Charles Delestraint, chef de l'Armée Secrète
Par Fabrice Thery

Charles Delestraint

 

Charles Delestraint était issu d’une modeste famille du Pas de Calais. Son père travaillait comme comptable aux fonderies de Biache St Vaast. C’est dans ce village situé entre Arras et Douai qu’il vit le jour, le 12 mars 1879.
Dès son enfance, le jeune Charles manifesta la volonté de devenir soldat. Elève sérieux, dont l'action réfléchie était en harmonie avec ses convictions, il vivra intensément sa foi chrétienne en menant ses études secondaires chez les Maristes à Haubourdin les Lille. En 1896, il obtint brillamment le Baccalauréat. Il choisit alors la carrière des armes et entra en 1897 à École spéciale militaire de Saint-Cyr. Il en sortira parmi les premiers, trois ans plus tard.
Le 1er octobre 1900, il est nommé sous-lieutenant au 16e Bataillon de chasseurs à pied, stationné à Lille.
Il va y servir pendant treize ans. Il est nommé capitaine en décembre 1913 puis est admis à l'École Supérieure de Guerre le 18 mars 1914.

La première guerre mondiale.

Le Capitaine Delestraint sert au 58° Bataillon de Chasseurs à Pieds à Amiens lorsque débute la Grande Guerre.
A la tête de la 9ème Compagnie, il s'illustre le 25 août 1914 lors d'une mission spéciale sur la Meuse, à hauteur de Haybes (Belgique). Il bouscule un important détachement ennemi, retarde la progression allemande et permet ainsi la liaison des IV° (de Langle de Cary) et V° Armées françaises (Lanrezac). Il est alors fait Chevalier de la Légion d'Honneur, puis recevra plus tard pour cette action la Croix de Guerre avec palme et la Croix de Guerre belge.
Le 30 août, il tombe dans une embuscade allemande lors de l'attaque de Chesnois-Auboncourt.
Blessé et fait prisonnier, il est admis à l"Ambulance allemande de Mazerny. Il y est soigné du 31 Août au 15 Septembre puis est ensuite acheminé vers l'Allemagne. Il restera captif au camp de Plassenburg, en Bavière du 25 Septembre 1914 au 3 Décembre 1918 inclus.
Rapatrié en décembre 1918, il est ensuite affecté à l'Etat-major du G.Q.G., Section du Personnel et nommé chef de bataillon en juin 1919.

L’entre-deux guerres.

Au début des années 20, Charles Delestraint sert d’abord au 104° RI puis après un passage à l'Etat-Major de l'Armée, il est affecté à l'Ecole Supérieure de Guerre où il avait été reçu en 1914. Le 3 octobre 1923, il fait une demande pour servir dans les chars et il est affecté au 517° Régiment de Chars de Combat à Düren, en zone d'occupation française. Il va exceller dans ce domaine et y acquérir une réputation de spécialiste qui le conduira en avril 1927 à l’Ecole d’Application des chars de Versailles, dirigée par le général Frère. Promu lieutenant-Colonel en décembre 1927, il y prendra les fonctions de commandant en second. En 1932, nommé Colonel, il devient Chef de Corps du 505° RCC à Vannes. En 1936, il se voit confier le commandement de la 3° Brigade de Chars à Metz et le 23 décembre de la même année, il reçoit ses étoiles de Général de Brigade. Il a comme subordonné le Colonel de Gaulle, Chef de Corps du 507° R.C.C. de Metz. Les deux hommes, inspirés par le Général Jean-Baptiste Eugène Estienne, partagent la même vision novatrice de l’emploi du blindé dans une stratégie moderne. Ensembles, ils vont lutter pour développer une utilisation différente, plus importante et plus offensive des blindés.

La drôle de guerre et la campagne de France (1939-1940).

Agé de 60 ans, le Général Delestraint est atteint par la limite d’âge de service, en mars 1939 et placé d’office dans les cadres de réserves. Mais la déclaration de guerre contre l’Allemagne, le 03 septembre 1939, permet son rappel au sein des armées. Il se voit confier le commandement des chars de combat de la VII° Armée. En avril 1940, il est nommé adjoint à l'inspection des chars. Le 2 juin 1940, alors que la situation parait désespérée, il reçoit le commandement d’un Groupement cuirassé qui ne comprend plus que deux Divisions (2° et 4° Divisions Cuirassées). Malgré la médiocrité de son équipement, il parvient à couvrir le repli de deux Armées, sauvant ainsi de nombreuses unités de toutes armes, après avoir réduit la poche d'Abbeville. Au cours de cette campagne, il retrouve le Colonel de Gaulle, commandant la 4° DCR. Ils connaissent des succès malheureusement incomplets du fait de l'incompréhension du haut commandement trop frileux pour accepter l'engagement simultané des deux Divisions. Le groupement de chars entreprend une longue retraite, se battant cependant partout, notamment sur la Loire.
La demande de l'armistice, proclamée le 17 juin par le maréchal Pétain, n'arrête pas pour autant la progression allemande et la capture de nombreuses unités françaises à laquelle, cependant, échappe le groupement de chars. Charles Delestraint qui, à Valençay, entend à la TSF l'Appel de son ancien subordonné, y adhère totalement. Lorsque les restes des deux Divisions de Chars se regroupent au camp de Caylus (Tarn-et-Garonne), l'esprit de Résistance est déjà né chez Charles Delestraint. Les paroles d'adieu qu'il adresse à ses soldats en sont la preuve. Il leur demande de se comporter en Français, et non pas avec une mentalité de chiens battus ou d'esclaves.
-"Si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour du calvaire présent".
Le 8 juillet, après avoir reçu la troisième étoile de général de division, il est versé à nouveau au cadre de réserve et quitte l'armée.

La résistance et l’Armée Secrète.

Le Général Delestraint refuse la défaite et l'armistice. Il décide de s’entourer d’opposants à l’occupation et regroupe dans un premier temps des "Anciens des Chars". A partir de 1941, il accentue son activité de résistant ce qui lui vaut un rappel à l'ordre de Vichy, le 27 février 1942.
En août 1942, après avis d'Henri Frenay et sur proposition de Jean Moulin, le Général de Gaulle le choisit pour organiser et commander l'Armée Secrète (A.S) qui doit regrouper puis fusionner les principaux grands mouvements armés de la Résistance en zone Sud : Combat, Libération et Franc-Tireur. Le 4 août 1942, il accepte le poste en envoyant à Londres un message à jean Moulin qui confirme son choix : « Charles à Charles, d’accord ».

Le 11 novembre 1942, après avoir rencontré Jean Moulin, il est confirmé dans sa mission par une lettre manuscrite du Général de Gaulle. Chef de l'Armée Secrète, il prend alors pour pseudonyme « Vidal » et travaille en coordination avec Jean Moulin pour élargir la structure à la zone Nord. Il aura comme secrétaire pendant cette période François-Yves Guillin. Dès lors, il collabore étroitement avec Moulin pour organiser la Résistance au plus haut niveau en rencontrant les principaux responsables des mouvements. C'est ainsi qu'ils sont tous deux convoqués par le général de Gaulle à Londres le 13 février 1943. Charles Delestraint est alors chargé d'étendre la structure de l'Armée Secrète en zone nord. Vidal rentre en France le 20 mars 1943 en compagnie de "Max" (Jean Moulin) et de Christian Pineau.
Il est promu Général de Corps d'Armée par le Général de Gaulle. Il visite début avril, le plateau du Vercors et les premiers maquis. Ensuite, à Paris, il participe aux réunions visant à regrouper les grands mouvements de la zone nord (OCM, Centurie, FTPF, Voix du Nord).

L’arrestation et la déportation.

Au printemps 1943, les Allemands sont sur la piste de Jean Moulin et cherchent à décapiter l’organisation.
Le 9 juin 1943, au Métro La Muette (16ème), alors qu'il a rendez-vous avec René Hardy, l'un des responsables de Réseau « Combat », le Général Delestraint est « pincé » par la Gestapo et douze jours plus tard Jean Moulin est également arrêté à Caluire.
Il a été souvent avancé qu’ Hardy avait trahi les deux hommes. En effet, Henri Frenay, à la tête de « Combat » était convaincu que Moulin était un sympathisant communiste et qu’il voulait mettre ceux-ci aux commandes de l’Armée Secrète de Delestraint. Cette trahison aurait été échafaudée pour contrer ces plans.

Le Général Delestraint est interrogé et torturé à Neuilly puis avenue Foch par la Gestapo. En juillet, il est incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes. Après une instruction de neuf mois, il est envoyé au camp de Natzweiller-Struthof, en Alsace, en mars 1944. Il devient déporté classifié "Nacht und Nebel", de la catégorie de ceux que l'on doit faire disparaître. Dans le camp, il est tout de suite considéré comme chef. Il est perçu comme le conseiller porteur de l'espoir que nombre de ses compagnons ont perdu. Il est également apprécié pour son profond sens humain, encourageant toujours ceux qui sont submergés par le désespoir et trouvant chaque fois les mots justes pour les rassurer. Il pouvait restituer la confiance d'un regard ou avec quelques mots. Il prenait soin des prisonniers vulnérables, n’hésitait jamais à partager les quelques aliments qu’il parvenait à faire dérober aux allemands.

Avec l’avancée des alliés vers l’Alsace, le commandement allemand décide de faire évacuer le camp de Natzweiler au début du mois de septembre 1944. « Vidal » est alors transféré au camp de Dachau, près de Munich. Il y arrive le 6 septembre 1944 avec 905 autres détenus de Natzweiler. Tous les prisonniers français de Natzweiler classifiés comme « Nacht und Nebel » portaient le triangle rouge sur leurs uniformes, les désignant comme « prisonniers politiques ». Les lettres NN étaient peintes derrière leurs vestes pour les identifier plus facilement.
D’après le témoignage de Paul Berben, ancien déporté de Dachau, le Général Delestraint portait un triangle rouge avec la lettre F pour « français » et le matricule 103.027 sur une pièce blanche, au-dessus du triangle. Bien qu’il fut le prisonnier français détenant le plus haut rang, en provenance de Natzweiler, le Général ne fut pas envoyé avec les prisonniers importants dans le bunker mais fut affecté tel un détenu classique en Bloc. Il demeurait au Bloc 24, baraquement de bois se situant au Nord du camp. Il a conservé ses liens avec les autres prisonniers de Natzweiler dont l'agent britannique du SOE, le Lieutenant Robert Sheppard, lui aussi logé au Bloc 24. Un ordre, donné par de hautes instances allemandes (Kaltenbrünner ?), le condamnera à disparaître avant l'arrivée des alliés. Très vite bien qu’il soit reconnu par les autres internés comme le chef des prisonniers français, il s’arrange pour devenir un prisonnier anonyme, perdu dans la masse des détenus. A Dachau, les gardiens ne le feront pas travailler à l'extérieur du camp de peur qu'il ne tente de s'évader. En tant qu’officier, il n’est pas astreint aux tâches laborieuses quotidiennes et doit rester seul dans les baraques pendant que ses compagnons oeuvrent à l’extérieur.
Mais il n’accepte pas cet état de fait. Il s’entend avec le chef de bloc de son bâtiment pour travailler clandestinement dans le magasin d’habillement du camp. Très croyant, il exerce aussi chaque jours les fonctions d'enfant de coeur auprès de l'Évêque Piguet, lors de la messe qu’il officie dans le Bloc 26. Il intègre en janvier 1945, le comité international du camp. Celui-ci avec des représentants de 14 pays différents vise à organiser une certain « esprit de résistance » dans le camp, et tente de planifier une révolte dans le cas où les gardes tenteraient d’exterminer tous les prisonniers avant l’arrivée des alliés. Il tente aussi de maintenir la solidarité et la cohabitation des détenus de 17 pays, aux opinions politiques très diverses.

L’assassinat, 19 avril 1945.

Le 19 avril 1945, dix jours seulement avant la libération du camp de Dachau par la 7ème Armée US, le Général Delestraint est lâchement assassiné avant d'être immédiatement incinéré dans les fours crématoires du camp.
Les raisons et les conditions de son exécution restent aujourd’hui encore obscures. Plusieurs rapports indépendants, ont été rédigés par des survivants de Dachau. Ils décrivent les événements le jour de son exécution, mais aucun d’eux ne concorde tout à fait.

Zones d’ombre sur la fin du Général.

Selon "le Communiqué n° 3 de l 'Amicale des Anciens de Dachau d’Octobre-Novembre 1945, écrit par des survivants français du camp, Armand Kientzler a témoigné au premier Tribunal Militaire américain de Dachau qu'il avait été témoin de l'exécution du Général Delestraint. Kientzler travaillait comme jardinier dans le secteur aménagé près du crématorium où les exécutions avaient lieu. Dans son témoignage, il indique que 3 Français et 11 officiers tchèques ont été exécutés le 19 avril 1945. Il a précisé que les bourreaux SS étaient ivres et riaient tout en assassinant ces hommes.

Ensuite, il aurait été ordonné au Général Delestraint de se déshabiller puis il aurait été abattu à distance alors qu’il marchait vers son lieu de supplice. C’est sur ce point que les avis divergent car d’autres, témoins cités aux procédures concernant Dachau ont affirmé que le Général n'était pas nu et qu’il fut abattu d'une ou deux balles dans la nuque. Un prêtre Mosellan interné à Dachau, François Goldschmitt a écrit un livre intitulé "Zeugen des Abendlandes " dans lequel il infirme également le témoignage de Kientzler.
Il déclare que « Vidal » fut abattu sans avoir reçu l’ordre de se dénuder. Selon son témoignage, avant l'exécution, le SS Franz Trenkle a frappé le Général avec son poing, lui cassant plusieurs dents.


Puis le SS-Oberscharführer Theodor Bongartz a abattu Delestraint d’une balle dans la nuque à bout portant. Trenkle et Bongartz et semblent donc être les assassins de « Vidal ». Selon Goldschmitt, les dernières paroles prononcées par le général furent : « Vive la France, vive de Gaulle ! ». Mais on ne trouve aucun autre témoignage dans les procédures d’enquête qui corrobore cette information.

L’allemand Emil Erwin Mahl, qui était responsable des Kapo à Dachau, a témoigné devant le Tribunal Militaire américain tenu à Dachau. Il aurait reçu l’ordre d'incinérer le corps de général Delestraint immédiatement et de brûler ses vêtements, papiers et possessions personnelles. Mahl a indiqué qu’il n'était pas un des prisonniers qui travaillaient normalement dans le crématorium et que les fours étaient froids depuis des mois à cause de l'a pénurie de charbon.
Selon Albert Knoll, membre du mémorial de Dachau, il semble étrange qu’on n’ait trouvé dans le camp aucun document officiel concernant l’exécution du Général. A la libération du camp, le 29 avril 1945, le seul document mentionnant le Général Delestraint qui ait été trouvé parmi les dossiers était une note datée du 13 mars 1945 qui mentionnait que le Général Charles Delestraint devait être ajouté à la liste des prisonniers « importants » de Dachau. Ces prisonniers « importants » étaient logés dans un bunker et disposaient de privilèges particuliers.
Jusqu'alors, le Général avait été un prisonnier ordinaire du camp et avait logé dans les blocs parmi les autres prisonniers politiques. Aux dires de tous, Delestraint était un prisonnier modèle encore très valide malgré ses 66 ans et parfaitement confiant en la victoire finale. On ne s’explique pas qu’il ait été exécuté, juste une semaine avant que les prisonniers « VIP » ne soient évacués dans le Tyrol Sud, pour leur propre sécurité, le 26 avril 1945.

En mai 1945, quelques jours après la libération du camp, la VII° Armée américaine a publié un rapport officiel basé sur les témoignages de 20 prisonniers du camp de Dachau. Leurs témoignages attestent que les prisonniers importants, les otages politiques et religieux de Dachau avaient été évacué vers le Tyrol avant que le camp ne soit libéré et que le Général Delestraint ne figurait pas parmi eux. Dans ce groupe se trouvaient le Révérend Martin Niemöller, un des fondateurs de l'Église Pénitentielle; Kurt von Schuschnigg, le Chancelier de l'Autriche avant l'Anschluss; Edouard Daladier, le Premier ministre français au moment de l'invasion allemande et Léon Blum, ancien premier ministre français de confession juive.

Côté français, Immédiatement après la libération, il est ordonné au Capitaine Tresnel, officier de liaison français à la Troisième Armée américaine de mener une enquête sur le meurtre du Général Delestraint. Celle-ci n’apportera pas d’avancée significative.

Pendant les premières procédures du Tribunal Militaire américain à Dachau en novembre 1945, un de l'accusé, Johann Kick, a avoué qu’il était responsable de l'enregistrement des prisonniers, en gardait les dossiers et toutes les notes relatives au constat des décès, en tant que chef du département politique et membre de la Gestapo.
Il a affirmé que les exécutions à Dachau pouvaient seulement être ordonnées par le Sichereit Dienst de Berlin et que son travail était ensuite de rendre compte au S.D. de l’effective élimination du prisonnier puis d’informer les familles du décédé.
Mais dans le cas des détenus « Nacht und Nebel », les familles n'étaient pas informées de la mort de leur proche.
La famille du Général Delestraint n'a donc pas été averti de sa mort par le S.D, pas plus que par le département politique de Dachau et encore moins par les américains. La fille de « Vidal » a appris la mort de son dans un journal le 9 mai 1945 mais elle restera longtemps sans nouvelles des circonstances de sa disparition. Toutes ces informations n’ont pas permi de répondre avec précisions aux questions suivantes :


- Pourquoi avoir exécuté le Général à une date où tout était déjà perdu pour l’Allemagne ?
- Qui a ordonné sa mort et pourquoi ?
- Pourquoi l'ordre d'exécution de Berlin ne fut jamais trouvé ?
- S’agit-il d’un acte isolé gratuit, perpétré par quelques brutes nazies désespérées et imbibées d’alcool ?

Dans son article du 10 novembre 1989, Robert Sheppard donne les détails suivants sur l'incident qui aurait abouti au meurtre du Général, le 19 avril 1945 :

- « Au camp de Dachau, le Général avait l'emploi de « hilfschreiber » (aide secrétaire) du Bloc 24, car en tant que prisonniers N.N., il lui était interdit de travailler à l'extérieur du camp. Moi, j’étais le responsable « cantine » du Bloc 24, bien qu’en 1945, la cantine du camp n'avait pratiquement rien à donner aux prisonniers, chaque bloc avait toujours un représentant, chargé des approvisionnements. Celui-ci détenait le nom de tous les prisonniers de son bloc. Les internés recevaient un peu d'argent de camp pour leur travail à l’extérieur et ils pouvaient l’utiliser uniquement pour acheter des articles personnels ou des aliments à la cantine. Les familles envoyaient aussi parfois un peu d’argent. Quand celui-ci parvenait au détenu (si jamais il lui parvenait), il devaient l’échanger contre la monnaie de camp. Mais les Prisonniers Nacht und Nebel n’avaient pas droit à ce traitement. Les gardiens SS du camp devaient faire un appel des prisonniers N.N. le matin et l’après-midi pendant que les autres prisonniers travaillaient dans les usines à l'extérieur du camp. Lors de l'un de ces appel en mars, le garde SS demanda à chaque prisonnier de donner leur numéro de bloc, leur matricule et le cas échéant leur fonction dans le camp. Delestraint, interrogé sur sa fonction dans le camp répondit « Général de l’Armée française». Le garde parut surpris, pris des notes, termina son appel et quitta la place de rapport ».
D’après Sheppard, très peu de temps après cet incident, des ordres furent reçus de Berlin pour que le Général Delestraint fut admis au bunker des prisonniers « importants ». Dans ce bunker, les cellules individuelles étaient équipées de toilettes et demeuraient ouvertes le jour et les détenus pouvaient parfois y recevoir de la visite mais celles-ci demeuraient interdites pour les prisonniers N.N. Ce témoignage est corroboré en grande partie par Joseph Rovan, un détenu qui a écrit un livre sur Dachau. A partir de cet instant, les fidèles du Général craignirent pour sa sécurité. Roger Linet, un prisonnier communiste, serait allé voir le Général dans le bloc 24 et lui aurait proposé de se faire admettre au bloc hôpital sous un prétexte quelconque. Là il pourrait échangé son matricule dès qu’un prisonnier français décéderait (cas malheureusement très fréquent) et serait donc déclaré officiellement mort.
Il lui resterait ensuite à se faire oublier quelques temps sous sa fausse identité jusqu’à l’arrivée des alliés.
Mais « Vidal » voulu assumer son identité et refusa l’offre.

L’agent du SOE Sheppard avance que le 19 avril 1945, le secrétaire du Bloc 24 a reçu la carte de sortie de général Delestraint mentionnant « Ausgang durch Tot » (sortie pour la mort).
Au lieu d'être transféré du bunker des « VIP » et évacué, le Général Delestraint aurait été assassiné à cause de son arrogance et de son impudence car il rappelait trop souvent son galon de Général aux autorités allemandes et souhaitait avoir les égards dus à son rang.
Mais d’autres témoignages avancent aussi que le Général aurait été admis au bunker des « VIP » en janvier 1945, ce qui, une nouvelle fois, ne concorde pas. Pourtant Sheppard est précis sur les activités de Delestraint dans le comité international du camp. Pour lui, elles coincïdent avec la fin de l’épidémie de Typhus qui sévit dans le camp à partir de fin décembre 1944. Le Général, malade avait été mis en quarantaine au bloc 25 puis était revenu fin janvier 1945 au Bloc 24 où il aurait repris ses activités.

En résumé, les nombreux témoignages diffèrent et ne permettent pas de donner la date précise où le général fut admis, sur ordre de Berlin au bunker « VIP ». Mais chaque témoin est sûr que c’était peu de temps après l’incident de l’appel.

Le 4 avril 1945, des prisonniers importants, comme Léon Blum et Kurt von Schuschnigg, furent transférés de Buchenwald vers Dachau. Certains des prisonniers du bunker furent alors déplacés dans une annexe.
Cette annexe en bois était l’ancienne maison de passe du camp et le Général Delestraint y fut installé avec l'Archevêque Piguet et le Révérend Martin Niemöller, selon l'Évêque Neuhäusler.
Le 19 avril 1945, après la communion à la fin de la messe, des SS vinrent chercher le général. Michelet et le Révérend Martin Niemöller s'attendaient à ce que général Delestraint les rejoigne pour un massage dans l'infirmerie de camp. (On a régulièrement permis aux prisonniers importants du bunker d'avoir un massage pendant qu'un soldat SS les surveillait). Mais ils ne le revirent pas et entendirent par contre deux coups de feu. Un livre écrit par le français J. F. Perrette, intitulé "Le General Delestraint," reprend le témoignage de Neuhäusler devant le tribunal américain à Dachau. Dans celui-ci il atteste que le SS-Hauptscharführer Eichberger aurait reçu un ordre d’exécution, signé par le SS-Obersturmbanführer Schäfer. Eichberger aurait transmis l’ordre à son supérieur le SS-Obersturmführer Wilhelm Ruppert, responsable des éxécutions au camp. A 8h30, le 19 avril, le SS-Oberscharführer Fritz serait venu chercher le général qui apportait son concours à l’Archevêque Piguet pour la messe, dans le Bloc 26. Il lui aurait dit de préparer vite ses affaires pour partir avec un convoi. Il aurait vérifié l’identité de « Vidal » et lui aurait dit qu’il allait être libéré. Ruppert par respect pour le rang du Général aurait même porté lui-même la valise de celui-ci. Alors qu’ils se dirigeaient vers les bureaux administratifs du camp, les deux hommes croisèrent alors Johannes Otto, l’adjoint de Ruppert. L’officier allemand informa alors son adjoint de l’ordre d’exécution du détenu, précisant qu’elle devait avoir lieu immédiatement. Le SS accompagné du Général se joignit alors à un groupe d’autres prisonniers emmenés par le SS-Unterscharführer Edgar Stiller. Le groupe a alors pris la direction du crématorium. Devant celui-ci les attendaient le SS-Hauptscharführer Bongartz. Ensuite eut lieu l’assassinat et la crémation.
Ce témoignage rejoint celui du prêtre François Goldschnitt et met en cause une nouvelle fois Bongartz.
Lors de l’enquête du tribunal militaire américain de Dachau, le nom de Theodor Bongartz a été également mentionné pendant le témoignage d'Otto Edward Jendrian, un prisonnier allemand à Dachau, qui a dit avoir vu Bongartz tirer sur des officiers français dont un Général.
Selon Michelet, le soir du 19 avril, un prisonnier français est venu pour lui remettre la carte de prisonnier du Général afin qu’il l’enregistre. C’était la fameuse carte « Ausgang durch Tod ».
La cause indiquée de la mort était « arrêt cardiaque » et selon son témoignage, c'était la cause officielle de décès mentionnée chaque fois qu’un prisonnier était exécuté par balles ou pendu.

Que devinrent les présumés coupables ?

Bongartz ne fut pas jugé car il était déjà mort à cette époque, mais d’autres protagonistes de cette exécution étaient toujours en vie au moment du procès. Ils étaient également responsables des crimes de guerre commis par Bongartz car les charges exactes pesant contre les accusés lors du procès étaient : « avoir pris part à une action collective violant les lois et les usages de guerre régis par la Convention de Genève ». Friedrich Wilhelm Ruppert, identifié lors du procès par des témoins répondit de ses crimes, puisqu’il était un des hommes en charge des exécutions à Dachau. Il fut reconnu coupable par le tribunal militaire américain et fut pendu le 29 mai 1946.

Mais certains témoignages demeurent troublants et font douter du procédé utilisé pour éliminer le Général.
Lors du Procès Martin Gottfried Weiss qui avait été chef du camp de Dachau entre septembre 1942 et octobre 1943 affirma que durant sa présence, il n’y eut pas d’exécution par balles mais uniquement par pendaison.
A Dachau, on pendait en effet des condamnés aux poutres de charpente juste face aux fours crématoires (j’ai pu le constater par moi-même). Enfin l’agent du SOE Johnny Hopper, dans sa version des faits prétend que le Général Delestraint aurait été effectivement pendu.

La mémoire.

Le 9 mai 1965, un Musée fut ouvert dans l’ancien camp de concentration de Dachau. On y trouvait étrangement aucune photo du Général et aucun renseignement sur la mort d’un prisonnier pourtant essentiel du camp.
Mais en 1978, un catalogue de documents a été publié par le comité international de Dachau, pour la vente aux visiteurs du Musée. Il contenait des photos des œuvres exposées, des photos et des documents présents dans le musée. Parmi ceux-ci figuraient des listes mentionnant l’exécution de 31 prisonniers de guerre russes le 22 février 1944, de 90 prisonniers de guerre russes. Le catalogue indique également que 55 polonais furent éliminés en novembre 1940 et des milliers de prisonniers de guerre soviétiques entre fin 1941 et 1942, sans pour autant préciser de liste nominative. Sur la même page on trouve quelques renseignements (allant dans le sens du témoignage de Kientzler) concernant l’exécution du Général Delestraint et de 11 officiers tchécoslovaques, en avril 1945, sans date plus précise.

Depuis mai 2003, une nouvelle exposition a été créée dans le Musée de Dachau. Une section dans ce nouveau musée est dédiée aux prisonniers de chaque nation et la partie réservée aux français inclue bien entendu le parcours du Général Charles Delestraint. (J’ai visité le camp et le musée le 13 août 2003).

Dans son village natal, à 3 kilomètres de chez moi, un square portant le nom de Charles Delestraint a été créé, juste à côté de l’église. En son centre, il est dominé par un monument dédié au Chef de l’Armée Secrète. Dans une petite rue à 200m de là, une plaque identifie le lieu où il vît le jour en 1879.

Le Général Delestraint a été finalement honoré en France, bien que tardivement, grâce aux efforts de l’ex agent du SOE britannique Robert Sheppard. Son nom a été ajouté à la liste des grands hommes de la France au Panthéon, le 10 novembre 1989, le lendemain de la chute du mur de Berlin.
Charles Delestraint fut un homme droit pendant toute sa carrière. Militaire au sens du devoir indiscutable et très croyant, il fut toujours fidèle à sa devise : « Etre exact ». Malheureusement pour nous les circonstances précises de sa disparition sont confuses et on ne saura probablement jamais pour quelles raisons et sur ordre de qui il fut exécuté, alors que la seconde guerre mondiale s’achevait.

Décorations attribuées au Général Delestraint :

- Commandeur de la Légion d'Honneur
- Compagnon de la Libération - décret du 17 novembre 1945
- Croix de Guerre 14-18 avec palme
- Croix de Guerre 39-45
- Croix de Guerre Belge

Les Livres :
De gaulle, la solitude du combattant, Max Gallo
Le Général Delestraint de J.F. Perrette, Presse de la cité, 1972
Plaquette commémorative éditée en mars 2010 par l'ONAC, les ACPG CATM et de l'ANACR de Biache St vaast
Le général Delestraint , le premier chef de l'Armée secrète, F.Y. Guillin, Plon, 1995
Les sites :
http://www.scrapbookpages.com/natzweiler/History/Delestraint.html
http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/266.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Delestraint
http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichecitoyennete.php?idCitoyen=12&idLang=fr
http://dianamarahenry.com/natzweiler-struthof/GeneralDelstraintatNatzweiler.htm

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