Madame Hubert est une spécialiste de l’histoire du peuple
tsigane, discipline rare dans l’historiographie en France. Elle
a aimablement accepté que certains de ses écrits soient
incorporés dans cet article et a bien voulu vérifier les
rajouts et compléments qui y ont été adjoint. Ses
travaux sur le cas spécifique des Tsiganes de France feront prochainement
l’objet d’une étude particulière dans Histomag’44.
Ce fut un plaisir que d’échanger avec elle, qu’elle
en soit ici vivement remerciée.
Daniel Laurent
Différents
de par leur apparence, leur mode de vie et leur culture, les Tsiganes
ont de tout temps été victimes de ségrégations
tant en Europe Orientale qu'en Europe Occidentale. Ils ont été
réduits en esclavage en Roumanie, mis aux galères en France
et déportés dans les colonies en Grande Bretagne.
Ces persécutions
atteignirent leur paroxysme pendant la Seconde Guerre mondiale et ont
pris des formes différentes selon les pays et les époques
: Internement en camps de concentration, travail forcé, stérilisation,
massacres, déportation et extermination dans les chambres à
gaz.
Les nazis appliquèrent
aux Tsiganes la Weltanschauung (vision du monde) d’Hitler, les
rejetant de la Volksgemeinschaft (communauté du peuple) comme
"racialement inférieurs", et le destin de ceux-ci fut,
en de nombreux points, parallèle à celui des Juifs. Les
Einsatzgruppen [1] assassinèrent des dizaines de milliers de
Tsiganes dans les territoires de l'est occupés par les Allemands.
En outre, des milliers d’entre eux furent tués dans les
camps d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, de Chelmno, de Belzec, de
Sobibor et de Treblinka. Les nazis incarcérèrent aussi
des milliers de Tsiganes dans les camps de concentration de Bergen-Belsen,
de Sachsenhausen, de Buchenwald, de Dachau, de Mauthausen et de Ravensbrück.
Le camp d'Auschwitz
est connu de tous pour symboliser le génocide des Juifs, ce fut
aussi le camp dans lequel furent exterminés la plupart des Tsiganes
du Grand Reich. Le cas des Tsiganes n'ayant pas suscité beaucoup
d'études historiques, on ne sait toujours pas avec précision
combien furent exterminés par les Nazis et leurs complices comme
on ne sait toujours pas combien ils étaient à la veille
de la guerre et la manie nazie du secret au sujet de leurs crimes rendant
les recherches aléatoires. Les historiens semblent cependant
s'accorder sur des chiffres entre 220 000 et 300 000 morts. Quoi qu'il
en soit, ces événements ont causé un traumatisme
profond chez les survivants et dans l'ensemble de la communauté
tsigane notamment parce que leur statut de victimes ne leur a pas été
reconnu comme il se devait au lendemain de la guerre.
Allemagne
Depuis
la fin du XIXème siècle, les Tsiganes allemands, majoritairement
sédentaires, étaient devenus l'objet de toutes les attentions
de ceux qui dénonçaient le "fléau tsigane"
(anthropologues, linguistes, folkloristes) et notamment des services
de polices qui entreprirent de les recenser et de les mettre sous étroite
surveillance. Ces mesures n'avaient qu'un seul objectif : marginaliser
toujours plus les Tsiganes.
L'arrivée des Nazis au pouvoir ne marqua pas une rupture avec
la politique précédemment poursuivie. Ils achevèrent
de fédérer les différentes législations
anti-tsiganes des Länder, assimilèrent les Tsiganes aux
asociaux, ce qui leur permit de toucher les sédentaires et mirent
au point une définition raciale des Tsiganes devant permettre
l'éradication définitive du "fléau tsigane".
Depuis le
XIXème siècle, la "race tsigane" était
présentée comme une race étrangère et inférieure.
Les Nazis définissant la citoyenneté allemande d'après
des critères raciaux entreprirent de définir racialement
les Juifs et les Tsiganes afin de les exclure de cette citoyenneté.
Le Centre de recherches en hygiène raciale et biologie des populations
créé en 1936 au sein des Services de Santé du Reich
mais dépendant du ministère de l'Intérieur et dirigé
par le docteur Robert Ritter reçu la mission de recenser tous
les Tsiganes du Reich en utilisant l'anthropométrie et la généalogie.
En 1944, plus de 30 000 expertises avaient été établies
; la quasi-totalité des Tsiganes du Reich avaient été
recensés et fichés. Les données accumulées
lors de ces expertises permirent au docteur Ritter (Voir encart) d'établir
une classification précise des Tsiganes en août 1941.
"Z (Zigeuner) : Tsigane (c'est-à-dire de véritable
et pur sang tsigane).
"ZM + ZM (+) (Zigeunermischling) : Plus qu'à moitié
tsigane (c'est-à-dire métissé, mais au sang tsigane
prédominant).
"ZM (Zigeunermischling) : Semi-tsigane (à part égale
de sang tsigane et de sang allemand). Cette catégorie se subdivise
elle-même en deux sous-groupes :
1) "ZM de premier degré", dans le cas où l'un
des parents est pur tsigane et l'autre allemand.
2) "ZM de second degré", dans le cas où l'un
des parents est "ZM du premier degré" et l'autre
allemand.
"ZM_ ou ZM (_) (Zigeunermischling) : Plus qu'à moitié
allemand (c'est-à-dire métissé, mais à sang
allemand prédominant).
"NZ (Nicht-Zigeuner) : Non-Tsigane (personne à considérer
comme étant de sang allemand)."[2]
Le Centre de recherches en hygiène raciale considérant
qu'une majorité des Tsiganes était en fait des métis
(Mischling) concluait qu'ils étaient des asociaux par leur mode
de vie et une race hybride par leur métissage biologique, ce
qui impliquait qu'aucune "rééducation" n'était
possible. L'équipe du docteur Ritter proposait d'ailleurs de
tous les stériliser pour solutionner la question tsigane. Peu
à peu, les Tsiganes subirent le sort réservé aux
Juifs : les mariages mixtes furent interdits, les enfants exclus de
l'école, les adultes de l'armée, les travailleurs soumis
à un impôt spécial, etc.
Les Nazis n'ont pas attendu de disposer d'une législation raciale
pour persécuter les Tsiganes. Ils parachevèrent la politique
de sédentarisation en internant les Tsiganes dans des camps communaux.
« Ces camps furent créés à l'initiative des
autorités municipales ou de polices locales, sans qu'il ait existé
au préalable de cadre juridique formel. Le caractère de
ces camps et les conditions de vie des Tsiganes, qu'on internait par
famille, furent par conséquent très variables. Tous ces
camps ont en commun d'avoir servi, au départ, à l'internement
des Tsiganes qui habitaient dans des roulottes placées sur des
aires de stationnement ou dans des baraquements, et qui, de ce fait,
correspondaient le mieux aux préjugés racistes. Ceux qui
vivaient comme tout le monde, sans se faire remarquer par leur mode
de vie, ont cependant été internés à leur
tour dès lors qu'ils furent recensés en tant que Tsiganes
sur la base de critères raciaux. Mais l'objectif généralement
poursuivi était la concentration de tous les Tsiganes d'une ville
ou d'une région dans un camp. » [3]
Le premier camp
tsigane fut organisé à Cologne en avril 1935. Le 6 juin
1936, un "Décret pour la lutte contre le fléau tsigane"
déclara illégales les expulsions reléguant les
Tsiganes à la périphérie des villes et exigea des
autorités "la sédentarisation des Tsiganes en un
lieu déterminé" afin d'en faciliter la surveillance
par la police. Un grand nombre de villes se servirent de ce décret
pour justifier la création de camps tsiganes. En juillet 1936,
les 600 Tsiganes de Berlin dont la présence était indésirable
pendant les Jeux Olympiques furent internés dans un camp situé
à la périphérie de la ville. Le "Décret
pour la lutte préventive contre l'infestation tsigane" du
8 décembre 1938 ordonnant leur sédentarisation pour faciliter
leur recensement fut interprété comme "signifiant
qu'à l'avenir tous les Tsiganes devaient être logés
dans un camp". Ces camps étaient de véritables camps
d'internement : ils étaient entourés de barbelés,
gardés par un gardien armé, les Tsiganes ne pouvaient
en sortir sans autorisation et étaient soumis au travail forcé.
Ils étaient d'autant plus obligés de se soumettre à
cette obligation que le travail était la condition sine qua non
pour obtenir une allocation des services sociaux, allocation qui leur
permettait de se nourrir, l'administration ne le faisant pas. Ces mesures
touchaient principalement les nomades et les semi-sédentaires.
Assimilés à des asociaux, les Tsiganes furent internés
dans des camps de concentration. Dans la semaine du 18 au 25 septembre
1933, la police aidée des SA et des SS procéda à
une rafle de mendiants et de vagabonds dans tout le Reich. Dix mille
personnes dont un nombre inconnu de Tsiganes furent arrêtées
et internées quelques semaines dans des camps de concentration.
Le 14 décembre
1937, Heinrich Himmler publia le "Décret de lutte préventive
contre le crime" appelé aussi "Décret sur les
asociaux" stipulant que "la Police Judiciaire du Reich avait
la possibilité de déporter dans les camps de concentration
tous ceux qui étaient qualifiés d'"asociaux"
ou de "rétifs au travail"". En avril 1938, 2 000
hommes dont un certain nombre de Tsiganes furent ainsi internés
dans le camp de Buchenwald. Prétextant que ce décret "n'avait
pas été appliqué avec toute la rigueur nécessaire",
Himmler ordonna de procéder à une nouvelle vague d'arrestation.
Cette opération désignée sous le code "Aktion
Arbeitscheu Reich" eut lieu dans la semaine du 13 au 18 juin 1938.
Chaque poste de police avait reçu l'ordre d'envoyer dans les
camps de concentration au moins 200 hommes capables de travailler dont
:
« Les Tsiganes ou les personnes nomades comme le sont les Tsiganes,
si elles n'ont pas montré une volonté de travail régulier
ou si elles se sont rendues coupables d'infractions. » [4]
Dix mille personnes
furent à cette occasion arrêtées et internées
dans les camps de Dachau, Buchenwald et Sachsenhausen où on leur
attribua le triangle noir des asociaux. Parmi ces 10 000 personnes se
trouvaient tous les hommes internés dans le camp tsigane de Francfort,
une vingtaine de Tsiganes "non salariés" du camp tsigane
de Cologne et les adolescents du camp tsigane de Düsseldorf. Le
nombre exact de Tsiganes qui furent arrêtés en juin 1938
n'est pas connu. A l'automne 1942, Himmler ordonna l'internement "des
éléments asociaux des établissements pénitentiaires
(des Tsiganes mais aussi des Juifs et des Russes) en vue de l'élimination
par le travail".
Des Tsiganes furent également internés individuellement
au titre d'asocial notamment lorsqu'ils enfreignaient les multiples
décrets régissant leur vie. Les hommes n'étaient
pas les seuls à être menacés, les femmes pouvaient
également être internées en tant qu'asociale dans
les camps et notamment à Ravensbrück. La plupart d'entre
d'elles ont été arrêtées pour mendicité
alors qu'elles exerçaient une activité commerciale interdite
ou pour avoir prédit l'avenir.
Toute infraction constatée ou supposée suffisait pour
être interné dans un camp de concentration.
De nombreux Tsiganes originaires du Burgenland en Autriche furent déportés
dans les camps de concentration allemands. Dès l'été
1938, 15 000 Tsiganes étaient déportés à
Dachau ; 600 d'entre eux ont été transférés
à Buchenwald à l'automne 1939. Un tiers de ces tsiganes
ne passa pas l'hiver, mourant dans les carrières ou étant
assassinés par injections mortelles. Le 29 juin 1939, 440 Tsiganes
du Burgenland étaient internées à Ravensbrück
comme asociales.
Le 21 septembre 1939, lors d'une conférence organisée
par Reinhard Heydrich, il fut décidé de déporter
tous les Juifs et les Tsiganes vers le Gouvernement général
en Pologne. Le "Décret de fixation" du 17 octobre 1939
assigna à résidence les Tsiganes qui furent, par la même
occasion, recensés et enregistrés par les services de
police compétents.
Le 27 avril 1940, Himmler donna l'ordre de déporter par familles
2 500 Tsiganes dans le Gouvernement général.
A l'origine la totalité des 30 000 Tsiganes vivant en Allemagne
devait être déportée, mais "comme des difficultés
pratiques étaient apparues lors du "déplacement"
de 160 000 Juifs et Polonais, seul un "premier transport"
de 2 500 Tsiganes originaires des zones frontalières de l'ouest
et du nord-ouest de l'Allemagne fut ordonné [5]". Ces déportations
furent organisées du 21 mars au 16 mai 1940.
Selon Donald Kenrick,
300 Tsiganes originaires du sud de l'Allemagne furent également
déportés en Pologne. [6]
Tous ces Tsiganes avaient signé un document attestant qu'ils
avaient bien compris que s'ils revenaient en Allemagne, ils seraient
stérilisés et envoyés dans des camps de concentration.
Ces déportations ont eu lieu au vu et au su de tous sans que
cela provoque une quelconque réaction.
La
déportation systématique des Tsiganes prit toute sa dimension
avec le décret appelé "Auschwitz Erlass" signé
par Heinrich Himmler le 16 décembre 1942. Ce décret ordonnait
la déportation à Auschwitz de tous les Tsiganes du Grand
Reich. Peu de temps après, le décret fut élargi
aux Tsiganes habitant l'Autriche, le Nord de la France, la Pologne,
le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas.
"L'ordre donné par le Reichsführer SS Himmler, le 16
décembre 1942, l'Auschwitz Erlass, constitue la dernière
étape vers "la solution définitive de la question
Tsigane". Enfin avec le décret d'application du 29 janvier
1943, tous les Tsiganes devaient être déportés par
familles, "sans prendre en compte le degré de métissage",
dans la section tsigane (Zigeunerlager) du camp d'Auschwitz.
Dans le Reich et en Autriche, le RSHA et le Centre de recherches en
hygiène raciale avaient recensé en vue de la déportation
plus de 20 000 Tsiganes. Par courrier spécial, les "postes
de Police Criminelle" reçurent en janvier 1943 pour la seconde
fois l'ordre de saisir "la fortune laissée derrière
elles par des personnes tsiganes internées dans un camp de concentration
sur ordre du Reichsführer SS". Rares furent les Tsiganes recensés
qui survécurent." [7]
Le "camp
de familles" a été construit à Auschwitz-Birkenau
II en février 1943. Le premier transport arriva le 26 février.
On attribua à ces premiers Tsiganes des matricules commençant
par la lettre Z. Du 26 février au 6 mars, 828 Tsiganes arrivèrent
au camp en quatre convois. Le 23 mars, 1 700 Tsiganes de Bialystock
furent immédiatement gazés sans être enregistrés.
Du 6 au 31 mars, 23 convois comprenant 11 339 Tsiganes arrivèrent
et furent immatriculés à Auschwitz. Environ 19 000 Tsiganes
furent déportés à Auschwitz en 1943 et 2 200 avant
l'été 1944.
"La majorité d'entre eux, 63 %, étaient allemands,
21 % venaient de Bohême-Moravie, 6 % de Pologne, et les 11 % restants
avaient d'autres nationalités ou étaient considérés
comme apatrides. Si l'on inclut ceux qui furent internés sans
enregistrement pour être assassinés peu de temps après
dans les chambres à gaz, le chiffre total des Tsiganes déportés
dans la "section tsigane" atteint 23 000 personnes."
[8]
Les Tsiganes furent
les seuls à ne pas connaître la sélection sur la
rampe d'Auschwitz, ils furent aussi les seuls à vivre en famille.
La plupart de ces Tsiganes sont morts de faim, de maladies (typhus et
Noma pour les enfants) et des suites des expériences médicales
pratiquées par le docteur Mengele. En avril et mai 1944, quelques
centaines de Tsiganes aptes au travail furent transférés
à Buchenwald et Ravensbrück. Dans la nuit du 2 au 3 août
1944, les 2 897 personnes restées au "camp de familles"
furent gazées.
Pologne
Les persécutions ne commencèrent véritablement
qu'après l'invasion de l'URSS en juin 1941. Des Tsiganes furent
internés dans des ghettos (Cracovie, Lodz, Lublin et Varsovie)
et dans des camps de travail. Les persécutions redoublèrent
d'intensité en 1942. Le 1er juin, tous les Tsiganes résidant
dans les régions de Varsovie et d'Ostro-Masowiecki furent contraints
de rejoindre un ghetto. Des massacres de Tsiganes furent perpétrés
par des collaborateurs polonais et ukrainiens dans de nombreuses régions
de Pologne.
« 115 Tsiganes furent tués à Lohaczy en 1942, 96
à Szczurowa et 15 à Berna, en 1943. 104 furent tués
à Zahroczyma, 30 à Grochow et une cinquantaine à
Karczew. Tous les Tsiganes de Olyce furent fusillés, et il y
eut d'autres assassinats à Pyrach, Zyradow, Targowka, Radom,
Sluzeca et Komorow. On lâchait les chiens contre les Tsiganes
à Poznan. "Il y eut des exécutions massives à
Wolyn (Wolhynie) et dans les Carpates. Dans la province de Wolyn, 3
000 à 4 000 tsiganes furent tués par les Allemands, et
par les fascistes ukrainiens. Seuls les adultes étaient fusillés.
Pour tuer les enfants, on les soulevait souvent par les pieds, et on
leur fracassait le crâne à la volée contre les arbres.
On avait également recours à des chambres à gaz
mobiles. » [9]
En 1943 et 1944, environ 600 Tsiganes polonais et 2 600 originaires
de Bialystok furent envoyés à Auschwitz.
Environ 13 000 Tsiganes polonais (un quart de la population tsigane)
ont trouvé la mort sous l'Occupation. [10]
Croatie
Les Tsiganes de
Croatie [11] ont été recensés à partir de
juillet 1941. En avril 1941, le ministre de l'Intérieur Artukovic
ordonna l'internement dans des camps de concentration de tous les Tsiganes
originaires de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Plusieurs milliers
de Tsiganes furent arrêtés et assassinés en mai
et juin 1942 notamment dans le camp de concentration de Jasenovac. Des
Communistes, des Juifs, des Serbes, des Tsiganes et des Croates opposés
au régime fasciste y furent massacrés. Ce camp était
composé de 6 camps principaux ; le camp III C était un
camp d'extermination. Quelques Tsiganes y travaillaient mais la plupart
étaient exterminés quelques temps après leur arrivée.
Les Tsiganes dormaient dans des tentes ou à la belle étoile
et ce quel que soit le temps. Affamés - ils recevaient moins
de nourriture que les autres internés - en guenilles, les Tsiganes
mourraient après avoir été roués de coups,
de faim ou d'épuisement. Ils n'avaient pas accès au camp
hôpital. Du printemps à l'automne 1942 environ 25 000 Tsiganes
y ont été assassinés. Chaque jour, 6 à 12
wagons déversaient leur lot de Tsiganes. Dès leur arrivée,
les hommes étaient emmenés dans des maisons dont les habitants
serbes avaient été tués. Tout le périmètre
était entouré d'un grillage. Les hommes étaient
alors tués à coups de maillet et les cadavres enterrés
dans les jardins. Puis venait le tour des femmes et des enfants. Entre
50 et 100 prisonniers étaient choisis parmi les nouveaux arrivés
du camp III C pour creuser les fosses destinées aux suppliciés.
Environ 30 000 Tsiganes furent assassinés dans ce camp.
Robert
Ritter (à droite) Bundesarchiv
Serbie
150 000 tsiganes
vivaient en Serbie lorsqu'elle fut occupée par les Allemands
en avril 1941. Un mois plus tard, l'occupant publia des décrets
soumettant les Tsiganes au même traitement que les Juifs. Ceux-ci
devaient se faire immatriculer et porter un brassard jaune sur lequel
était inscrit le mot "Zigeuner". Les transports en
commun étaient interdits aux Juifs et aux Tsiganes. Les hommes
étaient contraints au travail forcé. La plupart des Tsiganes
qui furent arrêtés en 1941 servirent d'otages. Pour chaque
soldat allemand tué par les partisans, 100 otages devaient mourir.
Le 29 octobre 1941, 250 Tsiganes furent arrêtés dans ce
but dans les environs de Belgrade. Les Tsiganes, dont les femmes et
les enfants des otages, furent ensuite internés dans des camps
de concentration situés à Belgrade et sur le territoire
croate. Dans le camp de Sajmiste (à la frontière croate),
des Tsiganes furent gazés en 1942 dans des camions équipés
en chambre à gaz (Camions S).
Union-Soviétique
et États baltes
En
Union-Soviétique et dans les États baltes, les Tsiganes
furent principalement victimes des Einsatzgruppen [1].
Les Tsiganes furent exécutés comme les opposants désignés
du IIIème Reich parce qu'ils étaient soupçonnés
d'être des partisans mais aussi parce qu'ils étaient considérés
comme "des éléments dangereux pour la sécurité
par leur existence biologique [12]". En octobre 1941, l'Einsatzgruppe
C exécuta 32 Tsiganes après avoir trouvé des armes
dans leurs caravanes. Michael Zimmermann, historien allemand, a retrouvé
la trace de plusieurs milliers d'exécutions de Tsiganes commises
par les Einsatzgruppen. Au printemps 1942, 71 Tsiganes furent exécutés
dans la région de Leningrad par l'Einsatzgruppe A. En septembre
1941, l'Einsatzgruppe B réserva un "traitement spécial"
à 13 hommes et 10 femmes tsiganes accusés de terroriser
la population locale et d'avoir commis de nombreux vols. De nombreux
Tsiganes furent tués ou enterrés vivants dans la région
de Smolensk par les hommes de l'Einsatzgruppe D. Des Tsiganes figuraient
parmi les victimes identifiées comme étant des "asociaux,
des saboteurs, des pilleurs, des partisans, des personnes mentalement
et racialement indésirables". Les unités A, B et
C ne recherchaient pas systématiquement les Tsiganes comme ils
le faisaient pour les Juifs. Les Tsiganes étaient, la plupart
du temps, livrés par l'armée, dénoncés par
la population russe, saisis lors d'une vérification dans les
prisons, tués durant des contrôles de la population civile
dans les zones situées près du front ou encore ramassés
par une unité.
Il en allait tout
autrement pour l'Einsatzgruppe D. Cette unité massacra en Crimée
entre 2 000 et 2 400 Tsiganes dont les 800 habitants du quartier tsigane
de la ville de Simferopol en décembre 1941. Les Tsiganes étant
des Musulmans parlant le Tatar, les Allemands demandèrent à
deux habitants de les aider à les identifier. Le 1er décembre
1941, tous les Tsiganes furent expulsés de leurs maisons et conduits
sur une place située sur la route reliant Simferopol à
Karasubarar. Tous leurs objets de valeurs furent confisqués pour
être expédiés à Berlin. Les Tsiganes furent
conduits après s'être déshabillés –
leurs vêtements furent distribués à la population
locale - au bord d'une tranchée de deux mètres de profondeur
préparée avec des explosifs par un ingénieur de
l'armée pour les Einsatzgruppen. On ordonna aux Tsiganes de faire
face à la tranchée puis un peloton les exécuta
d'une balle dans la tête. Les hommes du Einsatzgruppe D exécutèrent
du 15 janvier au 15 février 1942 91 personnes identifiées
comme étant "des pilleurs, des saboteurs et des asociaux",
dans la seconde moitié du mois de février 421 "Tsiganes,
asociaux et saboteurs" et en mars 1942 810 "asociaux, Tsiganes,
malades mentaux et saboteurs" et 261 "asociaux dont des Tsiganes".
L'Einsatzgruppe D est responsable de l'assassinat d'environ 31 000 personnes
dont une majorité de Juifs entre le mois de novembre 1941 et
le mois de mars 1942. La Wehrmacht eut un rôle non négligeable
dans ces exécutions ; elle remettait les victimes aux Einsatzgruppen
et fournissait la logistique. Dans certain cas, elle participait elle-même
aux massacres. En mai 1942 la 281ème division tua 128 Tsiganes
à Noborshev.
Environ 5 000
Tsiganes furent tués dans les États baltes. La plupart
des Tsiganes d'Estonie furent exécutés entre 1941 et 1943.
L'extermination systématique des Tsiganes, dans les Etats baltes,
commença en décembre 1941 avec l'assassinat de 100 Tsiganes
de Libau en Lettonie. Dans l'est du pays, les Tsiganes furent regroupés
dans trois villes : Ludsa, Rezenke et Vilani. A Ludsa, ils furent enfermés
dans une synagogue qui fut incendiée. Les survivants furent "déportés
dans les forêts" où ils furent exécutés
le 6 janvier 1942. En 1943, les massacres furent stoppés et les
Tsiganes furent incorporés dans l'armée allemande pour
combattre les forces soviétiques.
Selon Michael
Zimmermann, entre 2 000 et 2 400 Tsiganes ont été exécutés
en Crimée par l'Einsatzgruppe D, la moitié des 3 800 Tsiganes
de Lettonie furent également massacrés tout comme la presque
totalité de la population tsigane en Estonie et Lituanie. Donald
Kenrick estime que 30 000 Tsiganes ont été tués
en Biélorussie, Russie et Ukraine.
Roumanie
En Roumanie le
régime d'Antonescu pratiqua la déportation des Tsiganes
mais seulement dans certaines régions.
En 1941 et 1942, environ 25 000 Tsiganes de la région de Bucarest
furent déportés vers les territoires ukrainiens occupés
par la Roumanie et appelés Transdniestrie.
« Le voyage se faisait dans des fourgons à bestiaux depuis
Bucarest. Il dura plusieurs semaines et, avec les nuits froides, le
manque de couvertures et la nourriture insuffisante, il y avait déjà
beaucoup de morts de faim et de froid à l'arrivée au Bug,
en Ukraine. Les survivants furent logés dans des huttes et mis
au travail à creuser des tranchées. » [13]
En 1942, dans le cadre du plan "pour la purification de la nation
roumaine", tous les habitants du village tsigane de Buda-Ursari
furent déportés en Ukraine. En 1944, un camp d'internement
fut édifié à Tiraspol. Dans le reste de la Roumanie,
les Tsiganes étaient plus ou moins libres. Donald Kenrick estime
que sur les 46 000 Tsiganes déportés, 9 000 ont péri.
France
Contrairement
aux Tsiganes habitant dans les autres pays occupés, les Tsiganes
de France ne furent pas exterminés.
Les Tsiganes internés dans le camp de Natzweiller-Struthof étaient
des Hongrois arrêtés en Hongrie.
Victimes de ségrégation depuis la Loi de 1912, les «
nomades » furent parqués dans des camps par le régime
de Vichy et très tardivement libérés. Ils n'étaient
en fait pas totalement libres à leur sortie des camps ; ils étaient
en effet assignés à résidence en vertu du décret
du 6 avril 1940 toujours en vigueur. Les nomades étaient les
seules victimes de l'Occupant encore internées en 1945. Ce n'est
qu'avec la loi du 10 mai 1946 portant fixation de la date légale
de cessation des hostilités abrogeant de facto le décret
précité que le dernier camp d'internement pour nomades,
celui des Alliers, ferma ses portes le 1er juin 1946. Cette «exception
française» fera l’objet d’une étude
spécifique dans un prochain Histomag’44.
Une reconnaissance
très tardive :
Après la
guerre, la discrimination contre les Tsiganes ne cessa pas, la RFA décida
que toutes les mesures prises contre les Tsiganes avant 1943 étaient
une politique légitime de l’État et ne nécessitaient
pas de réparations. L'incarcération, la stérilisation
et même la déportation étaient considérées
comme une politique légitime. Qui plus est, la police criminelle
bavaroise reprit les fichiers de recherche de Robert Ritter, y compris
son registre des Tsiganes en Allemagne. Ritter, l'expert racial des
Nazis pour les questions tsiganes, avait conservé sa notoriété
et était retourné à son ancien travail de psychologue
pour enfants. Les efforts pour amener le docteur Ritter devant la justice
pour sa complicité dans le meurtre des Tsiganes cessèrent
avec son suicide en 1950.
Le chancelier
allemand Helmut Kohl reconnut formellement la réalité
du génocide des Tsiganes en 1982. Mais à cette date, la
plupart des victimes susceptibles de toucher des réparations
conformément à la loi allemande étaient déjà
mortes [14].
L'Allemagne a,
le 5 avril 1995, élevé une stèle à la mémoire
des Tsiganes victimes de la barbarie hitlérienne.
La Hongrie, pour sa part, commémore chaque année, depuis
2001, le souvenir des Tziganes victimes de l'holocauste auxquels elle
consacre un cours d'histoire dispensé à tous les adolescents.
La France, quant a elle, a présenté une proposition de
Loi tendant à la reconnaissance du génocide tzigane pendant
la Seconde guerre mondiale qui fut débattue au Senat le …
15 mai 2008 ! [15]
De la même
manière que les Juifs dénomment le judéocide nazi
avec des termes hébreux spécifiques (Shoah et Holocauste),
les Tziganes ont nommé le génocide de leur peuple «
Porajmos » ou, pour certains, « Samudaripen ».
Bibliographie
HUBERT Marie-Christine,
Les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale, Bulletin de l’Association
des Enfants cachés, n° 8, mars 1998.
FINGS Karola, HEUSS Herbert, SPARING Frank : De la "science raciale"
aux camps", "Les Tsiganes dans la Seconde Guerre mondiale",
Toulouse, collection Interface, Centre de Recherches Tsiganes, CRDP
Midi-Pyrénées, 1997, 140 p. ASSEO Henriette : Contrepoint
: La question tsigane dans les camps allemands in "Vichy, l'Occupation,
les juifs", Annales ESC, Paris, numéro spécial, juin
1993, p. 567-582.
HOHMANN Joachim S. : "Le génocide des Tziganes", in
François Bédarida (sous la direction de) : La politique
nazie d'extermination, Paris, Albin Michel, 1989, p. 263-276.
GOTOVITCH José : "Quelques données relatives à
l'extermination des Tsiganes de Belgique", Cahier d'histoire de
la Seconde Guerre mondiale, 1976, n° 4, p. 161-180.
KENRICK Donald, PUXON Grattan : Les Tsiganes sous l'oppression nazie,
Toulouse, collection Interface, Centre de Recherches Tsiganes, CRDP
Midi-Pyrénées, 1996. (Réédition de Destins
Gitans, publié en 1974 chez Calmann-Lévy.)
Crédit
photos : USHMM
Notes
[1]. Einsatzgruppen
: Voir article à ce sujet
/Histoquiz/Lesdossiers/seconde/einsatzgruppen/Dossiers.htm
[2]. Joachim S. HOHMANN : Le génocide des Tsiganes, La politique
nazie d'extermination, Paris IHTP, Albin Michel, 1989, p. 269.
[3]. Frank SPARING : Les camps tsiganes. Genèse, caractère
et importance d'un instrument de persécution des Tsiganes sous
le nazisme, De la "science raciale" aux camps, Les Tsiganes
dans la Seconde Guerre mondiale, tome 1, coll. Interface, Centre de
Recherches Tsiganes, CRDP Midi-Pyrénées, 1997, p. 39.
[4]. Frank SPARING : Op. cit., p. 58.
[5]. Herbert HEUSS : La politique de persécution des Tsiganes
en Allemagne, De la "science raciale" aux camps.
Les Tsiganes dans la Seconde Guerre mondiale, tome 1, coll. Interface,
Centre de Recherches Tsiganes, CRDP Midi-Pyrénées, 1997,
p. 35.
[6]. Donald KENRICK et Grattan PUXON : Gypsies under the Swastika, Gypsy
Research Centre, University of Hertfordshire Press, 1995, p. 32.
[7]. Herbert HEUSS : Op. cit., p. 37.
[8]. Karola FINGS : Les Tsiganes dans les camps de concentration nazis,
De la "science raciale" aux camps. Les Tsiganes dans la Seconde
Guerre mondiale, tome 1, coll. Interface, Centre de Recherches Tsiganes,
CRDP Midi-Pyrénées, 1997, p. 99.
[9]. Donald KENRICK, Grattan PUXON : Destins Gitans, Paris, Calmann-Lévy,
1974, p. 181.
[10]. Donald KENRICK, Grattan PUXON : Gypsies under the Swastika, p.
75.
[11]. Dragoljub ACKOVIC : Roma suffering in Jasenovac camp, Belgrade,
publié par The Museum of the Victims of Genocide et Roma Culture
Center, 1995, 117 p.
[12]. Michael Zimmermann : L'Union Soviétique et les Etats Baltes
1941-1944. Le massacre des Tsiganes, Les Tsiganes dans la Seconde Guerre
mondiale, Tome 2, à paraître dans la collection Interface
éditée par le Centre de Recherches Tsiganes.
[13]. Donald KENRICK, Grattan PUXON : Gypsies under the Swastika, p.
110.
[14]. United States Holocaust Memorial, Le génocide des Tsiganes
Européens, 1939-1945, http://www.ushmm.org/
[15] http://www.senat.fr/leg/ppl07-337.html