Devenu
chancelier le 30 janvier 1933, Hitler obtient de Hindenburg la dissolution
du Parlement et l'organisation de nouvelles élections prévues
pour le 5 mars 1933. En effet, si le NSDAP est le premier parti au Reichstag,
avec 196 sièges sur 584, il dépend des partis de la droite
traditionnelle pour disposer d’une majorité et fait face
à une opposition de gauche composée de 121 députés
sociaux-démocrates et 100 députés communistes.
« Miraculeusement », dans la nuit du 27 au 28 février
1933, le Reichstag, siège du Parlement allemand à Berlin,
part en fumée suite à un incendie d’origine criminelle.
L’incendie
et la mise en place de la dictature
Le 27 février
1933, vers 21 h 15, un étudiant passant devant le Reichstag entend
le bruit d'une vitre brisée. Il alerte le gardien du Parlement
qui aperçoit une silhouette courant à l'intérieur
du bâtiment en y boutant le feu. Les pompiers et la police arrivent
rapidement sur les lieux où ils constatent de nombreux départs
de feu. « Dans la salle Bismarck, située au nord de
l'édifice, un homme jaillit soudain, torse nu, ruisselant de
sueur, l'air égaré, avec un regard halluciné
» (1).
Cet homme, Marinus van der Lubbe, se laisse arrêter sans résistance
et passe immédiatement aux aveux, affirmant que l'incendie est
un geste de protestation politique et qu'il a agi seul.
Les nazis exploitent immédiatement l'évènement
et présentent l’attentat comme étant le déclenchement
d’une révolution communiste. Dès le 28 février,
ils obtiennent de Hindenburg un décret présidentiel, le
« Décret d’urgence pour la protection du Peuple et
de l’État » qui suspend les libertés individuelles
et lance la chasse aux communistes. Dans la foulée, le gouvernement
fait arrêter plus de 4 000 militants du KPD, le parti communiste
allemand, ainsi que plusieurs dirigeants sociaux-démocrates,
syndicalistes et opposants de gauche, au total plusieurs dizaines de
milliers de personnes.
Ces opposants sont internés dans les premiers camps de concentration.
Ce décret qui élimine les libertés individuelles
en Allemagne restera en vigueur jusqu'en 1945. Notons que ces arrestations
prirent place très rapidement, elles avaient été
soigneusement préparées de longue date.
Cependant,
ni le Parti Communiste ni le Parti Social-démocrate ne sont interdits
et ont donc des élus suite aux élections du 5 mars, 81
communistes et 120 sociaux-démocrates. Le NSDAP, avec 43,9 %
des suffrages, n'a pas la majorité.
De plus, Hitler a besoin d'une majorité des deux tiers pour obtenir
le vote de l'Acte générateur (« Loi
visant à la suppression de la détresse dans le Peuple
et dans le Reich », ou « Loi sur les pleins pouvoirs
». Ses cinq seuls articles confèrent au gouvernement du
Reich des prérogatives illimitées ou presque, lui permettant
même d’édicter des lois susceptibles d’entamer
le noyau dur de la Constitution).
Le vote de cette loi est acquis par Hitler quand il persuade le Parti
du centre, le Zentrum (ancêtre du Parti Démocrate-chrétien
allemand) de voter en sa faveur lors de sa présentation le 23
mars. Bien que les sociaux-démocrates votent contre, la majorité
des 2/3 est cependant atteinte du fait que certains députés
sociaux-démocrates sont empêchés de siéger
par les SA et que les députés communistes, représentant
17 % des membres du Reichstag, sont arrêtés avant le vote
pour leur « rôle suspect dans l'incendie du Reichstag
».
La loi entre en vigueur le 27 mars et, bien que l'Acte générateur
n’est censé être effectif que pendant quatre ans,
il sera officiellement prolongé à deux reprises et restera
en vigueur jusqu’en 1945.
L’habile exploitation politique de l’incendie du Reichstag
facilite tellement la mise en place de la dictature nazie que certains
historiens qualifient cet incendie « d’acte fondateur »
du IIIème Reich
Les
enquêtes et procès
Deux procès
ont lieu, voyons d’abord celui qui se tient en Allemagne.
Dès l'annonce de l'incendie et avant tout début d'enquête,
la radio allemande affirme que les communistes ont mis le feu au Reichstag.
Cette thèse, générée sur l’instant
devant le bâtiment en flammes par Göring et Hitler, sert
de base au procès qui s'ouvre à Leipzig le 21 septembre
1933.
Sur le banc des accusés figurent, outre Marinus van der Lubbe,
l'ancien chef de groupe parlementaire du DKP (parti communiste allemand),
Ernst Torgler, et trois communistes bulgares, dont Gueorgui Dimitrov,
futur secrétaire général du Komintern et futur
Premier ministre du gouvernement communiste bulgare. Pugnace, luttant
pied à pied, tenant tête par sa rhétorique à
Goebbels et à Göring à qui il fait perdre son calme,
Dimitrov, qui a appris l'Allemand durant les mois de prisons précédant
la condamnation, fait voler en éclat la thèse officielle
et transforme le procès en tribune antinazie ce qui lui vaut
une renommée mondiale, y compris en Allemagne. Finalement, seul
Marinus van der Lubbe est condamné et décapité
le 10 janvier 1934, les quatre autres accusés étant acquittés.
Ce verdict, qui ôte toute base à la thèse officielle
des nazis, ne les empêche pas de maintenir leur interprétation.
En face, l’exilé communiste allemand Willi Münzenberg,
dans son Livre brun, attribue la responsabilité de l'incendie
aux nazis, ceux-ci ayant voulu par là se créer un prétexte
pour déclencher une vague de répression. La parution du
Livre brun est suivie, en septembre 1933, d’un procès
organisé à Londres par un comité antifasciste international,
qui s'affirme selon les mots du procureur comme « un simulacre
de procès [qui] ne saurait avoir de validité
juridique et n'avait d'autre but que de servir la vérité
que les circonstances empêchaient d'éclater en Allemagne
».
« Il en ressort [du contre procès de Londres]
que l’attentat, dirigé par Göring sur l’ordre
de Hitler, a été exécuté par un commando
de SA, utilisant pour ne pas se faire repérer un passage souterrain
qui relie la Chambre à la résidence de son président.
Cette mouvance n’est pas tendre non plus pour van der Lubbe, qui
n’était pas communiste mais l’avait été,
en Hollande, jusqu’en 1930, avant de rompre en reprochant au parti
sa mollesse : c’est le thème du « trotskyste agent
de la Gestapo », bientôt omniprésent dans
les procès de Moscou, qui s’esquisse ici, redoublé
d’accusations sexuelles aussi peu étayées que médiocrement
révolutionnaires : le Hollandais a été l’amant
du chef SA Ernst Röhm, et l’homosexualité, ce n’est
pas beau du tout. » (2)
Les
controverses historiographiques
Un acte isolé
En 1960, dans le Spiegel, puis en 1962, dans son livre Der Reichsbrand.
Legende und Wirklichkeit, Fritz Tobias, qui est un historien
amateur, affirme que la thèse du complot nazi est aussi infondée
que celle du complot communiste. Il qualifie de fallacieux les documents
du Livre brun qui servait de base au dossier antinazi.
Cette thèse fut soutenue par l’historien fonctionnaliste
Hans Mommsen dans un article dans le Der Spiegel puis un livre.
Selon Ian Kershaw, les conclusions de Tobias sont désormais largement
acceptées. Selon lui, la surprise et l'hystérie qui s'emparent
des plus hauts dirigeants nazis la nuit de l'incendie, à commencer
par Hitler lui-même, est un signe du caractère inattendu
de l'évènement et du fait que l'incendie est bien le fait
du seul Marinus van der Lubbe.
« Les premiers membres de la police à interroger van
der Lubbe, aussitôt appréhendé et clamant haut et
fort sa « protestation », n'avaient aucun doute : il avait
agi seul, personne d'autre n'était impliqué dans l'incendie.
Mais Göring, dont la première réaction en apprenant
l'incendie semble avoir été pour s'inquiéter des
précieuses tapisseries du bâtiment, se laissa facilement
convaincre par les autorités sur place que l'incendie était
le fruit d'un complot communiste. Hitler, qui arriva vers 22 h 30, soit
une heure environ après Göring, se laissa rapidement persuader
de tirer la même conclusion. Göring lui expliqua que l'incendie
était sans conteste l'œuvre des communistes. L'un des incendiaires
avait déjà été arrêté, tandis
que plusieurs députés communistes se trouvaient dans le
bâtiment quelques minutes à peine avant l'embrasement.
»
L'analyse de Kershaw est vivement contestée par Lionel Richard
: « les analyses de Tobias, déjà fortement mises
en cause par un groupe d'historiens quand elles ont été
publiées, ne jouissent plus d'aucun crédit. Il a été
démontré que son information documentaire n'était
pas fiable. En l'occurrence, Kershaw aurait pu, au moins, prendre sérieusement
en considération les travaux d'Alexander Bahar. »
La publication récente des carnets de route de van der Lubbe,
(Éditions Verticales, 2003) censés également montrer
que la thèse de Tobias est la bonne, n’apporte en fait
qu’un éclairage un peu nouveau sur la personnalité
de Marinus mais comporte des trous béants dans sa tentative de
démonstration, notamment l’absence totale d’analyse
de ce que faisaient les nazis avant l’incendie comme après.
C’est d’ailleurs là une constante chez les partisans
de Tobias : le fait que Hitler et ses collaborateurs soient au cœur
d’une campagne électorale d’une importance extrême
pour eux et, par conséquent, étaient prêts à
tout pour réussir, n’est jamais pris en compte.
Une manipulation nazie
Alan Bullock, Hitler ou les mécanismes de la tyrannie,
Marabout Université, 1962 : « Goering avait trouvé
là un bien beau prétexte pour attaquer les communistes
; c'est pourquoi beaucoup pensent (et avec eux l'auteur de cet ouvrage)
que l'incendie du Reichstag fut en fait organisé et perpétré
par les nazis eux-mêmes. » (Tome 1, p. 254). Pour Pierre
Milza, Marinus van der Lubbe aurait été manipulé
par les nazis : « Utilisant le délire pyromane d'un
jeune chômeur d'origine hollandaise, Marinus van der Lubbe, qui
se dit communiste, les hommes de Göring l'ont laissé allumer
un petit incendie dans le Palais du Reichstag, tandis qu'eux-mêmes
inondaient les sous-sols d'essence ». François Delpla
penche lui aussi pour une manipulation de Marinus van der Lubbe par
les nazis, par le biais d'un agent infiltré dans les milieux
de l'ultragauche, lui faisant croire que l'incendie allait créer
un soulèvement populaire contre Hitler. Il reproche aux tenants
de la thèse de l'incendiaire isolé de croire que l'absence
de preuves de complicités prouve l'absence de complicités.
Jacques Delarue (1962) estime que l'incendie a été perpétré
par un commando de membres de la SA, dirigé par Karl Ernst et
Edmund Heines, à l'initiative d'Hermann Göring.
William Shirer, Le Troisième Reich des origines à la chute,
Stock, 1963 : « On ne saura probablement jamais toute la vérité
à propos de l'incendie du Reichstag. Presque tous ceux qui la
connaissaient sont aujourd'hui morts, la plupart d'entre eux assassinés
par Hitler dans les mois qui suivirent. Même à Nuremberg,
le mystère ne put être entièrement éclairci,
bien que l'on possède assez de preuves pour affirmer avec une
quasi-certitude que c'étaient les nazis qui avaient préparé
l'incendie et qui l'avaient exécuté à des fins
politiques. »
Pour Gilbert Badia, 1983, il est impossible qu'un homme isolé
comme van der Lubbe, dépourvu de tout soutien ait seul perpétré
l'incendie, notamment compte tenu du fait qu' « on trouva
dans le Reichstag assez de matériel incendiaire pour remplir
un camion » et d'une déclaration de Göring au général
Hadler lors de laquelle il affirme : « le seul qui connaisse bien
le Reichstag, c'est moi ; j'y ai mis le feu ».
Serge Berstein, L'Allemagne de Hitler - chapitre : La prise de pouvoir
par Adolf Hitler, Éditions du Seuil, collection Points, 1991
: « Dans la nuit du 27 février, le Reichstag flambe
et on arrête sur les lieux un jeune Hollandais, à demi
idiot, Van der Lubbe, qui se déclare communiste. Goering fait
aussitôt incarcérer les dirigeants du parti communiste,
4 000 permanents et le Bulgare Dimitrov, secrétaire général
du Komintern présent en Allemagne. Leur procès, qui a
lieu à Leipzig après les élections, leur permet
de prouver sans peine leur innocence et de fortes présomptions
laissent supposer que l'incendie est l'œuvre des nazis eux-mêmes.
Rappelons que Fritz Tobias a soutenu la thèse d'un Van der
Lubbe seul responsable de l'incendie du Reichstag sans complicités
extérieures. Selon Tobias, les nazis auraient simplement saisi
cette opportunité pour museler l'opposition communiste. Notons
que les résultats de l'enquête de Fritz Tobias furent publiés
dans le journal "Der Spiegel" dès 1959 avant de paraître
sous la forme d'un livre "Der Reichtagsbrand", Rastadt, 1962.
»
Pierre Milza, Les fascismes, Éditions du Seuil, collection Points,
2001 : « On sait que l'attentat contre le siège du
parlement allemand avait été commis par un jeune chômeur
d'origine néerlandaise, van der Lubbe, qui avait appartenu au
parti communiste et souffrait de troubles mentaux. Bien que toute la
lumière ne soit pas encore faite aujourd'hui sur cette affaire
(la plupart des témoins ayant "disparus" au cours des
premières années du régime), il est à peu
près acquis que le pyromane était manipulé par
les nazis - les hommes de Göring auraient laissé van der
Lubbe allumer un petit feu dans le palais du Reichstag tandis qu'eux-mêmes
inondaient le sous-sol d'essence - et qu'il y a eu provocation de leur
part. »
En 2001, en se basant à la fois sur les circonstances matérielles
de l'incendie et sur des archives de la Gestapo conservées à
Moscou et accessibles aux chercheurs depuis 1990, Bahar et Kugel reprennent
la thèse selon laquelle le feu a été mis au Reichstag
par un groupe de SA agissant sous les ordres directs de Göring.
François Delpla adopte la thèse de l’attentat nazi,
disant des travaux de Tobias :
« Cependant, si on examine ce travail avec une parcelle de
l’esprit critique dont lui-même accable la plupart de ses
devanciers, on est vite intrigué par des curiosités méthodologiques.
Il s’intéresse assez peu aux faits, et bien plus aux failles
des théories adverses. Il écarte ce qui gêne sa
démonstration avec une brutalité radicale : ainsi, tous
les témoignages sont récusés, au motif que tous
auraient été pollués par les théories en
vigueur, et le corpus des sources se voit drastiquement réduit
aux documents écrits. Ceux-ci consistant essentiellement en rapports
de police, la démonstration s’en trouve fort simplifiée
: il y a d’un côté des professionnels consciencieux,
qui recueillent les aveux de van der Lubbe et lui font reconstituer
ses gestes d’une façon qui cadre à peu près
avec les horaires présumés, de l’autre des nazis
surpris par l’événement mais doués d’excellents
réflexes propagandistes. » (3)
Citons également l’analyse que Nicolas Bernard nous a livrée
sur le forum www.39-45.org :
« S'il est vrai que ces deux auteurs [Tobias et Mommsen] ont
sérieusement mis à mal la version traditionnelle de l'événement,
qui voulait que "les nazis" aient envoyé un commando
brûler le bâtiment et aient imputé le crime à
un innocent (le très falot Van der Lubbe) en compagnie d'autres
leaders communistes tels que le Bulgare Dimitrov, ils n'en ont pas moins
été contestés par d'autres chercheurs, tels qu'Edouard
Calic (Le Reichstag brûle !, Stock, 1969), qui, malgré
quelques faiblesses dans l'argumentation démontre bel et bien
que la place avait été préparée pour Van
der Lubbe, lequel n'a pu que bénéficier de complicités
nazies. »
Des
faits têtus
Les citations d’historiens d’un coté comme de l’autre,
laissent penser à l’auteur de cet article que les fonctionnalistes
ont, une fois de plus, raté une marche dans cette affaire. Mais
revenons maintenant aux sources primaires telles que glanées
chez Jacques Delarue, François Delpla et quelques autres :
· La piste du souterrain avait été soufflée
à la presse par Göring. La piste du commando, c’est
les nazis qui la suggèrent, en esquissant non seulement son itinéraire,
mais son équipement, puisque le même Göring parle
d’un apport massif de matériaux inflammables. On peut d’ailleurs
se demander, avec F. Delpla, si l’homosexualité, totalement
imaginaire, de van der Lubbe, n’aurait pas été également
suggérée par quelque fuite gestapiste, et remarquer qu’en
tout cas cette prose servait merveilleusement les nazis en fournissant
une rampe de lancement à leur manœuvre suivante, l’exécution
de Röhm motivée par un ensemble de griefs où la moralité
figurait en bonne place.
· Hitler Goering et Goebbels sont très rapidement sur
les lieux et y restent. Étrange pour les dirigeants d’un
pays qui serait sous la menace d’une révolution communiste.
· Otto Strasser s’interroge dans ses Mémoires sur
la présence, dans le palais de Goering, du Gruppenführer
S.A. Karl Ernst accompagné de quelques hommes triés sur
le volet. Que faisaient-ils dans le souterrain construit pour faire
passer les canalisations de chauffage central qui vont du palais au
bâtiment du Reichstag ? Bref, pour Strasser, il y a eu préparation
de l'opération, van der Lubbe n'étant que le bouc émissaire,
manipulé comme agent provocateur. Il présente aussi une
savoureuse anecdote : « Je me trouve au même instant
à la gare d'Anhalt, je vois des lueurs dans le ciel ; je demande
à mon chauffeur de taxi ce qui se passe. - Les nazis, me répond-il,
indifférent, ont incendié le Reichstag. »
· Observez les photos de Marinus van der Lubbe et comparez celle
de la reconstitution à celles prises pendant le procès.
Que lui a-t-on fait entre temps pour qu’il ait l’air «
abruti » et ne réponde aux questions que par monosyllabes
? « […] cette hébétude dans laquelle certains
médecins crurent reconnaitre les symptômes produits par
la scocpolamine. » (4)
· Le 22 février, soit 5 jours avant l’attentat,
Goering transforme par décret les SA en auxiliaires de la police
d’ordre, ce qui permet d’avoir à disposition les
effectifs nécessaires pour déclencher l’énorme
vague d’arrestations qui suit l’incendie.
· L’incendie a lieu pendant une campagne électorale
d’une extrême importance pour le Parti National-socialiste
(NSDAP). Le programme de Hitler est très chargé, épuisant
même. Le calendrier diffusé par Goebbels dés le
10 février prévoit plusieurs réunions par jour,
certaines fort éloignées les unes des autres et nécessitant
des déplacements par avion. Or, de manière étrange
et apparemment inexplicable, aucune réunion n’est prévue
les 25, 26 et 27 février et il est même précisé
que le Führer ne peut assister à aucune réunion publique
le 27 février, jour de l’incendie. Hitler se trouve donc
à Berlin ce jour-là alors que ses partisans l’attendent
avec impatience partout dans le pays. Géniale intuition hitlérienne
ou plan soigneusement planifié ?
· Les premiers rapports de police, peu utilisés pendant
le procès de Leipzig ou par Tobias, montrent que les policiers
arrivés très rapidement sur les lieux sont frappés
par le nombre de foyers d’incendie (60 à 65 selon eux),
leur dispersion dans tout le bâtiment et le fait qu’ils
semblent avoir été déclenchés par des produits
incendiaires.
· Le docteur Bell, qui a de nombreux amis nazis, raconte que
van der Lubbe était en relation avec des SA et ajoute d’un
air entendu qu’il sait ce qui s’est réellement passé
ce soir là. Une de ses relations en fait rapport à plusieurs
membres du Parti Populiste. L’une des lettres arrive à
la Gestapo. Bell, alerté, s’enfuit en Autriche où
il est assassiné le 5 avril. Le docteur Oberfohren, Président
du groupe national-allemand au Reichstag, est lui aussi bien renseigné
et a l’imprudence d’en faire rapport par écrit. Un
des rapports parvient à l’étranger et est publié
par la presse. Le 3 mai, on trouve Oberfohren mort dans son appartement.
Ses papiers personnels ont disparus. Des membres du commando incendiaire
SA parlent un peu trop : le chef SA Ernst se vante après boire
de son « exploit ». Le SA Rall, arrêté après
l’incendie pour un délit de droit commun, tente de s’en
tirer à bon compte en faisant des révélations à
son juge d’instruction. Il raconte tout le périple des
incendiaires, cite Goering et Goebbels, révèle les noms
des autres membres du commando et tous les détails. Il précise
même qu’ils attendirent environ 2 heures dans le tunnel
allant du Reichstag à la résidence du Président,
donc Goering, avant d’avoir le signal de démarrage. Rall
ne le sait pas mais il est clair que Ernst attend l’arrivée
de van der Lubbe pour déclencher l’opération. Le
greffier Reineking, SA et nazi convaincu, en fait rapport à son
chef SA.
La gestapo bloque tous les comptes-rendus d’interrogatoire, fait
transférer Rall à Berlin. Son cadavre est découvert
quelques jours après dans un champ. Outre Rall, la quasi-totalité
des SA suspectés d’avoir fait partie du commando est assassinée
par la Gestapo, certains pendant la Nuit des Longs Couteaux.
Mais méfions-nous de ses morts suspectes. L'intérêt
de Hitler, selon François Delpla, n'est pas d'être insoupçonnable,
mais d'être soupçonné (pour que le nazisme apparaisse
capable de tout contre le communisme, et que ceux qui s'en réjouissent
perdent peu à peu toute moralité) sans qu'on puisse rien
prouver et en faisant piétiner l'enquête sur des fausses
pistes : faire porter par la rumeur le chapeau à Ernst puis le
trucider pour de tout autres raisons, cela fait partie du « b,
a, ba » ; et cela accrédite les rumeurs, stratégiquement
vitales, de la division permanente et gravissime du nazisme contre lui-même,
ainsi, dans le cas particulier, que la présentation de la Nuit
des Longs Couteaux comme un coup de balai salubre débarrassant
le régime de sa pègre.
Conclusion
Comme cela est très souvent le cas dès que l’on
parle du nazisme, ces polémiques sur l'identité des incendiaires
du Reichstag ont été initiées par des historiens,
amateurs et professionnels, appartenant à l’école
fonctionnaliste qui, malgré les notables et louables avancées
que leurs recherches ont permises, restent empêtrés dans
une sous-évaluation des capacités manœuvrières
réelles du nazisme en général et de Hitler en particulier.
L’explication des épouvantables succès du nazisme
par toute une série de hasards fort opportuns est non seulement
fausse mais elle est dangereuse dans la mesure où elle masque
la réalité de la capacité hitlérienne à
convaincre, à mentir avec succès et à manipuler
effrontément. Par conséquent, elle limite la possibilité
d’analyser avec finesse tout autant le nazisme que ses conséquences
sur la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui.
Il serait temps d’en finir avec cette « querelle des historiens
» et d’en revenir à la réalité, à
savoir que le nazisme, s’il fut un phénomène totalement
inédit à l’époque, a profondément
marqué son siècle au point de déborder sur le suivant,
le tout absolument pas « par hasard » mais de manière
tout à fait préméditée et habilement planifiée.
(1) Jacques
Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard, Paris, 1962, p.31.
(2) François Delpla, Le terrorisme des puissants : de l’incendie
du Reichstag à la nuit des Longs couteaux, Guerre et Histoire
no. 7, septembre 2002.
(3) http://www.delpla.org/article.php3?id_article=62
(4) Jacques Delarue, op. cité, p.96
Bibliographie
Marinus van der Lubbe, Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag,
présentés par Yves Pagés et Charles Reeve, Verticales,
2003.
François Delpla, Le terrorisme des puissants : de l’incendie
du Reichstag à la nuit des Longs couteaux, Guerre et Histoire
no. 7, septembre 2002. http://www.delpla.org/article.php3?id_article=62
Pierre Milza, Les fascismes, Seuil, 2001.
François Delpla, Hitler, Grasset, 1999.
Ian Kershaw, Hitler, Flammarion, 1999.
François-Georges Dreyfus, Le IIIe Reich, Éditions de Fallois,
1998.
Enrique Leòn et Jean-Paul Scot, Le nazisme des origines à
1945, Armand Colin, 1997.
Serge Berstein, L'Allemagne de Hitler - chapitre : La prise de pouvoir
par Adolf Hitler, Seuil, 1991.
Gilbert Badia, Feu au Reichstag. L'acte de naissance du régime
nazi, Messidor, Éditions sociales, 1983.
Otto Strasser, Le front noir contre Hitler, coécrit avec V. Alexandrov,
Marabout, 1972.
Edouard Calic, Le Reichstag brûle !, Stock, 1969.
Hans Mommsen, Der Reichstagsbrand und seine politischen Folgen, Vierteljahrshefte
für Zeitgeschichte 12 (1964), S. 351-413.
Fritz Tobias, Der Reichsbrand Legende und Wirklichkeit, Rastatt, 1962,
précédé d’un article dans Der Spiegel en
1960.
William Shirer, Le Troisième Reich des origines à la chute,
Stock, 1963.
Alan Bullock, Hitler ou les mécanismes de la tyrannie, Marabout,
1962.
Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard, 1962.
Remerciements :
Un grand merci à Francis Deleu qui, grâce aux comptes-rendus
de lecture et aux citations sur le forum Livres de Guerre http://www.livresdeguerre.net,
m’a permis d’utiliser des sources dont je ne disposais pas
personnellement.