Les «Flying Cheetahs» en Corée
Par Frédéric Ortolland

L’intervention sud-africaine

La guerre de Corée éclata à l’autre du bout du monde le 25 juin 1950, après que la Corée du Nord ait franchit le 38e parallèle, frontière la séparant de celle du Sud. Les Nord-Coréens restèrent sourds à la demande de l’ONU d’une cessation immédiate des hostilités, si bien que le conseil de sécurité fit passer une résolution demandant l’assistance des pays membres pour aider la Corée du Sud à repousser ses agresseurs et restaurer la sécurité dans le secteur.
Le 20 juillet, l’Afrique du Sud fit savoir que la distance entre les 2 pays était telle que toute intervention directe ne saurait être raisonnablement envisagée. Les Etats-Unis entamèrent alors des discussions avec Pretoria, insistant sur la nécessité d’une intervention militaire sur le terrain. L’Afrique du Sud se trouvant sur un continent susceptible d’être la proie du communisme, la nécessité de s’impliquer dans le premier effort de l’ONU pour s’opposer à une attaque directe et éviter ainsi de se trouver isolée en cas d’agression future s’imposa. Ainsi, annonce fut faite le 4 août de l’envoi d’un squadron (sqn) de la South African Air Force (SAAF). Les forces permanentes sud-africaines ne pouvant en théorie opérer que sur le territoire national, son effectif devait être complété sur la base du volontariat. Il avait en outre été décidé que tout le matériel nécessaire, avions inclus, serait acheté par les Etats-Unis et mis à disposition du sqn à son arrivée en Extrême-Orient. C’est auréolé de ses campagnes en Afrique et en Italie que le 2 sqn, « The Flying Cheetahs » (les « Guépards volants »), fut choisi.

Le 26 septembre, 50 officiers et 157 hommes sous les ordres du Cdt S.v.B. Theron quittèrent Durban en direction du Japon. Sélectionnés parmi 1426 volontaires de tous horizons, ils comptaient dans leurs rangs de nombreux vétérans de la 2e guerre mondiale. Ils débarquèrent à Yokohama le 5 novembre pour être dirigés vers la base Johnson, à côté de Tokyo, où débuta l’entraînement sur F-51D Mustang.
Le 16, un détachement avancé (13 officiers, 21 hommes, 5 appareils) quitta le Japon pour Pusan afin de se familiariser avec les conditions d’opération locales. Déplacé à Pyong-Yang, puis à Suwon, il fut rejoint par 23 hommes supplémentaires, dont 5 pilotes et leurs appareils, le 10 décembre.
Le 4 janvier 1951, les Cheetahs se trouvaient tous réunis à Chinhae qui demeurera leur base principale jusqu’en décembre 1952. Seoul, Suwon et Hoengsong serviront de bases avancées dans certains cas.
Les Mustangs se révélant inférieurs aux MiGs-I5 utilisés par l’ennemi, la Far East Air Force (FAEF) décida courant 1952 de se rééquiper avec les tout nouveaux F-86F Sabre. De janvier à octobre 1953, les Cheetahs opérèrent depuis Osan sur ce type d’appareils. La transition ne se fit pas sans difficultés. Aucun pilote n’avait jamais volé sur jet auparavant, tout comme aucun mécanicien n’en avait jamais assuré la maintenance.
Après de nombreuses heures de « reconversion », le commandant Ralph Gerneke et le major J.S.R. Wells furent les 2 premiers Sud-Africains à voler sur Sabre le 30 janvier 1953. Le dernier vol opérationnel du sqn eut lieu le 1er octobre 1953.

Les Flying Cheetahs sur le terrain

Pour la durée de la guerre, le 2 sqn fut rattaché avec les 12th et 67th sqn USAF au 18th Fighter-Bomber Wing (18 FBW) pour accomplir les missions suivantes :

1- Destruction des forces aériennes ennemies
2- Soutien rapproché aux forces terrestres
3- Reconnaissances et offensives armées
4- Interdiction des voies de déplacement et de communication ennemies
5- Escorte et/ou couverture des forces aériennes, navales ou terrestres
6- Défense des installations militaires

Pour mieux comprendre l’engagement du 2 sqn durant le conflit, il est intéressant d’en présenter les 5 grandes phases :

1 - Invasion par la Corée du Nord (du 25/06 au 15/09/50)
2 - Avancée des Nations Unies vers le Yalu (du16/09 au 25/11/50)
3 - Retraite des Nations Unies et rétablissement du front sur la ligne P’yongt’aek-Samch’ok (du 26/11/50 au 25/01/51)
4 - Retour des Nations Unies le long du 38e parallèle (du 26/01 au 12/11/51)
5 - Stabilisation de la ligne de front (du 13/11/51 au 27/07/53)

Les premières sorties de combat de la SAAF eurent lieu à la fin de la phase 2. A ce stade du conflit, rien ne semblait plus pouvoir arrêter la progression des troupes de l’ONU en marche vers le Yalu. La situation évolua brusquement quand les « volontaires » chinois firent leur apparition en masse le 26 novembre.
La contre-attaque fut soudaine et brutale. Très vite les troupes onusiennes battirent en retraite, menacées d’encerclement.
Dans des conditions climatiques particulièrement rudes (jusqu’à -30°C) et malgré le peu d’appareil opérationnels, les Flying Cheetahs apportèrent tout leur soutien aux troupes au sol durement accrochées. Pendant 2 mois, sa mission principale consista à ralentir la progression ennemie vers le sud.
Le 2 sqn perdit son premier Mustang le 5 décembre lorsque le cpt Davis pulvérisa un wagon d’explosifs dont les débris endommagèrent son appareil.
Après que les Nations Unies eurent rétabli une ligne de front à une centaine de km au sud du 38e parallèle, la guerre entra dans ses 2 plus longues phases, jusqu’à sa fin en juillet 1953.

Le tableau ci-dessous présente une analyse des différents types de sortie du 2 sqn durant ces phases, elles-mêmes divisées en sous-périodes

Comme on peut le constater, les missions d’interdiction prédominent largement : plus de 61% des sorties, atteignant même des pics à 78 et 82% entre janvier et mai 1951.

- L’interdiction consiste à isoler le champ de bataille de l’arrière par toute intervention visant à empêcher, retarder ou détruire les troupes ou le ravitaillement ennemi en route vers la zone de combat. Début 1951, une ligne de front désormais rétablie, il importait d’empêcher Chinois et Nord-Coréens de la consolider.
Les zones d’activités suspectes étaient alors survolées par paires, chaque appareil armé de 2 bombes au napalm, de rockets de 127mm et de mitrailleuses de 12.7mm. Le premier volait entre 30 et 100m d’altitude, protégé par le second à 300m. Ce type de missions de recherche et destruction engendra rapidement des pertes croissantes à mesure que la résistance au sol s’organisait. A partir de juin, les sorties se firent par 4, le leader en reconnaissance basse, ses 3 ailiers en soutien anti-DCA ou anti-aérien. Au final, plus de 50% des pertes du 2 sqn seront dues à la DCA.
Durant la phase 5 ces types de sorties furent remplacés par des raids en escadrilles ou plus contre les infrastructures ennemies.

- Deuxième type d’intervention le plus fréquent, le soutien rapproché connut 2 pics durant ces 2 phases : 38% du total des sorties fin 1951 et 46% fin 1952.

Fin 1951, les pourparlers de Panmunjon pour un cessez-le-feu furent suspendus et le lieutnant-general Van Fleet ordonna la reprise de l’offensive.
A l’est, ce sont les hauteurs qui furent le plus disputées: le Punchbowl, Bloody ridge, Heartbreak ridge. Au centre, des avancées locales eurent lieu, dans le but d’améliorer les positions existantes ou de maintenir la pression sur l’ennemi. Ces opérations terrestres se firent à chaque fois avec le concours de la 5th Air Force, des escadrilles complètes opérant en rotations quotidiennes. Le 2 sqn intervenait ainsi tous les 4 jours. En 10 jours, il battit 2 fois son propre record de sorties : 40 le 26 septembre, 48 le 4 octobre ; performance d’autant plus méritoire que 15 appareils seulement étaient opérationnels à cette date.
C’est peu ou prou la même configuration qui présida aux interventions du 2 sqn à l’automne 52.
Les pourparlers de paix cessèrent de nouveau, chaque belligérant augmentant la pression militaire dans le but de faire revenir son opposant à la table des négociations avec un état d’esprit plus « raisonnable ». Les combats autour de certains avant-postes tactiques situés le long de la ligne de front reprirent en septembre et au cours du mois qui suivit la base du « triangle de fer » devint une des zones de combat les plus acharnées de toute la guerre.

- On peut aussi remarquer que 32% des sorties du 1er semestre 1953 sont « anti-aériennes » (counter-air), définies ainsi :
- Combat air-air, escortes, interceptions
- Bombardement de bases aériennes (destruction des avions au sol et des bâtiments)
- Reconnaissance visuelle et photographique

Le 2 sqn n’eut que rarement l’occasion de se frotter à l’ennemi en combat aérien. C’est le bombardement de bases aériennes qui explique ce pourcentage. En effet, à mesure que les pourparlers de paix avançaient vers leur conclusion, la notion de suprématie aérienne prit un nouvel aspect.
Le 28 avril 1953, un premier compromis fut conclut, spécifiant que ni troupes, ni équipement supplémentaire ne pourraient être introduits en Corée après le cessez-le-feu. Des reconnaissances aériennes montrèrent que les communistes comptaient utiliser cette clause pour remettre en état de nombreuses bases, leur permettant ainsi d’amener le maximum d’appareils sur place dans les dernières heures du conflit. Afin d’éviter un trop grand déséquilibre des forces aériennes post-armistice, 35 de ces bases furent désignées comme cibles. En mai, juin et juillet, le 2 sqn participa activement aux nombreux raids menés contre ces dernières.

Le dernier jour de la guerre, la SAAF enregistra le plus grand nombre de sorties opérationnelles sur Sabre en une seule journée : 41 sorties pour 14 appareils, la mission consistant en un survol du Yalu (la fameuse « MiG Alley ») et de la Ch’ongch’ong afin d’empêcher toute intrusion d’appareils ennemis.

Bilan
La SAAF effectua plus de 10500 sorties sur Mustang et autour de 1500 sorties sur Sabre, soit 3.42% des interventions de chasseurs-bombardiers et 1.16% de toutes celles de la FAEF. Le tableau ci-dessous montre l’efficacité du 2 sqn par rapport à la totalité des forces aériennes engagées par les Nations-Unies :

Considérant que les sorties effectuées par le 2 sqn ne représentent qu’1.16% du total, on peut en conclure qu’il a globalement fait preuve d’une efficacité supérieure à la moyenne. Mais cette réussite eut son prix. Alors que les pertes moyennes d’une escadrille furent de 19 hommes, le 2 sqn en recensa 36, dont 2 personnels au sol. 8 pilotes furent faits prisonniers avant d’être rapatriés lors de l’opération Big Switch. Le 2 sqn totalisa pour l’ensemble de son personnel 2 citations présidentielles (USA et Corée du Sud) et plusieurs centaines de médailles dont 2 Silver Stars, 3 Legions of Merit, 55 Distinguished Flying Crosses et 40 Bronze Stars. Sur 95 Mustangs engagés, 74 furent perdus, pour 5 Sabres sur 22 (tous sur panne, 2e cause de perte d’appareils après la DCA). Lorsque le dernier contingent regagna l’Afrique du Sud le 29 octobre 1953, 243 officiers et 545 hommes de la SAAF avaient servi en Corée.

Un grand merci au magazine «Champs de Bataille» qui nous a autorisés à mettre en ligne sur HistoQuiz cet article de Frédéric Ortolland qui a été publié en avril 2009 (numéro 27)

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