La
Bataille de Bir-Hakeim
Par Daniel Laurent
La 1ère Brigade
FFL :
La 1ère brigade française libre commandée par le général
Kœnig, est une unité assez hétérogène, formée
au gré des ralliements successifs. Elle a un effectif de 3 700 hommes,
répartis dans six bataillons : deux de LégionEétrangère,
les 2ème et 3ème de la 13ème DBLE (Demi-Brigade de la Légion
Etrangère), du colonel Prince Amilakvar i; les bataillons de l’Oubangui-Chari
et du Pacifique forment, eux la demi-brigade de marche du colonel Roux ; celui
de fusiliers marins du commandant d’Amyot d’Inville et celui d'infanterie
de marine du commandant Savey. Le 1er régiment d’artillerie du
colonel Laurent-Champrosay et plusieurs petites unités, comme la 22ème
compagnie nord-africaine du capitaine Lequesne et la 17ème de sapeurs-mineurs
du capitaine Desmaisons, les appuient. Notons que la 13ème DBLE a été
formée en 1940 comme demi-brigade de montagne, et qu'elle a connu cette
même année, en compagnie des bataillons de chasseurs alpins, les
grands froids de la bataille de Narvik (Norvege).
Comme pour les troupes, l'armement est d'origine diverse et assez hétéroclite.
Ainsi 63 chenillettes Bren-Carrier, de nombreux camions et deux obusiers ont
été fournis par les britanniques. Mais la grande majorité
de l'artillerie est d'origine française, récupérée
au Levant, on y trouve 54 canons de 75 (dont 30 utilisés en antichars),
14 de 47, 18 de 25. Les Britanniques ont aussi fourni 86 fusils antichars Boys
de 12,7 mm et 18 canons antiaériens de 40 mm Bofors, mais la plupart
de l'équipement de l'infanterie est français avec 44 mortiers
de 81 ou de 60, 76 mitrailleuses Hotchkiss, dont 4 bi-tubes, 96 fusil-mitrailleurs
24/29 de DCA et 270 d’infanterie. La garnison dispose au départ
de dix jours de ravitaillement et de vingt mille obus de 75.
Le général Bernard Saint-Hillier décrit ainsi la position
de Bir-Hakeim que les hommes de Koenig vont devoir défendre : "Simple
croisement de pistes dans un désert aride, caillouteux et nu que balaient
les vents de sable, Bir-Hakeim est vu de partout. Le champ de bataille se caractérise
en effet par une absence totale de couverts et d'obstacles naturels. La position
englobe une légère ondulation sud-nord, que jalonne un ancien
poste méhariste, sans valeur défensive, et, près d'un point
coté 186, les deux mamelles, qui sont les déblais de deux anciennes
citernes. A l'est de l'ondulation, une grande cuvette inclinée vers le
nord". Kœnig divise le point d'appui en trois secteurs, défendus
par trois des bataillons. Le 2e bataillon de la 13ème DBLE tenant la
façade Est. Le 3ème en réserve, forme plusieurs groupes
mobiles dotés de véhicules et de canons de 75 ou de 25 portés,
disponibles pour mener des reconnaissances parfois lointaines à l’extérieur
du réduit. Le système défensif emploie massivement les
mines, le commandant Vincent, de la brigade FFL, décrit ainsi les défenses
de Bir-Hakeim : "Pour donner de la profondeur à ce système
défensif relativement linéaire, un marais de mines, c'est-à-dire
une surface très grande faiblement minée, précède
la position. Les branches nord et nord-est de ce marais s'étendent jusqu'aux
centres de résistance voisins. A hauteur du Trigh-el-Abd, elles sont
reliées par une bande minée. Le triangle ainsi déterminé
sur le terrain, qui est baptisé zone du V, est surveillé par des
patrouilles motorisées de la brigade FFL".
Les Français Libres vont tenir face aux Allemands sur un front de 16
km², harcelé tous azimuts il s’avère que la position
fortifiée était autre chose que de simples troupes d'infanterie.
Des canons ont été récupérés partout ou cela
été possible, et des centaines de mines et kilomètres de
barbelés ont été posé.
Imaginez donc une force de vétérans de la taille d'une brigade
(des légionnaires ayant combattu en Norvège pour certains ), relativement
bien équipés protégés par des mines et des barbelés.
Les Britanniques ont fait le bon choix de donner cette position a défendre
aux FFL, car ce devait être les troupes les plus motivées du front
(Si on compare aux australiens et indiens par exemple).
Les unités en presence :
13ème DBLE : LtCol
Amilakvari
-Ier Bn : Cap. Paris de la Bollardiere (1ème,2ème, et 3ème
cies + 1 cie lourde)
(1ère Cie Lt Rob , 2ème Cie Cap de la hautiere de Luzançay
, 3ème Cie Lt lamoureux , Cie lourde Lt de Corta)
-IIème Bn : Cap Babonneau (5ème , 6ème et 7ème Cies
+ 1 Cie lourde)
(5ème Cie Cap Morel , 6ème Cie Cap Wagner , 7ème Cie Cap
Arnault , Cie lourde Cap de Sairigné )
-IIIème Bn : Cdt Puchois ( 9ème,10ème et 11ème Cies
+ 1 Cie lourde)
(9ème Cie Cap messmer , 10ème Cie Cap de lamaze , 11ème
Cie Cap le Roch , Cie lourde Cap Simon)
Note : le 1er Bn etait sous les ordres de la 2ème BFL du gen.Cazaud , en Egype au moment de Bir-Hakeim , seuls les 2ème et 3ème Bns ont participé aux combats.
Demi brigade Coloniale
(Lt Col De Roux)
- 1er Bn du Pacifique ( BP1) : Lt Col Brocho
- 2ème Bn de l'oubangui ( BM2) : Cdt Amiel
- 1er Bn d'infanterie de marine (1er BIM) : Cdt Savey
- 22ème Cie Nord Africaine (22ème CNA) : Cap Lequesne
Composition generale de
la 1ère BFL (Gen Koenig)
- II et III / 13ème DBLE
- Demi brigade Coloniale
- 1er Bn de Fusiliers marins (Cap Amyot d'inville)
- 1ème Rgt d'artillerie (Cdt Laurent-Champrosay)
- Elements du genie (Cap Desmaisos)
- Elements Antichars (Cap Jacqoin)
- Transmissions (Cap Renard)
- Santé (Cdt Viala-goudou)
Armement non individuel
de la brigade :
- 24 canons de 75
- 62 canons antichar ( calibres 18x25 , 14x47 et 30x75 )
- 44 mortiers de 81 et 60mm
- 72 mitrailleuses hotchkiss
- 18 canons de DCA Bofors de 40mm
- 4 mitrailleuses bitubes hotchkiss de DCA
- 86 fusils antichar boys
- 386 fusil-mitrailleurs ( dont 96 de DCA )
- 63 chenillettes Bren-carrier
- Plus de 50.000 mines utilisées pour le périmetre defensif
La bataille :
Le 27 mai 1942, la position de Bir-Hakeim, attaquée par la division blindée
italienne "Ariete", soutient un combat acharné mené
jusqu'à l'intérieur du point fort ou 6 chars italiens seront detruits
a bout portant. Les Italiens, repoussés, laisse 32 chars sur le terrain,
presque la moitie de leur force blindee.
Saint-Hillier raconte le 29 mai :
"Dans notre point d'appui aucun renseignement ne parvient sur la situation
générale, nous savons seulement que la 3ème brigade indienne
fut écrasée le 27 mai, par 44 chars suivis de nombreuses autres
troupes et que la 4ème brigade blindée et la 7ème brigade
motorisée britannique se sont repliées sur Bir-el-Gobi et El-Adem.
Nous sommes en grande partie isolés du reste de l'armée britannique...".
Du 1er au 10 juin, la
position, harcelée méthodiquement, est complètement encerclée
par des forces allemandes et italiennes, en supériorité numérique
écrasante.
Outre la Division Ariete, il lancera sur Bir-Hakeim la division motorisée
Trieste, la 90ème division légère allemande, 3 régiments
blindés de reconnaissance de nombreuses vagues d’assaut de la Luftwaffe
et, vers la fin du siege, la 15ème Panzerdivision.
Le général Rommel, commandant personnellement l’assaut,
s'efforce de faire sauter ce verrou. A l'ultimatum exigeant une reddition, le
général Kœnig répondra : "Nous ne sommes pas
ici pour nous rendre".
Malgré les tirs d'artillerie et les bombardements aériens les
plus violents, la Brigade repousse tous les assauts, ne cède pas un pouce
de terrain, inflige à l'ennemi des pertes élevées
L'incroyable audace d'un groupe de volontaires du Train réussit, de nuit,
à faire pénétrer dans la position un convoi de trente camions
de munitions et de ravitaillement.
Le repli :
Le 10 juin cependant, toutes les ressources en eau, vivres, munitions, sont
à la veille d'être épuisées. La garnison reçoit
du Commandant de la 8ème armée britannique l'ordre de se replier.
Au cours de la nuit du 10 au 11, elle se fraie un passage de vive force, souvent
au corps à corps, à travers les lignes ennemies et les champs
de mines. Au total 2 619 hommes des FFL arriveront à rejoindre les lignes
britanniques, sur les 3 703 présents au départ.
Du côté de
l'Axe, les pertes sont lourdes, 3 300 hommes ont été tués,
blessés ou ont disparu, 277 ont été fait prisonniers. 51
chars et 13 automitrailleuses, ainsi qu'une centaine de véhicules divers
ont été détruits. La Luftwaffe, elle, a perdu 7 avions
du fait de la DCA et 42 Stukas abattus par la RAF. Les pertes françaises
sont comparativement beaucoup plus légères, avec 99 tués
et 19 blessés, pendant le siège, et 41 tués, 210 blessés
et 814 prisonniers, lors de la sortie. En outre pendant celle-ci 40 canons de
75, 5 de 47, 8 Bofors et une cinquantaine de véhicules divers ont été
aussi perdus.
Le Cimetière, érigé sur l'emplacement même des combats,
a été maintenu "In Memoriam". Une piste y conduit, jalonnée
de Croix de Lorraine, à partir d'El Adem.
En raison de son isolement, les 182 corps qu'il contenait ont été transférés en ce lieu, où reposent aussi les quatre premiers soldats français tombés en Cyrénaïque, le 21 janvier 1941, et les six morts de l'opération de Koufra menée par le général Leclerc.
L’opinion "d’en
face" :
Voyons ce qu’en a dit le Maréchal Rommel :
"Les Français disposaient de positions remarquablement aménagées
; ils utilisaient des trous individuels, des blockhaus, des emplacements de
mitrailleuses et de canons antichars ; tous étaient entourés d'une
large ceinture de mines. Les retranchements de cette sorte protègent
admirablement contre les bombardements par obus et des attaques aériennes
: un coup au but risque tout au plus de détruire un trou individuel.
Aussi, pour infliger des pertes notable à un adversaire disposant de
pareilles positions, est-il indispensable de ne pas lésiner sur les munitions.
La principale difficulté consistait à ouvrir des brèches
dans les champs de mines, sous le feu des troupes françaises... Appuyés
par les attaques continues de l'aviation, les groupes d'assaut, composés
de troupes appartenant à diverses armes et prélevées sur
différentes unités, engagèrent l'action au nord et au sud.
Mais chaque fois, l'assaut était stoppé dans les fortifications
remarquablement bien établies par les Français. Chose curieuse,
le gros des troupes anglaises s'abstint d'intervenir pendant les premiers jours
de l'offensive lancée contre Bir-Hakeim. Seule l'Ariete fut attaquée
le 2 juin, mais elle opposa à l'assaillant une résistance opiniâtre...
Nous n'avions plus à craindre de voir les Britanniques lancer d'importantes
attaques de diversion contre nos forces qui investissaient Bir-Hakeim et nous
espérions poursuivre notre assaut contre la forteresse sans risquer d'être
dérangés. Le 6 juin, à 11 heures, la 90e division motorisée
partit de nouveau à l'assaut des troupes françaises commandées
par le général Kœnig. Les pointes avancées parvinrent
à 800 mètres du fort, puis l'offensive s'arrêta. Le terrain,
caillouteux, n'offrait aucune possibilité de camouflage et le feu violent
des Français ouvrait des brèches dans nos rangs.
Une invitation à se rendre, portée aux assiégés par nos parlementaires, ayant été repoussée, l'attaque fut lancée vers midi, menée du nord-ouest par la division motorisée Trieste, et du sud-est par la 90e division motorisée allemande, contre les fortifications, les positions et les champs de mines établis par les troupes françaises. [...] Sur le théâtre des opérations africaines, j'ai rarement vu combat plus acharné. »
Et pourtant, le lendemain, lorsque mes troupes repartirent, elles furent accueillies par un feu violent, dont l'intensité n'avait pas diminué depuis la veille. L'adversaire se terrait dans ses trous individuels, et restait invisible. Il me fallait Bir-Hakeim, le sort de mon armée en dépendait".
L’impact politique
:
Au-delà de l’exploit militaire, la Bataille de Bir-Hakeim a eu
un impact politique énorme.
Nous sommes à la mi-42.
Sur le Front de l'Est, le Reich n'a pas encore subit la défaite de Stalingrad
et semble toujours en position de pouvoir l'emporter.
Les USA sont entrés en guerre, mais, pour l'instant, se consacrent surtout
au front du Pacifique, contre les Japonais.
Dans l'Atlantique, les U-Boot de Doenitz font des carnages dans les convois
qui tentent d'emmener vers le Royaume-Uni le matériel dont Churchill
a désespérément besoin.
La France Libre ne s'est pas encore remise des désastres de Mers-el-kebir
et de Dakar.
En France, la Résistance est toujours divisée, Jean Moulin ne
réussira à les unifier et créer le CNR qu'en mai 1943.
Les Français Libres
ne se sont pas encore distingues. Quelques coups de main de Leclerc contre les
Italiens dans le Fezzan. Les batailles fratricides en Syrie en juin 1941. Pas
de quoi pavoiser (de Gaulle n'accordera aucune médaille, aucune distinction
aux FFL qui se sont battus en Syrie)
La situation n'est pas brillante.
Et voilà qu'une poignée de soldats français tiens tête
a l'Afrikakorps !
Au Feldmarshall Rommel, en personne !
Permettant, au passage, aux Forces Britanniques de retraiter sur des positions
plus sures !
C'est l'instant. Ces 3 600 combattants sont le visage de la France Libre. Charles
de Gaulle, a Londres, guette les nouvelles a chaque minute.
"L'opinion s’apprête à juger. Il s'agit se savoir si
la gloire peut encore aimer nos soldats".
Il envoie un message a
Koening :
"Général Koening, sachez et dites à vos troupes que
toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil".
Le 10 juin 1942, Churchill
lui déclare
"Je vous félicite de la magnifique conduite des troupes françaises
a Bir-Hakeim, c'est l'un des plus beaux fait d'armes de cette guerre".
Orgueil ! Fierté ! de Gaulle et toute la France Libre boivent du petit
lait...
Le 11 juin 1942, de Gaulle s'enferme dans son bureau. Koening et ses hommes
vont-ils échapper à la destruction ? La presse Britannique du
jour est dithyrambique mais funèbre.
En fin d’après-midi, enfin, un officier britannique apporte un
message du Général Brook.
"Le Général Koening et une partie de ses troupes sont parvenus
à El-Gobi hors de l'atteinte de l'ennemi".
Charles de Gaulle remercie l'officier, reconduit Maurice Schumann avec qui il se trouvait, et ferme la porte.
"Je suis seul. O coeur battant d’émotion, sanglots d’orgueil, larmes de joie".
Charles de Gaulle écrira
plus tard :
"Quand, à Bir-Hakeim, un rayon de sa gloire renaissante est venu
caresser le front sanglant de ses soldats, le monde a reconnu la France".
Par sa résistance prolongée au-delà de tout espoir et dont
le retentissement mondial fut immense, la 1ère Brigade Française
libre permit à la 8ème Armée britannique de se dégager
et de trouver le temps nécessaire au redressement de la situation, à
El Alamein.
Aux Français, alors sous l'oppression allemande, elle confirma leur foi en leurs destinées et en la victoire. La Résistance intérieure, celle de Jean Moulin et Christian Pineau, rejoint la France libre pour ne faire qu'une seule France combattante.
Général
Koenig
Légion Etrangère
à Bir-Hakeim
Bren Carrier
Sources :
Feldmarshall Rommel. Les carnets personnels de Rommel ont été
publiés en 1953 par l’historien anglais Liddell Hart, sous le titre
"La Guerre sans haine"
Charles de Gaulle, "Mémoire de Guerre", Plon
Max Gallo, "De Gaulle, la solitude du combattant"
Internet : www.charles-de-gaulle.org, www.birhakeim-association.org/
Pour les effectifs et materiels : Alain Adam, http://alain.adam.perso.cegetel.net/