En
ce mois d'avril 1945, en disgrâce auprès d'Hitler et voyant
venir la fin de l'Allemagne hitlérienne, Heinrich Himmler se
mit à échafauder des plans pour échapper à
son destin. Le 19 avril, il eût une longue conversation avec le
ministre des Finances, Schweiring von Krosigk tandis que Walter Schellenberg*
sondait le ministre du Travail, Seldte. Ils tombèrent tous d'accord
pour dire qu'Hitler devait céder sa place ou disparaître
afin qu'Himmler puisse négocier une "paix honorable".
Ce "complot de la dernière heure" avait été
suggéré par le comte Bernadotte** qui avait conseillé
à Himmler de prendre la succession d'Hitler en annonçant
publiquement qu'Hitler, souffrant d'une grave maladie, n'était
plus en état d'assurer sa tâche. Après quoi, le
Parti national-socialiste devait être dissous.
Le 21 avril, Himmler rencontra à nouveau le comte Bernadotte
près de Berlin. Himmler lui promit d'empêcher l'évacuation
du camp de Neuengamme près de Hambourg et demanda au comte Bernadotte
de transmettre ses propositions au général Eisenhower
avec lequel il souhaitait avoir une entrevue. Himmler voulait toujours
croire qu'il pouvait espérer un poste dans le futur gouvernement
de l'Allemagne malgré les paroles du comte Bernadotte qui ne
lui laissait aucun espoir sur ce plan. Cédant aux suppliques
d'Himmler, Bernadotte accepta malgré tout une dernière
entrevue, le 23 avril, au consulat de suède à Lübeck.
Bernadotte accepta de transmettre à son gouvernement les propositions
d'Himmler qui jugerait de l'opportunité de les transmettre aux
Alliés.
Le lendemain, le président Truman faisait une déclaration
excluant toute paix séparée avec l'Allemagne.
Himmler avait perdu !
A Berlin, l'encerclement de la ville était achevé depuis
le 24 mais Hitler espérait toujours que "l'armée
Wenck" allait
venir à son secours.
Le 27, il était clair que cela n'était plus qu'une utopie.
La veille, un incident avait ravivé la hargne du Führer
: Hermann Fegelein le "beau-frère" d'Hitler (il avait
épousé la soeur d'Eva Braun) avait quitté le bunker.
Des SS le retrouvèrent et le ramenèrent au bunker en qualité
de prisonnier.
Le 28, la BBC révéla les propositions d'Himmler. En apprenant
cette "trahison", Hitler le destitua (Karl Hanke fut son éphémère
remplacant du 29 avril 1945 au 8 mai 1945). Pour se venger, pour passer
sa hargne et pensant que Fegelein avait une quelconque responsabilité
dans cette affaire, Hitler le fit fusiller dans la cour de la Chancellerie.
Pendant que se déroulaient ces événements, Heinrich
Himmler entamait son ultime odyssée.
Ayant quitté le comte Bernadotte à Lübeck le 23,
Himmler, ignorant que son arrestation avait été ordonnée,
se dirigea vers Berlin afin de s'échapper de la région
qui était progressivement investie par les armées alliées.
Ne pouvant pénétrer dans la ville, il se dirigea vers
le quartier général de la Wehrmacht installé à
Fürstenberg. Le 26, il apprit la trahison de Goering*** et son
arrestation. Himmler prit alors la direction de la frontière
danoise pour y rejoindre Schellenberg. Celui-ci était chargé
d'accompagner le comte Bernadotte à Flensbourg et de suivre les
négociations. Le 30, Schellenberg était à son tour
démis de ses fonctions par Hitler (qui se suicida le même
jour) et alla rejoindre Himmler près de Lübeck. Le 1er mai,
ils apprirent la mort de Hitler et la désignation de Doenitz.
Himmler décida de se rendre auprès de lui à Plön
afin d'établir avec lui les mesures à prendre. Schellenberg,
quant à lui, partit pour le Danemark afin d'y poursuivre les
négociations, revint à Plön puis se rendit à
Stockholm quelques jours avant la capitulation. Le nouveau gouvernement
s'installa à Flensbourg. Himmler se joignit à la cohorte
affolée des généraux qui voulaient poursuivre le
combat...en Norvège !
Le 6 mai, le nouveau gouvernement décidait enfin de capituler.
Le Reichführer SS devenait un personnage encombrant et fut exclu
du nouveau gouvernement****. Les jours suivants, Himmler se cacha probablement
dans les environs de Flensbourg.
Le 20 mai, Himmler tenta de fuir vers la Bavière avec quelques
officiers SS.
Le 21, dans la région de Brême, il se présenta à
un poste de contrôle britannique avec un laissez-passer tout neuf
au nom de Heinrich Hitzinger.
Il portait un bandeau noir sur l'oeil gauche et avait coupé sa
petite moustache.
Le trouvant suspect, le fonctionnaire avisa le service de sécurité
et l'envoya dans le camp de prisonnier tout proche.
Himmler sentant qu'il serait rapidement démasqué demanda
à parler au commandant du camp à qui il se présenta
et demanda à parler au maréchal Montgomery.
Transféré à Lünebourg, il fut fouillé
(une capsule de cyanure y fut découverte) et reçut un
uniforme anglais.
Le colonel Murphy, envoyé par le maréchal Montgomery,
demanda dès son arrivée si un médecin avait examiné
sa bouche.
A la demande du médecin qui lui demandait d'ouvrir la bouche,
Himmler se contracta et croqua la capsule de cyanure dissimulée
dans sa bouche.
Le Reichführer SS Heinrich Himmler entendait rester maître
de son destin.
(Le maréchal Goering se suicida également quelques heures
avant de monter à l'échafaud)
* Walter Schellenberg :
Agent du SD, il organisa l’incident de Venlo (voir ci-dessous)
en novembre 1939, ce qui lui valu d’être promu colonel.
Par la suite, devenu directeur du 4e Bureau (renseignements à
l’étranger) de l’Office central de sécurité
du Reich (RSHA), il succéda à l’amiral Canaris à
la tête de l’Abwehr en février 1944. Condamné
à six ans de prison par un tribunal militaire américain,
mais pas pour actes contre les Juifs. Libéré avant la
fin de sa peine. Mort en Italie en 1952.
Incident de Venlo : Schellenberg, agent allemand du SD, se fit passer
pour un délégué de la résistance militaire
allemande contre Hitler et organisa une rencontre secrète à
Venlo, en Hollande, entre le capitaine Best, le major Stevens, un agent
hollandais et lui-même. Kidnappés par un commando SS dirigé
par Naujocks, les trois agents furent conduits en Allemagne pour y être
interrogés. En vain ! La "conspiration anglo-hollandaise
contre le Reich" donna à Hitler un prétexte pour
envahir les Pays-Bas.
** comte Folke Bernadotte af Wisborg : Président de la Croix-Rouge
suédoise. il fut assassiné à Jérusalem en
1948, où il avait été envoyé comme médiateur
de l'ONU dans le conflit israélo-arabe.
*** Le 23 avril, estimant que Hitler n'était plus en mesure de
diriger le pays, il envoya un message à Hitler lui demandant
son accord pour assumer le gouvernement du Reich. Hitler ordonna son
arrestation immédiate.
**** Le gouvernement Doenitz maintint un semblant de gouvernement jusqu'au
23 mai, date à laquelle les Alliés arrêtèrent
tous les membres.