Le Dr Paul Joseph Goebbels, la voix du nazisme
Par Daniel Laurent

Dr Paul Joseph Goebbels

 

Dire que le nazisme repose sur la tromperie est quasiment un lieu commun. Démasquer ces tromperies est cependant un exercice plus difficile au point qu’un historien spécialiste de l’histoire du nazisme a pu écrire : « Si je dis que le nazisme est fondé sur le mensonge, j’aurais l’air d’enfoncer une porte ouverte. Si je dis que la plupart de ses mensonges restent à découvrir, je risque d’être moins facilement compris (1) ». Parmi les hiérarques du IIIeme Reich, si Adolf Hitler reste sans conteste le Maitre es-mystifications, le Docteur Joseph Goebbels, Ministre de la propagande, le suit de prés et, sans toujours tout savoir des intentions exactes du Führer, dirigera son Ministère avec maestria.

Paul Joseph Goebbels nait dans un milieu modeste le 29 octobre 1897 à Rheydt, ville industrielle d’environ 30 000 habitants de l’ouest de l’Allemagne. Son père, Fritz Goebbels, fervent catholique, travaille comme contremaître dans une filature locale. Sa mère, Katharina Odenhausen, également très croyante, est fille d’un forgeron.
À sept ans, Joseph contracte une ostéomyélite qui, malgré une opération, entraîne la paralysie de sa jambe droite et dégénère en pied-bot. Mis à l'écart à cause de ce handicap, il se consacre à des lectures d'une grande diversité et, après des études secondaires dans des établissements catholiques, est encouragé par son père à entrer à l'Université où il obtient en 1922 un doctorat de philologie allemande. Il fréquente ainsi les universités de Berlin, d’Heidelberg, de Bonn, de Fribourg, de Wutzbourg, de Cologne, de Francfort ainsi que celle de Munich, fine fleur de l’enseignement supérieur allemand.

Johanna Maria Magdalena et Lida Baarova
             

Goebbels et ses enfants


Docteur mais boiteux, patriote mais réformé militaire, sa jeunesse fut probablement génératrice de nombreuses frustrations. À sa sortie de l’université, l’Allemagne est traumatisée par la défaite de 1918 et par l'effondrement économique qui suit. Les opportunités de travail sont alors rares pour un intellectuel de province sans expérience.

Le jeune Goebbels devient rapidement un antisémite virulent, convaincu que les juifs sont responsables de ses propres problèmes et de toutes les tragédies personnelles provoquées par l'inflation vertigineuse qui sévit.
La genèse de son antisémitisme n’est cependant pas claire, à notre connaissance, même s’il n’a rien de surprenant dans le contexte allemand de l’époque. Comme pour beaucoup de ses contemporains, il est possible que cet antisémitisme ait été alimenté par le mouvement Völkisch, alors très en vogue. Dans son Journal (2), Joseph écrit le 9 janvier 1924 : « De Cologne, on m'a renvoyé Le Voyageur (3). On me remercie beaucoup, mais on n'en a pas l'emploi. Et si, par exception, c'était le cas, pourrait-on faire usage du Voyageur à Cologne, cité de la cathédrale comme des mercantis ? À Cologne, il n'est qu'un mot d'ordre : « Sois noir ou youpin ». Peut-être est-il vrai qu'on ne peut arriver que par les Youpins. Ô, qu'il est difficile le chemin vers les sommets !
Pour me rapprocher des Youpins, j'ai encore un bon bout de chemin à faire. Je ne désespère pas, car je sais que j'aspire au Bien.
»

Pour exprimer cette conviction qui devint la passion la plus violente de sa vie, il se tourne vers les mouvements d'extrême droite et a de la sympathie pour le mouvement nazi dès 1922. Il écrit un peu plus tard : « Je réfléchis plus que souvent à la question juive. Le problème de la race est bien le plus profond et le plus mystérieux de ceux qui interfèrent dans la vie publique. N'y a-t-il pas un antagonisme entre race et intellect, création et imitation, art et science, capitalisme industriel et capitalisme boursier ? Comme ces séries semblent se tenir à distance l'une de l'autre ! Et pourtant les pôles correspondants de chacune ne sont que l'expression du même sentiment du monde, que Spengler (4) désignerait comme l'existence et l'état de veille. »

La politique va lui procurer un emploi, le mettre en lumière et révéler son incontestable talent de polémiste.
Le hasard veut que, embauché en 1924 par un parlementaire d’un parti de droite, Goebbels fasse à 27 ans ses débuts d’orateur à Rheydt, sa ville natale, comme contradicteur dans une réunion communiste !
Ainsi mis en valeur, Goebbels entre comme rédacteur en août 1924 à l’hebdomadaire nazi Völkische Freiheit, « Organe de combat rhénano-westphalien pour une Grande Allemagne nationale et socialiste ». Sa situation est cependant toujours précaire jusqu’en octobre, lorsqu’il en devient le directeur de publication.

Au début 1925, Hitler charge Gregor Strasser d’organiser le NSDAP dans le nord de l’Allemagne. Avec l’aide de son frère Otto, Strasser entreprends alors de développer le parti loin de ses bases bavaroises, avec l’espoir de le développer suffisamment pour bientôt en prendre la tête. Pour l’aider, il engage comme secrétaire Joseph Goebbels qui s’attelle à la tâche avec enthousiasme. Une nouvelle vie commence pour lui.
Durant cette année 1925, une sourde lutte s’engage entre Hitler et Strasser pour la direction du Parti. Goebbels hésite entre les deux hommes pendant plusieurs semaines, ainsi que William Schirer (5) fut le premier à le remarquer. D’abord partisan de Strasser, choqué des humiliations infligées par Hitler à un homme qu’il juge « bon et honnête », Goebbels est finalement retourné par le Führer qui a remarqué ses talents d’orateur et de propagandiste.

Il a donc oscillé entre la droite et la « gauche prolétarienne » du NSDAP, s’est lié d'amitié avec les frères Strasser, mais finit par les laisser tomber, subjugué par l'aura d’Hitler. Ce n'est pas une question de choix raisonné sur la base d'arguments ou de conviction idéologique, mais plutôt de ralliement à une personne.
Ce ralliement est souvent daté du début avril 1925 lorsque Goebbels accepte de prononcer un discours, avant celui d’Hitler, lors d’une réunion le 8 avril à la brasserie Burgerbraukeller. Suite à cette soirée, il écrit le 13 avril dans son Journal au sujet d’Hitler cette simple phrase : « Je l’aime ». Il semblerait cependant qu’il ait encore eu des doutes pendants quelques années.

15 février 1926 : « Hitler fait un discours de deux heures. Je suis comme assommé. Quel Hitler est-ce là ?
Un réactionnaire ? Extraordinairement maladroit et indécis. [...] Sans doute une des plus grandes déceptions de ma vie. Je ne crois plus totalement en Hitler.
»

29 janvier 1930 : « Hitler repart dans son habitude de ne pas prendre de décision. C'est à vomir de lui ! Il faut qu'il sorte de l'atmosphère munichoise. Il s'y aigrit et s'encroûte complètement. »

22 février 1930 : « Hitler m'inquiète énormément ; il fait beaucoup de promesses et ne les tient guère. »
Mais quelle que soit la date réelle de son adhésion, sa voie est tracée et il ne la quittera plus. En octobre 1925, Goebbels s’installe à Berlin pour y diriger le développement du Parti - sans Strasser qui en prend ombrage.
À la fin d’août 1926, Hitler le nomme commissaire à la direction du Gau (6) de Berlin.
Il y dirige le périodique Der Angriff (7) (1927-1933) et réussit magistralement à propager dans la capitale les thèses national-socialistes. Il est élu dès les élections législatives de mai 1928, devenant ainsi, à 31 ans, l'un des douze premiers députés du NSDAP. « Nous entrons au Reichstag […] comme des loups dans la bergerie » écrit-il alors dans l'Angriff. Phrase prophétique

Fin 1929, il gravit un échelon de plus : Hitler fait de lui le chef de la propagande du parti pour l’ensemble de l’Allemagne. Goebbels peut alors donner la pleine mesure de ses talents. Par une propagande agressive et insistante, il obtient des succès spectaculaires dès 1930, année où Hitler lui fait jouer délibérément un rôle charnière dans l’éviction des frères Strasser du NSDAP. Gregor sera assassiné durant la nuit les longs couteaux et Otto s’exilera.

Magda, égérie ou mère de famille ?

Magda Goebbels, née Behrend en 1901, est la fille d'Oskar Ritschel, un ingénieur, et d'une employée de maison de ce dernier nommée Behrend. Son père biologique ne la reconnaît pas, d’où son nom de naissance, mais lui assurera une éducation digne des jeunes filles de bonne famille de l’époque. Son premier amour fut Victor Arlosoroff, un jeune juif qui devient plus tard en Palestine une des grandes figures du sionisme avant d'être assassiné en 1933 dans des circonstances mystérieuses.

En 1920, la jeune fille de 18 ans fait la connaissance de l'industriel Günther Quandt, âgé de 38 ans, un des hommes les plus riches d’Europe. Elle l’épousera en 1921, ce qui donnera lieu à un tour de passe-passe typique des mentalités allemandes entre les deux guerres.

Sa mère s’était mariée avec un Juif, Richard Friedländer, qui l’avait adoptée. Pas question qu’on épouse une «Friedländer» ! Sa mère divorce donc, son père biologique la reconnaît enfin et c’est Magda Ritschel qui convole avec un riche industriel protestant.

Ils eurent un fils, Harald, dont nous reparlerons plus loin. Mais Günther avait 2 enfants d’un précèdent mariage et il adopte les 3 enfants d’un associé mort accidentellement. La vie de mère de famille nombreuse et de maîtresse de maison n’est pas vraiment ce dont Magda avait rêvé et le ménage vole en éclat. Ayant entre temps repris sa liaison avec Victor Arlosoroff, Magda menace Günther de faire des «révélations publiques» propres à gêner considérablement ce capitaine d’industrie et obtient de cette manière une confortable pension alimentaire.

Redevenue donc célibataire, Magda s’installe à Berlin, s’intéresse au NSDAP et en devient membre en septembre 1930. Elle est fascinée par Goebbels aussi bien que par Hitler et devient rapidement responsable des archives privées de Goebbels puis sa maîtresse. L'appartement élégant de Magda devient le point de ralliement de la société nazie où Hitler et elle se rencontrent pour la première fois. Il est séduit par l'ambiance de l'appartement et particulièrement par l'hôtesse qui incarne parfaitement le stéréotype de la femme germanique.

Hitler et Goebbels sur l'Obersalzberg en juin 1943


Elle est l'une des rares personnes de son entourage qui rayonne de charme, qui lui est fidèlement dévouée et qui est aussi capable de soutenir avec lui une véritable conversation.
Il semble évident que Magda exerce un attrait puissant sur Hitler et elle éprouve aussi des sentiments pour le Führer. Mais comme la « mission » que la « Providence » a confiée à Hitler lui a fait épouser l’Allemagne, et elle seule, il joue l’entremetteur entre Magda et Joseph pour accélérer leur mariage.

Joseph Goebbels épouse donc Johanna Maria Magdalena Ritschel le 19 décembre 1931. Elle lui donnera 6 enfants. La propagande fait de Magda l'épouse et la mère de famille modèle de l'Allemagne nazie. Goebbels a cependant, entre 1936 et 1938, une liaison avec une actrice tchèque, Lida Baarova. Il en eut d’autres, moins tonitruantes, et c’est sur l'insistance d'Hitler que le couple Goebbels ne se séparera pas, l’actrice étant bannie d’Allemagne.

Magda Goebbels joue, dans le régime nazi, un triple rôle. Elle est une « première dame du Reich », d’abord sans rivale puis, à partir du 10 avril 1935, faiblement concurrencée par Emmy, la nouvelle épouse de Göring.
Au premier rang de toutes les fêtes, elle illustre l’aptitude du régime à séduire les classes dirigeantes. Elle est aussi, par ses six maternités et la solidité apparente de son couple, le symbole de la « mère allemande » tel qu’exalté par Hitler - elle prononce même une allocution radiophonique à l’occasion de la fête des Mères, le 14 mai 1933. Elle est enfin, plus discrètement, l’une des principales compagnies féminines dont le Führer aime s’entourer (8).

L’exercice du pouvoir

Le 30 janvier 1933, Hitler est nommé Chancelier par un Hindenburg (9) vieillissant, dans le cadre d’un gouvernement où les nazis ne sont pas majoritaires. Le 11 mars 1933, un ministère de l’Information et de la Propagande est créé et Goebbels en prend la direction le 14 mars. C'est lui qui organise la « Journée de Potsdam », un événement organisé peu avant le vote au Reichstag de la loi accordant les pleins pouvoirs à Hitler.

Le 21 mars 1933, jour anniversaire de la proclamation du III Reich, la séance d'inauguration de la nouvelle assemblée élue le 5 mars, se tient dans l’église de la garnison de Potsdam, monument où se trouve la tombe de Frédéric le Grand. Retransmise en direct à la radio, la cérémonie accueille certes les députés mais aussi toutes les anciennes gloires de l’armée impériale - dont le Kronprinz - ainsi que l’État-major au grand complet, le corps diplomatique et les correspondants de presse allemands et étrangers.
Hitler y prononce un vibrant discours sur « l'union (…) célébrée entre l'ancienne grandeur et la force nouvelle », refermant ainsi la parenthèse démocratique de la défunte République de Weimar. C’est là le premier succès de masse du nouveau ministre de la propagande et le premier « geste » significatif du nouveau pouvoir en direction des militaires.

La mise au pas culturelle

Selon Goebbels, « l'idéal, c'est que la presse soit organisée avec une telle finesse qu'elle soit en quelque sorte un piano sur lequel puisse jouer le gouvernement » et « la critique n'est autorisée qu'à ceux qui n'ont pas peur d'aller en camp de concentration (10) ». Il met ainsi au point un système qui sera ensuite étendu à tous les pays occupés. Cela consiste à bloquer ou interdire toutes les sources d’information étrangères et à mettre la main sur tous leurs homologues allemands, cette mainmise s’étendant à la totalité de la vie intellectuelle et culturelle du pays : presse, édition, cinéma, théâtre et radio sont des médias dont Joseph Goebbels sait admirablement utiliser l’impact sur les masses. D’une fidélité absolue au Führer – « Hitler est là. Ma joie est grande.
Il me salue comme un vieil ami. Et très attentionné à mon égard. Que je l'aime ! Quel homme !
» -, déployant une activité prodigieuse, Goebbels réussit à faire de la propagande une technologie complexe, élaborée et très performante, exerçant sur les populations, sur les alliés du Reich comme sur ses ennemis une influence considérable. « La propagande de Goebbels, dira Hitler, est une de nos armes de guerre les plus efficaces ».
Sous son impulsion, les moyens modernes de communication sont développés et utilisés dans l’intérêt du Parti : radio, informations cinématographiques et même télévision sont employées dès 1935.

Le 10 mai 1933, 20 000 livres sont brûlés sur la place de l'Opéra à Berlin. C’est la nazification de la culture qui commence par un immense feu de joie d’ouvrages contraires à la doctrine du Parti. Ces autodafés se reproduiront à plusieurs reprises, parfois avec des cibles particulières (crémation de brochures des Témoins de Jéhovah, par exemple). Une phrase est souvent attribuée à Goebbels au sujet de ces manifestations : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver (11) » . Cette citation ne s’appuie en fait sur aucune source et ne se retrouve que dans une obscure pièce de théâtre non-nazie de l’époque ou le «héros» déclame «Ici c’est du tir réglé, quand j’entends le mot culture... je sors mon browning».

Goebbels et des volontaires russes


Dès septembre 1933, une loi oblige les artistes et les rédacteur-en-chef de journaux d’adhérer à une Reichskulturkammer (Chambre de la culture du Reich) pour pouvoir exercer leur profession.
Ces organismes contrôlent toute la vie intellectuelle et artistique du pays, excluant tous les opposants, tièdes ou racialement impurs, notamment les Juifs. La même nazification est appliquée dans l’enseignement et les mouvements de jeunesse. Pendant douze ans, la population allemande vit sous le matraquage intensif de la propagande de Goebbels. Pour s’ancrer solidement, le NSDAP compte sur la force brutale et à la répression, mais pas seulement : la séduction - dont Goebbels est, avec Baldur von Schirach, le principal artisan - est au moins aussi importante pour comprendre la prise en main du Reich par les nazis. Goebbels est constamment aux avant-postes dans la radicalisation du régime contre les Juifs, par exemple lors de la Nuit de cristal dont il apparaît comme le principal exécutant. Il n'hésite pas à faire figurer ses propres enfants dans un film de 1939 destiné à justifier la politique d'euthanasie des infirmes (Aktion T4) (12). Comportement étonnant, quand on sait que Goebbels lui-même a été réformé du service militaire en raison de son infirmité.

L’invasion de la Tchécoslovaquie est précédée par l’annonce tonitruante de la « terreur tchèque » déclenchée contre les Allemands des Sudètes. Puis c’est le tour de la « terreur polonaise » envers les Allemands du couloir de Danzig.

Valet du Führer ou clairvoyant complice ?

Goebbels est une très bonne illustration de la façon dont Hitler dirigeait ses hommes totalement et les emmenait exactement la ou il voulait sans leur dire tout mais seulement ce dont ils avaient besoin de savoir pour mener à bien leurs tâches.

Le 13 juin 1941, juste avant l’opération « Barbarossa », et alors qu’Hitler s’ingénie depuis juin 1940 à faire croire à l’opinion internationale que sa prochaine cible sera l’Angleterre, voire l’Afrique ou la route des Indes, Goebbels publie dans le Völkischer Beobachter, organe central du NSDAP, un article intitulé « L’exemple de la Crète ».
Il y dévoile que l’envahissement victorieux de l’île auparavant occupée par les forces britanniques est à la fois un exercice d’entraînement ultime et la preuve que la Wehrmacht a la capacité technique et matérielle d’envahir l’Angleterre, ce qui va d’ailleurs, assure-t-il, arriver très prochainement.

Dès 9 heures du matin, la Police saisit tous les exemplaires du journal et les passe au pilon. Les communications internationales sont coupées vers 9 heures 30. Pendant une semaine, Hitler semble battre froid Goebbels et les milieux dirigeants se gaussent de ce Ministre incapable de tenir sa langue et qui révèle des secrets militaires à la presse. L’article de Goebbels a cependant pu être communiqué aux USA à temps et aura beaucoup de succès dans la presse anglo-saxonne... qui se fait ainsi, avec une très grande naïveté, le relais d’une superbe mystification nazie !

Le journal de Rudolf Semmler, secrétaire de Goebbels, publié en 1947 en Angleterre et en 1948 en France, lève le voile en relatant les coups de téléphone inquiets que des chefs de service du Ministère de la propagande lui ont passés ce matin là :

« [Ils ne se doutent pas] qu’un jeu de dupes, habilement mené, se déroule ; que Goebbels a ordonné lui-même que le numéro soit saisi, et que son article a été écrit après une consultation avec l’état-major général et avec Hitler lui-même » (13)

Tous les acteurs de ce trucage magistral savaient très bien que les correspondants de presse étrangers disposaient des journaux allemands dés 7 heures du matin et câblaient immédiatement les nouvelles importantes à leurs sièges. En saisissant trop tard le numéro et en coupant trop tard les communications internationales, le tout à dessein, les nazis donnèrent du brillant et de la «véracité» à cet article et tout le monde est tombé dans le panneau, y compris les fonctionnaires affolés du Ministère de la propagande.

Quant à Goebbels, il continua à voir son Führer quotidiennement, comme d’habitude, mais «Son chauffeur, avant de le conduire à la Chancellerie, change le numéro de sa voiture contre un autre, anonyme. A l’intérieur de l’auto, Goebbels dissimule son visage derrière [un journal] pour qu’on ne le remarque pas » (R. Semmler, op. cité).

Dans son journal, Goebbels confirme qu’il répand également des rumeurs au sujet d’un prochain voyage de Staline à Berlin, dupant même des ministres du Reich : « Je fais répandre des rumeurs extravagantes : que Staline va venir à Berlin, que les drapeaux rouges sont déjà confectionnés, etc. Le Docteur Ley (14) appelle. Il est tombé complètement dans le panneau. Je ne le détrompe pas ». Grâce à ces manipulations, les Allemands et le monde entier continuent de croire que c’est bien la Grande-Bretagne qui est visée, pas l’URSS. Staline lui-même est tombé dans le piège, faisant envoyer à son Ambassade à Berlin un télégramme annonçant qu’il acceptait une rencontre... la veille du début de Barbarossa !

Dr Paul Joseph Goebbels
            

Cependant, ce n’est que le 15 juin qu’Hitler apprendra à Goebbels la date du déclenchement de l’invasion à l’Est. De la même manière, il est écarté des décisions secrètes du Führer, comme celle de la mise en place de la
« Solution Finale » en 1942, son rôle n’étant pas essentiel dans l’industrialisation du judéocide.
Il l’apprendra, et le cautionnera en tant que Gauleiter de Berlin, mais plus tard.

Et que s’ouvrent les portes de l’Enfer

À partir de la fin 1941, alors que la situation du Reich s’assombrit peu à peu, Goebbels fait feu de tout bois : pendant toute la durée de la guerre, il exploite presque quotidiennement les actions et menaces qui pèsent sur les civils allemands présents aux États-Unis et en Grande-Bretagne, traitant à loisir Churchill et Roosevelt de
« criminels de guerre », invectives qui augmenteront proportionnellement au tonnage de bombes alliées déversées sur les villes allemandes. Il se délecte également à révéler en avril 1943 la découverte par la Wehrmacht des charniers de Katyn d’où sont exhumés les corps des officiers polonais massacrés par les Soviétiques. Suite à la chute de Stalingrad, Goebbels prononce le 18 février 1943 l'un de ses plus importants discours au Sportpalast de Berlin (15). Conscient que l'Allemagne court maintenant un risque mortel, il fait approuver par 15 000 délégués le concept d’une guerre totale et conclut par cette phrase : « Et maintenant peuple, lève-toi, et toi, tempête, déchaîne-toi ! »

Il devient « plénipotentiaire pour la guerre totale » en juillet 1944. Son ministère de la Propagande, au service de « la sainte croisade du XXe siècle contre le bolchevisme », mobilise les troupes allemandes et la population au fur et à mesure que la situation militaire se détériore. Alors que l’Allemagne est frappée de tous côtés, Goebbels tente de relever le moral de la population en faisant force publicité aux « armes secrètes et imparables » qui doivent donner à la Wehrmacht une supériorité technologique et stratégique telle qu’elles assureront la victoire. Il est aussi directement responsable des Volksturm, troupes de réserve hâtivement recrutées en 1944.

Le 20 juillet 1944, Goebbels joue un rôle essentiel dans l’échec de l’Opération Valkyrie (16), lorsqu’il met en contact téléphonique direct avec Hitler – que tout le monde croit mort - le major Otto Ernst Remer qui participe à la prise de contrôle de Berlin sans être du complot mais par obéissance aux ordres de ses supérieurs.

Jusqu’au bout, Goebbels travaille avec acharnement à ranimer le moral des combattants et la foi de la population dans le régime. C’est lui qui crée l’organisation clandestine Wehrwolf (« Loup-garou »), un ensemble de groupes de « partisans » fanatiques devant mener une guerre de guérilla en Allemagne occupée.
Devant les caméras, il va également sur le Front de l’Est visiter des volontaires russes pour donner un peu de corps à la légende de « L'Europe unie contre le bolchévisme ». Cette débauche d’énergie alors que tout va mal permet à Goebbels de se rapprocher encore davantage d’Hitler. Lors du procès de Nuremberg, Göring l’admettra lui-même : « Cette influence [De Goebbels] qui était très faible, a subi des oscillations de temps à autre, mais elle a beaucoup augmenté pendant les dernières années de la guerre » (17).

Dernier acte

Goebbels suit son Führer jusqu'aux derniers jours du III. Reich. Fin avril 1945, alors que l’étau soviétique se referme sur Berlin, il fait venir sa femme et leurs six enfants dans le bunker de la Chancellerie. Hitler y épouse Eva Braun : Goebbels est son témoin ainsi que Martin Bormann.

Dans son testament politique, Hitler nomme le grand amiral Dönitz président du Reich et Goebbels chancelier.
Puis, après une dernière tentative de Magda Goebbels de le convaincre du contraire, il se suicide avec Eva Braun le 30 avril. Goebbels et son épouse ne souhaitent pas survivre à leur Führer et, au soir du 1er mai, ils se donnent la mort, après avoir assassiné leurs six enfants (Helga (12 ans), Hilde (11 ans), Helmuth (9 ans), Holde (8 ans), Hedda (6 ans) et Heide (3 ans) dans des conditions pas encore élucidée. Leurs corps sont ensuite partiellement brûlés par les SS de la Chancellerie.

Citons la dernière lettre de Magda, écrite à son fils Harald le 28 avril 1945 :

«Les enfants sont merveilleux. Sans aide, ils s’aident eux-mêmes, dans ces conditions plus que primitives.
Dormir par terre, pouvoir ou non se laver, avoir ou non à manger ne suscite pas une plainte ou une larme.
Les explosions secouent le bunker. Les plus grands protègent les plus petits et leur présence ici est une bénédiction, ne serait-ce que du fait qu’ils provoquent, de temps en temps, un sourire chez le Führer. Hier soir, le Führer a enlevé son insigne d’or du parti et l’a épinglé sur moi. Je suis fière et heureuse. Puisse Dieu m’accorder la force d’accomplir l’acte final, le plus dur. Nous n’avons plus d’autre but que la loyauté envers le Führer jusqu’à la mort et le fait que nous puissions finir nos vies avec lui est une bénédiction du destin que nous n’aurions jamais osé espérer
»
(18)

Jusqu’au bout, c’est la main et la pensée du Führer, même posthumes, qui guident les Goebbels.

L’héritage

Le journal tenu par Goebbels de 1923 à 1945 est un document important pour les historiens. Il comporte 29 volumes édités intégralement mais tardivement par l’Institut für Zeitgeschichte (Institut d'Histoire contemporaine de Munich), les premières éditions partielles chez Saur datant de 1987 a 1995. On y découvre, de l'intérieur, le fonctionnement complexe du système nazi, l'idolâtrie de Goebbels vis-à-vis de son maître, et surtout la machine à manipuler les esprits que dirige Goebbels.

Trois idées serviront à alimenter jusqu’à la fin ses propres illusions sur la victoire finale alors que les troupes soviétiques et occidentales sont en train d’écraser le Reich : les Juifs, responsables du mal par définition, les Slaves «bolcheviques», autre incarnation du mal, et les promesses de lendemains meilleurs. On y découvre aussi la psychologie d'un personnage-clé du nazisme, niant les crimes nazis avec véhémence et s'indignant des «bombardements criminels» des villes allemandes, si bien qu'on finit par se demander s'il écrivait pour manipuler aussi la postérité ou s'il croyait en son propre discours d’autant plus qu’en 1936, il en vend les droits à la maison centrale d’édition du NSDAP, certainement avec l’ambition d’écrire l’histoire du XXe siècle à destination des générations futures..

Conclusion

Joseph Goebbels nous parait être un exemple extrêmement caractéristique des ravages que la mystification nazie a pu engendrer. Rejeton handicapé, physiquement et moralement, de la République de Weimar, moulé dans les frustrations sociales, économiques et culturelles de l’Allemagne vaincue en 1918, il a trouvé, dans son Führer, la solution à tous ses problèmes.

Avide d’idéalisme, quitte à ce qu’il s’agisse d’un idéalisme raciste et frelaté, vivement désireux de marquer de son empreinte la résurrection de l’Allemagne d’après 1918, quitte à ce qu’il s’agisse d’une Allemagne criminelle et agressive, il est tombé dans tous les pièges tendus par son Führer et l’a fidèlement servi, sans poser trop de questions, sans états d'âmes, jusqu’au bout, sacrifiant sans hésitation ses propres enfants sur l’autel de la «fidélité».

Ils furent nombreux ceux qui, comme Goebbels, se laissèrent prendre aux chants des sirènes hitlériennes, crurent jusqu’à la mort au bien-fondé de l’idéologie nazie, en l’infaillibilité du Führer et se laissèrent entraîner à sa suite et sous sa direction vers des abîmes criminels d’une profondeur inouïe, le tout sans murmurer, sans protester, voire même en rajoutant pour plaire au Chef. Il y eut certes parmi les cadres du régime des sadiques, des névrosés et autres clients potentiels des psychiatres et des neurologues. Mais ils n’étaient pas cadres de haut niveau.
A la tête du Reich se trouvaient des hommes intelligents, cultivés, compétents, réfléchis et efficaces. S’ils avaient été de véritables malades mentaux, ils n’auraient pas pu obtenir les sinistres succès que nous connaissons et continuer, de nos jours, à en mystifier plus d’un.

Pour en savoir plus...

Auschwitz, enquête sur un complot nazi
Florent Brayard, Editions Seuil, janvier 2012
Ce livre, qui semblerait indiquer que l’auteur se dégage enfin, quoique partiellement, de ses errances fonctionnalistes passées, est en grande partie consacré à l’analyse du journal de Goebbels et à la démonstration de l’ignorance, au moins partielle et temporaire, dans laquelle Hitler tenait ses complices, même les plus proches, quant a l’étendue de l’application de la « Solution finale du problème juif ». Ce livre a commencé, a peine quelques semaines après sa sortie, à soulever des passions contradictoires. Il fait notamment l’objet d’un gros dossier du Point et de sa Une, le 1er février 2012 plus de multiples polémiques sur la Toile.

Décidément, l’analyse de la façon dont le nazisme manipulait le secret en est encore a ses balbutiements et les fureurs que génèrent ce livre, bien qu’encore incomplet, nous porte a croire que l’histoire de la Dernière Guerre Mondiale est encore loin, très, loin, de nous avoir livré tous ses secrets.

Liens :
http://www.delpla.org/article.php?id_article=526
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/ francois-guillaume-lorrain/le-pou-metaphore-oulapsus-de-l-antisemite-02-02-2012-426592_505.ph

(1) François Delpla, La ruse nazie, France-Empire, 1997, page 159
(2) Le copieux Journal tenu par Goebbels de 1923 à 1945 est un document capital pour les historiens et comporte 29 volumes édités intégralement par l’Institut für Zeitgeschichte (Institut d'Histoire contemporaine de Munich) puis en traduction française non intégrale par les éditions Tallandier. Il se compose de deux parties distinctes : la première (1923-1941) est manuscrite, la seconde (1941-1945) a été dictée à son sténographe, Richard Otte. Ce n’est donc pas un véritable journal intime, d’autant qu’en 1936, Goebbels en vend les droits à la maison centrale d’édition du NSDAP, certainement avec l’ambition d’écrire l’histoire du XXe siècle à destination des générations futures.
(3) Le Voyageur (Der Wanderer) est une œuvre de jeunesse de Goebbels, un « spectacle en un prologue, onze tableaux et un épilogue » rédigé en novembre 1923.
(4) Oswald Spengler (1880-1936) est un philosophe allemand qui s'opposera à la République de Weimar en adversaire décidé de la démocratie. Profasciste, il prend néanmoins ses distances avec le nazisme à partir de 1933.
(5) William Schirer, Le Troisième Reich des origines a la chute, Simon &Schuster,1960, trad. française Stock, 1966, tome 1, pages 163-169.
(6) Subdivision territoriale du NSDAP dirigée par un Gauleiter.
(7) Der Angriff (signifiant L'Attaque en français) est un journal national-socialiste hebdomadaire publié pour la première fois à Berlin le 4 juillet 1927 a l'initiative Joseph Goebbels.
(8) François Delpla, Les tentatrices du Diable, L’Archipel, 2005, chapitre 12.
(9) Le maréchal Paul von Hindenburg (1847-1934), symbole de l’aristocratie militaire prussienne, chef d’état-major allemand durant la guerre de 1914-18, fut élu président de la République de Weimar en 1925 et le restera jusqu’a sa mort. (10) Toutes les citations de Goebbels proviennent de son journal op. cité.
(11) Cette phrase a aussi été attribuée à Baldur von Schirach, toujours sans source précise.
(12) Aktion T4 est la désignation courante, utilisée après la Seconde Guerre mondiale, pour la campagne systématique d'assassinat par le régime nazi d'handicapés mentaux ou physiques.
(13) Rudolf Semmler, Journal du secrétaire de Goebbels, La Jeune Parque, 1948
(14) Robert Ley (1890-1945) était Directeur du Front allemand du travail ((Deutsche Arbeitsfront, DAF), organisme nazi ayant remplace les syndicats dissous en 1933, et Organisateur du NSDAP (Reichsorganisationsleiter).
(15) Le Sportpalast de Berlin (construit en 1910, démoli en 1973) était un bâtiment pour des évènements de sports d'hiver et une salle de réunion dans le quartier Schöneberg à Berlin. Suivant le type d'événements et la configuration des sièges, le Sportpalast pouvait accueillir jusqu'à 14 000 spectateurs et était à l'époque la plus grande salle de réunion de la capitale allemande. Il est surtout connu pour les discours et meetings qui 'y prirent place sous le Troisième Reich, particulièrement le discours de Joseph Goebbels sur la « guerre totale » du 18 février 1943.
(16) L’opération Walkyrie est un complot mené par des militaires de la Wehrmacht, dont le célèbre colonel Claus von Stauffenberg, destiné a assassiner Hitler et permettre en se débarrassant des principaux dirigeants nazis de signer une paix séparée avec les Occidentaux afin de rassembler toutes les forces allemandes sur le front de l’est. L’attentat a échoué mais l’initiative était de toute façon vouée a l’échec, les Occidentaux et les Soviétiques ayant passe un accord inébranlable au sujet de la reddition sans conditions des forces du Reich.
(17) François Delpla, Nuremberg face à l’histoire, L’Archipel, 2006, page 301.
(18) Anja Klabunde, Magda Goebbels. Approche d'une vie, Tallandier, 2006, dernier chapitre


Bibliographie :
Edouard Husson, La garde rapprochée du Führer, Magazine «L'Histoire» N° 312, 2006.
François Delpla, Nuremberg face à l’histoire, L’Archipel, 2006.
Anja Klabunde, Magda Goebbels, Éditions Taillandier, 2006
François Delpla, Les tentatrices du diable, L’Archipel, 2005 (Pour ce qui concerne Magda Goebbels)
Joseph Goebbels, Journal, Munich, Saur, 1987-1995, traduction française publiée en 2005 et 2006 en 2 tomes (1923-33, 1933-45) aux éditions Taillandier.
François Delpla, Hitler, Grasset, 1999
François Delpla, La ruse Nazie, France Empire, 1997. William L. Schirer, Le troisième Reich des origines à la chute, Stock, 1961 Rudolf Semmler, Journal du secrétaire de Goebbels, La Jeune Parque, 1948. Goebbels.

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