt. Ceux-ci ont subi des pertes considérables au cours de la nuit, surtout au pied de la côte de Coudehard, où eurent lieu de sanglants corps à corps. Les rations des Polonais sont épuisées.

Il reste à peine une demi gourde d'eau par homme. Les munitions commencent à se faire rares. Le médecin a été tué par un obus, qui a détruit également tout son matériel. Dès les premières heures de la matinée, une colonne de 16 chars « Tigre » monte à l'assaut de « Boisjos ». Les Polonais décident de les contre-attaquer avec 12 chars.
En quelques minutes, les Allemands en mettent six hors de combat, alors qu'eux-mêmes ne subissent qu'une perte. Ils vont s'emparer de la position... quand un tir d'artillerie d'une miraculeuse précision stoppe leur élan en incendiant cinq de leurs chars. Les Polonais galvanisés par ce spectacle, partent à la poursuite des dix chars allemands en retraite et parviennent à en détruire trois autres. Bientôt l'attaque recommence, Les Allemands montent à l'assaut au chant de « Deutschland über aIles ». Les Polonais les laissent approcher à cinquante pas et fauchent leurs rangs. Huit fois, au cours de la journée, les Allemands renouvelèrent leurs attaques. A partir du cinquième assaut, les Polonais, pour économiser leurs munitions, les repousseront à la baïonnette. Parmi les blessés relevés sur le terrain, on peut lire sur le carnet de solde de l'un d'eux : « Né en 1931 ». C'est un enfant de 13 ans.

Des soldats de la Wehrmacht ont été faits prisonniers. Parmi eux il en est qui sont d'origine polonaise; ceux qui consentent à reprendre le combat aux côtés de leurs compatriotes seront équipés avec l'uniforme et le fusil d'un mort, précieuses recrues pour renforcer l'effectif qui s'amenuise de plus en plus. Quant aux S. S. et ceux dont le livret de solde indique qu'ils ont participé à l'invasion de la Pologne, pas de quartier... Lorsque, à 18 heures, le combat cessa, les flancs de la colline étaient couverts de cadavres. Les Polonais, sous la pression des Allemands et en considération de la réduction de leurs effectifs, sont dans l'obligation de se retirer dans le bois, au sommet de la côte 262, autour duquel les tranchées sont creu¬sées. Ils n'ont plus que 4 officiers et 110 hommes valides.
Les rations sont épuisées, plus de médicaments, sauf un peu d'iode pour soigner les blessés qu'on a installés au milieu du bois. L'approvisionnement en munitions est de cinq obus par canon et cinquante cartouches par homme.
Le commandant, blessé à la poitrine par un éclat d'obus, passe son commandement au capitaine canadien Sevigny, qui accompagne le régiment en qualité d'observateur d'artillerie, lui recommandant de continuer la lutte jusqu'au dernier homme, car, dit-il, ils n'ont aucune pitié à attendre des S. S.

A Chambois-Fel, les Allemands, avec un effectif d'environ un bataillon de Panzers Grenadiers et une dizaine de chars, attaquent à 7 heures, l'agglomération. Malgré de grosses pertes, ils réussissent à
percer les lignes alliées au nord et au sud de ces localités, coupant ainsi les voies de ravitaillement des Polono-Américains, qui occupent ce centre. Dans l'après-midi, les Américains parviendront à rétablir leur liaison et recevront en renfort les autres bataillons du 395ème d'infanterie, ainsi qu'une compagnie du 24ème régiment de cavalerie polonaise. Les combats ne cesseront pas de la journée. Les Allemands veulent à tout prix dégager le « Couloir de la Mort ». L'ardeur et la fureur des combats atteignent des degrés indescriptibles. Les Polonais, qui ne peuvent rétablir la liaison avec leur ravitaillement seront pourvus en vivres et essence par les Américains, mais le calibre de leurs armes étant différent des armes américaines, ils se serviront des armes et cartouches allemandes en leur possession. Tous les hommes sont sur la ligne de feu, personnel de bureau, des ateliers de réparation, téléphonistes, etc... L'aumônier, lui-même. fera cinquante prisonniers, parmi lesquels se trouve un prêtre. Les Allemands, dont le moral baisse, se rendent, parfois, par unités entières, mais aussitôt de nouvelles vagues surgissent et la lutte reprend, opiniâtre.
Au cours de la nuit, le commandement polonais tentera un ravitaillement par avions des troupes de Chambois. Malgré le balisage d'un terrain, les containers iront atterrir chez l'ennemi. Le groupe tactique Langlade ( 20ème D.B. française ) débouchant d'Exmes, repousse devant lui les Allemands qui, le matin, ont brisé les lignes polonaises, et parvient à s'établir aux environs d'Omméel. La chaleur active la décomposition des cadavres. et leur nombre est si élevé qu'une puanteur horrible se dégage du champ de bataille.

LUNDI 21 AOUT

L'artillerie alliée, de plus en plus nombreuse, n'a pas cessé de pilonner le champ de bataille. L'aviation complète cette œuvre de destruction en mitraillant tout ce qui semble remuer. Cependant les combats ont repris avec violence de toutes parts, mais atteignent leur paroxysme entre Moissy et Hennecourt. Les fantassins allemands, tassés, coude à coude, dans le ruisseau face à Chambois et le long des talus des haies bordant la plaine, arrêtent toute tentative d'assaut de l'infanterie alliée. Ceux qui ne peuvent prendre place sur les lignes de combat sont dissimulés le long des haies du bocage et forment une immense réserve. Le ravitaillement est assuré par le contenu des camions échoués sur la route ou dans les herbages. Ces deux lignes n'ont, entre elles, qu'un mince espace d'un kilomètre environ.
Si ces hommes sont entassés dans un espace si restreint, c'est que, depuis le matin, « Boisjos » est solidement tenu par les Canadiens qui ont secouru les Polonais, interdisant aux Allemands de s'approcher ainsi de la côte 262.
Le bocage présentant un peu de couvert, voit toujours arriver de nouveaux occupants, fuyant la plaine où ils sont tirés comme des lapins. Il n'y a qu'une folie fanatique qui peut donner encore quelque volonté de combattre à cette troupe traquée de toutes parts, et à laquelle il ne reste plus d'espoir de sortir de ces lieux.
Quel est donc l'état du « Couloir de la Mort »?

Dès son entrée au Bas-Aubry, il présente l'aspect d'un coin d'enfer. Il est encombré de canons détruits, de véhicules de toute nature, d'armes brisées ou tordues, de débris d'équipement. de chevaux qui se débattent dans leurs traits, de soldats tués, gisant parmi ce fatras. La plaine qui le longe n'est pas moins semée de ces épaves.
Des blindés, comme atteints de paralysie, sont immobiles, les flancs troués de l'impact des obus qui les ont arrêtés dans leur course. Certains autres ont leurs chenilles rompues et les équipages ont préféré fuir que tenter de réparer sous la grêle de balles et d'obus. D'autres encore sont allés s'enliser dans les herbages en bordure de la rivière. C'est aux abords de cette rivière que la bousculade atteint le comble. Le lit de la rivière est très profond, bordé de rives verticales de trois à cinq mètres de hauteur, ce qui exigerait un énorme terrassement pour permettre le passage.
Le temps presse. Les projectiles viennent du ciel et de la terre. On cherche à gagner le seul et unique passage praticable, le gué du lavoir dit de Moissy. Mais, comme dans toute course, il n'y a qu'un premier, les véhicules s'entassent dans les chemins adjacents, dans les cours, les herbages. La nervosité des fuyards est de plus en plus grande, On essaie de faire passer les engins sur chenilles qui., descendus dans la rivière, ne pourront plus en sortir et seront abandonnés. Ailleurs, en désespoir de cause, on incendie son véhicule. Les hippomobiles abattent leurs chevaux, au revolver, sur le chemin même, ajoutant ainsi un nouvel obstacle. Et tous ces soldats qui., hier encore, se croyaient les maîtres de l'Europe fuient, à pied, rejoindre un peu plus loin, leurs camarades d'infortune. Suivons ces fuyards.

Au-delà de la route Chambois-Trun, entrons dans le vicinal Moissy-Hennecourt. A Moissy, les maisons ne sont plus que des ruines. Le canon et l'incendie ont fait leur œuvre. Sur la route, si le nombre de véhicules est moins important qu'au gué, le spectacle n'en est pas moins saisissant. Dans le ruisseau qui, pendant plusieurs centaines de mètres longe la vicinale, et sur cette dernière, c'est une véritable superposition de canons renversés avec leur affût, voitures, tanks, autos blindées, camions de munitions éventrés, dont le contenu jonche le sol, cartouches, grenades et obus forment un épais tapis. Aucun espace ne permet à un homme de poser son pied. Dans les cours, les herbages, ce n'est qu'un vaste parc de véhicules et d'engins blindés. Le Boche, dans sa fuite, n'oubliait pas ses larcins. Il abandonna partout des camions remplis de vaisselle, de meubles, et de vêtements civils. Près de la ferme de La Croûte. on peut admirer ce monument, sans doute destiné à commémorer la défaite allemande une voiture de tourisme sert d'assise à une voiture blindée qui. elle-même, sert de socle à un « Panther » en équilibre.
Comme ce monument ne saurait à lui seul obstruer complètement le passage, sur le revers du talus, une autre voiture blindée pointe son avant vers le ciel, son arrière prenant assise dans le lit du ruisseau à sec. Cependant, si, devant l'inéluctable, certains ne veulent pas s'incliner, et continuent à se battre avec rage, d'autres, par contre, commencent à faiblir. Les uns se préparent à la mort, qu'ils considèrent comme inévitable, ou songent à la reddition et détruisent tout ce qui leur paraît compromettant. On brûle, on déchire, même les numéraires. On en retrouvera de nombreux morceaux épars. Et au milieu de toutes ces épaves, des milliers de blessés. Des morts gisent dans l'attitude d'un dernier geste de protection. Leurs yeux, révulsés, reflètent la terreur de leur dernière vision.
Ils entrent en décomposition et les mouches, pour activer l'œuvre de destruction, déposent leurs larves dans les bouches qui ont voulu jeter un suprême appel à la pitié et qui ne se sont pas refermées.
Au milieu de ce champ d'horreurs, des hommes, les fanatiques S. S., fous, veulent lutter jusqu'à la mort.
S'ils le pouvaient, dans leur délire démoniaque, ils entraîneraient l'univers avec eux dans l'abîme. Le spectacle qu'ils ont de ce carnage ne saurait les faire revenir à un sens plus humain.

Deux tanks sont en batterie au village même de Moissy. L'un est dans la cour de la ferme, l'autre près d'un bâtiment d'exploitation sur le chemin qui relie le village à la croix de Moissy. Ces deux engins tireront jusqu'à ce que leur parvienne l'ordre de cesser le feu et de reddition. Alors, dans leur folie orgueilleuse, les équipages préféreront se faire sauter avec leur char plutôt que d'exécuter cet ordre, provoquant ainsi l'effondrement des deux bâtiments près desquels ils sont en position, entraînant avec eux dans la mort une vingtaine de leurs camarades qui avaient cherché refuge dans lesdits bâtiments. A « Boisjos », vers 4 heures 30, les Canadiens, venant au secours des Polonais, parviennent aux abords du bois ou se sont retranchés ces derniers, a veille au soir, au sommet de la cote 262. Les Polonais, dans la joie de l'arrivée des secours et leur impatience d'être enfin dégagés, s'élancent à la rencontre des Canadiens dans une charge fantastique à la baïonnette, pour aider ainsi leurs sauveteurs.
C'est dans cette charge que tombera le dernier officier polonais valide. Les Polonais avaient perdu à « Boisjos » plus des neuf dixièmes de leurs effectifs.

70 hommes seulement restent valides sous les ordres du capitaine canadien Sevigny. Les Polonais donneront à la cote 262 le nom de « Maczuga » « masse d'armes ».
L'admiration, chez les Alliés, sera si grande, qu'on pourra entendre des unités canadiennes, rencontrant les Polonais, leur jeter au passage la phrase suivante « Bloody Poles. What a job... » « Sanguinaires Polonais. Quel travail ».
Le long de la départementale 16, la 2ème D. B. française, partie d’Omméel, rétablit la liaison des unités combattantes polonaises qui sont à Chambois. Dans la matinée, les Allemands ont encore tenté quelques attaques, mais avec des effectifs de plus en plus réduits. Les troupes, unités S. S. à part, ont perdu leur mordant.Les canons, massés à Tournay, ne cessent de tirer dans toutes les directions, attirant les représailles alliées sur ce pays. Le cercle de feu est absolu. Il y a des batteries en position à Crennes, Silly, Le Bourg-Saint-Léonard, Le Haras-du-Pin, LaCochère, Exmes, Villebadin, Louvières, Ecorches, Fontaire, Crocv. C'est une vraie tempête de feu et d'acier qui déferle sur les quelques kilomètres carrés où se débattent les Allemands.

Quelque temps après, une accalmie semble se produire. Seules, quelques pièces tirent encore. Des déflagrations violentes, ce sont les S. S. qui, ne voulant pas rendre leur matériel, le détruisent, et se détruisent eux-mêmes, des coups de feu isolés, puis, peu à peu, tombe le grand silence. Les engins de destruction se sont tus, On n'entend plus que la sourde rumeur des soixante-dix mille survivants qui, général en tête, se préparent à partir pour la captivité.
La victoire reste aux Alliés. Le butin est incalculable, tant il est considérable. Dans le département de l'Orne, il a été dénombré plus de six mille chevaux, deux mille tanks ou voitures blindées, et des milliers d'autres véhicules.
Cent mille hommes ont été tués ou faits prisonniers. Dans les jours qui suivirent la victoire de Chambois - Fel, les Canadiens et Polonais, chargés de nettoyer le champ de bataille des petits groupes d'Allemands dissimulés dans les bois et les fermes isolées, et qui hésitaient à se rendre, plantèrent sur les flancs de la côte 262 une pancarte où on pouvait lire cette phrase: « A POLISH BATTLE-FIELD » « Un élégant champ de bataille » Jeux de mots : polish en anglais, signifiant aussi bien polonais qu'élégant, brillant ou nettoyé.

Source : Les combats décisifs de la Bataille de Normandie par A. Boudet et A. Cauquellin

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