Charles Delestraint était issu d’une modeste famille du
Pas de Calais. Son père travaillait comme comptable aux fonderies
de Biache St Vaast. C’est dans ce village situé entre Arras
et Douai qu’il vit le jour, le 12 mars 1879.
Dès son enfance, le jeune Charles manifesta la volonté
de devenir soldat. Elève sérieux, dont l'action réfléchie
était en harmonie avec ses convictions, il vivra intensément
sa foi chrétienne en menant ses études secondaires chez
les Maristes à Haubourdin les Lille. En 1896, il obtint brillamment
le Baccalauréat. Il choisit alors la carrière des armes
et entra en 1897 à École spéciale militaire de
Saint-Cyr. Il en sortira parmi les premiers, trois ans plus tard.
Le 1er octobre 1900, il est nommé sous-lieutenant au 16e Bataillon
de chasseurs à pied, stationné à Lille.
Il va y servir pendant treize ans. Il est nommé capitaine en
décembre 1913 puis est admis à l'École Supérieure
de Guerre le 18 mars 1914.
La première
guerre mondiale.
Le Capitaine Delestraint sert au 58° Bataillon de Chasseurs à
Pieds à Amiens lorsque débute la Grande Guerre.
A la tête de la 9ème Compagnie, il s'illustre le 25 août
1914 lors d'une mission spéciale sur la Meuse, à hauteur
de Haybes (Belgique). Il bouscule un important détachement ennemi,
retarde la progression allemande et permet ainsi la liaison des IV°
(de Langle de Cary) et V° Armées françaises (Lanrezac).
Il est alors fait Chevalier de la Légion d'Honneur, puis recevra
plus tard pour cette action la Croix de Guerre avec palme et la Croix
de Guerre belge.
Le 30 août, il tombe dans une embuscade allemande lors de l'attaque
de Chesnois-Auboncourt.
Blessé et fait prisonnier, il est admis à l"Ambulance
allemande de Mazerny. Il y est soigné du 31 Août au 15
Septembre puis est ensuite acheminé vers l'Allemagne. Il restera
captif au camp de Plassenburg, en Bavière du 25 Septembre 1914
au 3 Décembre 1918 inclus.
Rapatrié en décembre 1918, il est ensuite affecté
à l'Etat-major du G.Q.G., Section du Personnel et nommé
chef de bataillon en juin 1919.
L’entre-deux
guerres.
Au début des années 20, Charles Delestraint sert d’abord
au 104° RI puis après un passage à l'Etat-Major de
l'Armée, il est affecté à l'Ecole Supérieure
de Guerre où il avait été reçu en 1914.
Le 3 octobre 1923, il fait une demande pour servir dans les chars et
il est affecté au 517° Régiment de Chars de Combat
à Düren, en zone d'occupation française. Il va exceller
dans ce domaine et y acquérir une réputation de spécialiste
qui le conduira en avril 1927 à l’Ecole d’Application
des chars de Versailles, dirigée par le général
Frère. Promu lieutenant-Colonel en décembre 1927, il y
prendra les fonctions de commandant en second. En 1932, nommé
Colonel, il devient Chef de Corps du 505° RCC à Vannes. En
1936, il se voit confier le commandement de la 3° Brigade de Chars
à Metz et le 23 décembre de la même année,
il reçoit ses étoiles de Général de Brigade.
Il a comme subordonné le Colonel de Gaulle, Chef de Corps du
507° R.C.C. de Metz. Les deux hommes, inspirés par le Général
Jean-Baptiste Eugène Estienne, partagent la même vision
novatrice de l’emploi du blindé dans une stratégie
moderne. Ensembles, ils vont lutter pour développer une utilisation
différente, plus importante et plus offensive des blindés.
La
drôle de guerre et la campagne de France (1939-1940).
Agé de 60 ans, le Général Delestraint est atteint
par la limite d’âge de service, en mars 1939 et placé
d’office dans les cadres de réserves. Mais la déclaration
de guerre contre l’Allemagne, le 03 septembre 1939, permet son
rappel au sein des armées. Il se voit confier le commandement
des chars de combat de la VII° Armée. En avril 1940, il est
nommé adjoint à l'inspection des chars. Le 2 juin 1940,
alors que la situation parait désespérée, il reçoit
le commandement d’un Groupement cuirassé qui ne comprend
plus que deux Divisions (2° et 4° Divisions Cuirassées).
Malgré la médiocrité de son équipement,
il parvient à couvrir le repli de deux Armées, sauvant
ainsi de nombreuses unités de toutes armes, après avoir
réduit la poche d'Abbeville. Au cours de cette campagne, il retrouve
le Colonel de Gaulle, commandant la 4° DCR. Ils connaissent des
succès malheureusement incomplets du fait de l'incompréhension
du haut commandement trop frileux pour accepter l'engagement simultané
des deux Divisions. Le groupement de chars entreprend une longue retraite,
se battant cependant partout, notamment sur la Loire.
La demande de l'armistice, proclamée le 17 juin par le maréchal
Pétain, n'arrête pas pour autant la progression allemande
et la capture de nombreuses unités françaises à
laquelle, cependant, échappe le groupement de chars. Charles
Delestraint qui, à Valençay, entend à la TSF l'Appel
de son ancien subordonné, y adhère totalement. Lorsque
les restes des deux Divisions de Chars se regroupent au camp de Caylus
(Tarn-et-Garonne), l'esprit de Résistance est déjà
né chez Charles Delestraint. Les paroles d'adieu qu'il adresse
à ses soldats en sont la preuve. Il leur demande de se comporter
en Français, et non pas avec une mentalité de chiens battus
ou d'esclaves.
-"Si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour du calvaire
présent".
Le 8 juillet, après avoir reçu la troisième étoile
de général de division, il est versé à nouveau
au cadre de réserve et quitte l'armée.
La résistance et l’Armée Secrète.
Le Général Delestraint refuse la défaite et l'armistice.
Il décide de s’entourer d’opposants à l’occupation
et regroupe dans un premier temps des "Anciens des Chars".
A partir de 1941, il accentue son activité de résistant
ce qui lui vaut un rappel à l'ordre de Vichy, le 27 février
1942.
En août 1942, après avis d'Henri Frenay et sur proposition
de Jean Moulin, le Général de Gaulle le choisit pour organiser
et commander l'Armée Secrète (A.S) qui doit regrouper
puis fusionner les principaux grands mouvements armés de la Résistance
en zone Sud : Combat, Libération et Franc-Tireur. Le 4 août
1942, il accepte le poste en envoyant à Londres un message à
jean Moulin qui confirme son choix : « Charles à Charles,
d’accord ».
Le 11 novembre
1942, après avoir rencontré Jean Moulin, il est confirmé
dans sa mission par une lettre manuscrite du Général de
Gaulle. Chef de l'Armée Secrète, il prend alors pour pseudonyme
« Vidal » et travaille en coordination avec Jean Moulin
pour élargir la structure à la zone Nord. Il aura comme
secrétaire pendant cette période François-Yves
Guillin. Dès lors, il collabore étroitement avec Moulin
pour organiser la Résistance au plus haut niveau en rencontrant
les principaux responsables des mouvements. C'est ainsi qu'ils sont
tous deux convoqués par le général de Gaulle à
Londres le 13 février 1943. Charles Delestraint est alors chargé
d'étendre la structure de l'Armée Secrète en zone
nord. Vidal rentre en France le 20 mars 1943 en compagnie de "Max"
(Jean Moulin) et de Christian Pineau.
Il est promu Général de Corps d'Armée par le Général
de Gaulle. Il visite début avril, le plateau du Vercors et les
premiers maquis. Ensuite, à Paris, il participe aux réunions
visant à regrouper les grands mouvements de la zone nord (OCM,
Centurie, FTPF, Voix du Nord).
L’arrestation
et la déportation.
Au printemps 1943, les Allemands sont sur la piste de Jean Moulin et
cherchent à décapiter l’organisation.
Le 9 juin 1943, au Métro La Muette (16ème), alors qu'il
a rendez-vous avec René Hardy, l'un des responsables de Réseau
« Combat », le Général Delestraint est «
pincé » par la Gestapo et douze jours plus tard Jean Moulin
est également arrêté à Caluire.
Il a été souvent avancé qu’ Hardy avait trahi
les deux hommes. En effet, Henri Frenay, à la tête de «
Combat » était convaincu que Moulin était un sympathisant
communiste et qu’il voulait mettre ceux-ci aux commandes de l’Armée
Secrète de Delestraint. Cette trahison aurait été
échafaudée pour contrer ces plans.
Le Général
Delestraint est interrogé et torturé à Neuilly
puis avenue Foch par la Gestapo. En juillet, il est incarcéré
à la maison d’arrêt de Fresnes. Après une
instruction de neuf mois, il est envoyé au camp de Natzweiller-Struthof,
en Alsace, en mars 1944. Il devient déporté classifié
"Nacht und Nebel", de la catégorie de ceux que l'on
doit faire disparaître. Dans le camp, il est tout de suite considéré
comme chef. Il est perçu comme le conseiller porteur de l'espoir
que nombre de ses compagnons ont perdu. Il est également apprécié
pour son profond sens humain, encourageant toujours ceux qui sont submergés
par le désespoir et trouvant chaque fois les mots justes pour
les rassurer. Il pouvait restituer la confiance d'un regard ou avec
quelques mots. Il prenait soin des prisonniers vulnérables, n’hésitait
jamais à partager les quelques aliments qu’il parvenait
à faire dérober aux allemands.
Avec l’avancée
des alliés vers l’Alsace, le commandement allemand décide
de faire évacuer le camp de Natzweiler au début du mois
de septembre 1944. « Vidal » est alors transféré
au camp de Dachau, près de Munich. Il y arrive le 6 septembre
1944 avec 905 autres détenus de Natzweiler. Tous les prisonniers
français de Natzweiler classifiés comme « Nacht
und Nebel » portaient le triangle rouge sur leurs uniformes, les
désignant comme « prisonniers politiques ». Les lettres
NN étaient peintes derrière leurs vestes pour les identifier
plus facilement.
D’après le témoignage de Paul Berben, ancien déporté
de Dachau, le Général Delestraint portait un triangle
rouge avec la lettre F pour « français » et le matricule
103.027 sur une pièce blanche, au-dessus du triangle. Bien qu’il
fut le prisonnier français détenant le plus haut rang,
en provenance de Natzweiler, le Général ne fut pas envoyé
avec les prisonniers importants dans le bunker mais fut affecté
tel un détenu classique en Bloc. Il demeurait au Bloc 24, baraquement
de bois se situant au Nord du camp. Il a conservé ses liens avec
les autres prisonniers de Natzweiler dont l'agent britannique du SOE,
le Lieutenant Robert Sheppard, lui aussi logé au Bloc 24. Un
ordre, donné par de hautes instances allemandes (Kaltenbrünner
?), le condamnera à disparaître avant l'arrivée
des alliés. Très vite bien qu’il soit reconnu par
les autres internés comme le chef des prisonniers français,
il s’arrange pour devenir un prisonnier anonyme, perdu dans la
masse des détenus. A Dachau, les gardiens ne le feront pas travailler
à l'extérieur du camp de peur qu'il ne tente de s'évader.
En tant qu’officier, il n’est pas astreint aux tâches
laborieuses quotidiennes et doit rester seul dans les baraques pendant
que ses compagnons oeuvrent à l’extérieur.
Mais il n’accepte pas cet état de fait. Il s’entend
avec le chef de bloc de son bâtiment pour travailler clandestinement
dans le magasin d’habillement du camp. Très croyant, il
exerce aussi chaque jours les fonctions d'enfant de coeur auprès
de l'Évêque Piguet, lors de la messe qu’il officie
dans le Bloc 26. Il intègre en janvier 1945, le comité
international du camp. Celui-ci avec des représentants de 14
pays différents vise à organiser une certain « esprit
de résistance » dans le camp, et tente de planifier une
révolte dans le cas où les gardes tenteraient d’exterminer
tous les prisonniers avant l’arrivée des alliés.
Il tente aussi de maintenir la solidarité et la cohabitation
des détenus de 17 pays, aux opinions politiques très diverses.
L’assassinat,
19 avril 1945.
Le 19 avril 1945,
dix jours seulement avant la libération du camp de Dachau par
la 7ème Armée US, le Général Delestraint
est lâchement assassiné avant d'être immédiatement
incinéré dans les fours crématoires du camp.
Les raisons et les conditions de son exécution restent aujourd’hui
encore obscures. Plusieurs rapports indépendants, ont été
rédigés par des survivants de Dachau. Ils décrivent
les événements le jour de son exécution, mais aucun
d’eux ne concorde tout à fait.
Zones d’ombre
sur la fin du Général.
Selon
"le Communiqué n° 3 de l 'Amicale des Anciens de Dachau
d’Octobre-Novembre 1945, écrit par des survivants français
du camp, Armand Kientzler a témoigné au premier Tribunal
Militaire américain de Dachau qu'il avait été témoin
de l'exécution du Général Delestraint. Kientzler
travaillait comme jardinier dans le secteur aménagé près
du crématorium où les exécutions avaient lieu.
Dans son témoignage, il indique que 3 Français et 11 officiers
tchèques ont été exécutés le 19 avril
1945. Il a précisé que les bourreaux SS étaient
ivres et riaient tout en assassinant ces hommes.
Ensuite, il aurait été ordonné au Général
Delestraint de se déshabiller puis il aurait été
abattu à distance alors qu’il marchait vers son lieu de
supplice. C’est sur ce point que les avis divergent car d’autres,
témoins cités aux procédures concernant Dachau
ont affirmé que le Général n'était pas nu
et qu’il fut abattu d'une ou deux balles dans la nuque. Un prêtre
Mosellan interné à Dachau, François Goldschmitt
a écrit un livre intitulé "Zeugen des Abendlandes
" dans lequel il infirme également le témoignage
de Kientzler.
Il déclare que « Vidal » fut abattu sans avoir reçu
l’ordre de se dénuder. Selon son témoignage, avant
l'exécution, le SS Franz Trenkle a frappé le Général
avec son poing, lui cassant plusieurs dents.
Puis le SS-Oberscharführer Theodor Bongartz a abattu Delestraint
d’une balle dans la nuque à bout portant. Trenkle et Bongartz
et semblent donc être les assassins de « Vidal ».
Selon Goldschmitt, les dernières paroles prononcées par
le général furent : « Vive la France, vive de Gaulle
! ». Mais on ne trouve aucun autre témoignage dans les
procédures d’enquête qui corrobore cette information.
L’allemand
Emil Erwin Mahl, qui était responsable des Kapo à Dachau,
a témoigné devant le Tribunal Militaire américain
tenu à Dachau. Il aurait reçu l’ordre d'incinérer
le corps de général Delestraint immédiatement et
de brûler ses vêtements, papiers et possessions personnelles.
Mahl a indiqué qu’il n'était pas un des prisonniers
qui travaillaient normalement dans le crématorium et que les
fours étaient froids depuis des mois à cause de l'a pénurie
de charbon.
Selon Albert Knoll, membre du mémorial de Dachau, il semble étrange
qu’on n’ait trouvé dans le camp aucun document officiel
concernant l’exécution du Général. A la libération
du camp, le 29 avril 1945, le seul document mentionnant le Général
Delestraint qui ait été trouvé parmi les dossiers
était une note datée du 13 mars 1945 qui mentionnait que
le Général Charles Delestraint devait être ajouté
à la liste des prisonniers « importants » de Dachau.
Ces prisonniers « importants » étaient logés
dans un bunker et disposaient de privilèges particuliers.
Jusqu'alors, le Général avait été un prisonnier
ordinaire du camp et avait logé dans les blocs parmi les autres
prisonniers politiques. Aux dires de tous, Delestraint était
un prisonnier modèle encore très valide malgré
ses 66 ans et parfaitement confiant en la victoire finale. On ne s’explique
pas qu’il ait été exécuté, juste une
semaine avant que les prisonniers « VIP » ne soient évacués
dans le Tyrol Sud, pour leur propre sécurité, le 26 avril
1945.
En
mai 1945, quelques jours après la libération du camp,
la VII° Armée américaine a publié un rapport
officiel basé sur les témoignages de 20 prisonniers du
camp de Dachau. Leurs témoignages attestent que les prisonniers
importants, les otages politiques et religieux de Dachau avaient été
évacué vers le Tyrol avant que le camp ne soit libéré
et que le Général Delestraint ne figurait pas parmi eux.
Dans ce groupe se trouvaient le Révérend Martin Niemöller,
un des fondateurs de l'Église Pénitentielle; Kurt von
Schuschnigg, le Chancelier de l'Autriche avant l'Anschluss; Edouard
Daladier, le Premier ministre français au moment de l'invasion
allemande et Léon Blum, ancien premier ministre français
de confession juive.
Côté
français, Immédiatement après la libération,
il est ordonné au Capitaine Tresnel, officier de liaison français
à la Troisième Armée américaine de mener
une enquête sur le meurtre du Général Delestraint.
Celle-ci n’apportera pas d’avancée significative.
Pendant les premières
procédures du Tribunal Militaire américain à Dachau
en novembre 1945, un de l'accusé, Johann Kick, a avoué
qu’il était responsable de l'enregistrement des prisonniers,
en gardait les dossiers et toutes les notes relatives au constat des
décès, en tant que chef du département politique
et membre de la Gestapo.
Il a affirmé que les exécutions à Dachau pouvaient
seulement être ordonnées par le Sichereit Dienst de Berlin
et que son travail était ensuite de rendre compte au S.D. de
l’effective élimination du prisonnier puis d’informer
les familles du décédé.
Mais dans le cas des détenus « Nacht und Nebel »,
les familles n'étaient pas informées de la mort de leur
proche.
La famille du Général Delestraint n'a donc pas été
averti de sa mort par le S.D, pas plus que par le département
politique de Dachau et encore moins par les américains. La fille
de « Vidal » a appris la mort de son dans un journal le
9 mai 1945 mais elle restera longtemps sans nouvelles des circonstances
de sa disparition. Toutes ces informations n’ont pas permi de
répondre avec précisions aux questions suivantes :
- Pourquoi avoir exécuté le Général à
une date où tout était déjà perdu pour l’Allemagne
?
- Qui a ordonné sa mort et pourquoi ?
- Pourquoi l'ordre d'exécution de Berlin ne fut jamais trouvé
?
- S’agit-il d’un acte isolé gratuit, perpétré
par quelques brutes nazies désespérées et imbibées
d’alcool ?
Dans son article
du 10 novembre 1989, Robert Sheppard donne les détails suivants
sur l'incident qui aurait abouti au meurtre du Général,
le 19 avril 1945 :
- « Au camp
de Dachau, le Général avait l'emploi de « hilfschreiber
» (aide secrétaire) du Bloc 24, car en tant que prisonniers
N.N., il lui était interdit de travailler à l'extérieur
du camp. Moi, j’étais le responsable « cantine »
du Bloc 24, bien qu’en 1945, la cantine du camp n'avait pratiquement
rien à donner aux prisonniers, chaque bloc avait toujours un
représentant, chargé des approvisionnements. Celui-ci
détenait le nom de tous les prisonniers de son bloc. Les internés
recevaient un peu d'argent de camp pour leur travail à l’extérieur
et ils pouvaient l’utiliser uniquement pour acheter des articles
personnels ou des aliments à la cantine. Les familles envoyaient
aussi parfois un peu d’argent. Quand celui-ci parvenait au détenu
(si jamais il lui parvenait), il devaient l’échanger contre
la monnaie de camp. Mais les Prisonniers Nacht und Nebel n’avaient
pas droit à ce traitement. Les gardiens SS du camp devaient faire
un appel des prisonniers N.N. le matin et l’après-midi
pendant que les autres prisonniers travaillaient dans les usines à
l'extérieur du camp. Lors de l'un de ces appel en mars, le garde
SS demanda à chaque prisonnier de donner leur numéro de
bloc, leur matricule et le cas échéant leur fonction dans
le camp. Delestraint, interrogé sur sa fonction dans le camp
répondit « Général de l’Armée
française». Le garde parut surpris, pris des notes, termina
son appel et quitta la place de rapport ».
D’après Sheppard, très peu de temps après
cet incident, des ordres furent reçus de Berlin pour que le Général
Delestraint fut admis au bunker des prisonniers « importants ».
Dans ce bunker, les cellules individuelles étaient équipées
de toilettes et demeuraient ouvertes le jour et les détenus pouvaient
parfois y recevoir de la visite mais celles-ci demeuraient interdites
pour les prisonniers N.N. Ce témoignage est corroboré
en grande partie par Joseph Rovan, un détenu qui a écrit
un livre sur Dachau. A partir de cet instant, les fidèles du
Général craignirent pour sa sécurité. Roger
Linet, un prisonnier communiste, serait allé voir le Général
dans le bloc 24 et lui aurait proposé de se faire admettre au
bloc hôpital sous un prétexte quelconque. Là il
pourrait échangé son matricule dès qu’un
prisonnier français décéderait (cas malheureusement
très fréquent) et serait donc déclaré officiellement
mort.
Il lui resterait ensuite à se faire oublier quelques temps sous
sa fausse identité jusqu’à l’arrivée
des alliés.
Mais « Vidal » voulu assumer son identité et refusa
l’offre.
L’agent
du SOE Sheppard avance que le 19 avril 1945, le secrétaire du
Bloc 24 a reçu la carte de sortie de général Delestraint
mentionnant « Ausgang durch Tot » (sortie pour la mort).
Au lieu d'être transféré du bunker des « VIP
» et évacué, le Général Delestraint
aurait été assassiné à cause de son arrogance
et de son impudence car il rappelait trop souvent son galon de Général
aux autorités allemandes et souhaitait avoir les égards
dus à son rang.
Mais d’autres témoignages avancent aussi que le Général
aurait été admis au bunker des « VIP » en
janvier 1945, ce qui, une nouvelle fois, ne concorde pas. Pourtant Sheppard
est précis sur les activités de Delestraint dans le comité
international du camp. Pour lui, elles coincïdent avec la fin de
l’épidémie de Typhus qui sévit dans le camp
à partir de fin décembre 1944. Le Général,
malade avait été mis en quarantaine au bloc 25 puis était
revenu fin janvier 1945 au Bloc 24 où il aurait repris ses activités.
En résumé,
les nombreux témoignages diffèrent et ne permettent pas
de donner la date précise où le général
fut admis, sur ordre de Berlin au bunker « VIP ». Mais chaque
témoin est sûr que c’était peu de temps après
l’incident de l’appel.
Le 4 avril 1945,
des prisonniers importants, comme Léon Blum et Kurt von Schuschnigg,
furent transférés de Buchenwald vers Dachau. Certains
des prisonniers du bunker furent alors déplacés dans une
annexe.
Cette annexe en bois était l’ancienne maison de passe du
camp et le Général Delestraint y fut installé avec
l'Archevêque Piguet et le Révérend Martin Niemöller,
selon l'Évêque Neuhäusler.
Le 19 avril 1945, après la communion à la fin de la messe,
des SS vinrent chercher le général. Michelet et le Révérend
Martin Niemöller s'attendaient à ce que général
Delestraint les rejoigne pour un massage dans l'infirmerie de camp.
(On a régulièrement permis aux prisonniers importants
du bunker d'avoir un massage pendant qu'un soldat SS les surveillait).
Mais ils ne le revirent pas et entendirent par contre deux coups de
feu. Un livre écrit par le français J. F. Perrette, intitulé
"Le General Delestraint," reprend le témoignage de
Neuhäusler devant le tribunal américain à Dachau.
Dans celui-ci il atteste que le SS-Hauptscharführer Eichberger
aurait reçu un ordre d’exécution, signé par
le SS-Obersturmbanführer Schäfer. Eichberger aurait transmis
l’ordre à son supérieur le SS-Obersturmführer
Wilhelm Ruppert, responsable des éxécutions au camp. A
8h30, le 19 avril, le SS-Oberscharführer Fritz serait venu chercher
le général qui apportait son concours à l’Archevêque
Piguet pour la messe, dans le Bloc 26. Il lui aurait dit de préparer
vite ses affaires pour partir avec un convoi. Il aurait vérifié
l’identité de « Vidal » et lui aurait dit qu’il
allait être libéré. Ruppert par respect pour le
rang du Général aurait même porté lui-même
la valise de celui-ci. Alors qu’ils se dirigeaient vers les bureaux
administratifs du camp, les deux hommes croisèrent alors Johannes
Otto, l’adjoint de Ruppert. L’officier allemand informa
alors son adjoint de l’ordre d’exécution du détenu,
précisant qu’elle devait avoir lieu immédiatement.
Le SS accompagné du Général se joignit alors à
un groupe d’autres prisonniers emmenés par le SS-Unterscharführer
Edgar Stiller. Le groupe a alors pris la direction du crématorium.
Devant celui-ci les attendaient le SS-Hauptscharführer Bongartz.
Ensuite eut lieu l’assassinat et la crémation.
Ce témoignage rejoint celui du prêtre François Goldschnitt
et met en cause une nouvelle fois Bongartz.
Lors de l’enquête du tribunal militaire américain
de Dachau, le nom de Theodor Bongartz a été également
mentionné pendant le témoignage d'Otto Edward Jendrian,
un prisonnier allemand à Dachau, qui a dit avoir vu Bongartz
tirer sur des officiers français dont un Général.
Selon Michelet, le soir du 19 avril, un prisonnier français est
venu pour lui remettre la carte de prisonnier du Général
afin qu’il l’enregistre. C’était la fameuse
carte « Ausgang durch Tod ».
La cause indiquée de la mort était « arrêt
cardiaque » et selon son témoignage, c'était la
cause officielle de décès mentionnée chaque fois
qu’un prisonnier était exécuté par balles
ou pendu.
Que devinrent les présumés coupables ?
Bongartz ne fut pas jugé car il était déjà
mort à cette époque, mais d’autres protagonistes
de cette exécution étaient toujours en vie au moment du
procès. Ils étaient également responsables des
crimes de guerre commis par Bongartz car les charges exactes pesant
contre les accusés lors du procès étaient : «
avoir pris part à une action collective violant les lois et les
usages de guerre régis par la Convention de Genève ».
Friedrich Wilhelm Ruppert, identifié lors du procès par
des témoins répondit de ses crimes, puisqu’il était
un des hommes en charge des exécutions à Dachau. Il fut
reconnu coupable par le tribunal militaire américain et fut pendu
le 29 mai 1946.

Mais certains
témoignages demeurent troublants et font douter du procédé
utilisé pour éliminer le Général.
Lors du Procès Martin Gottfried Weiss qui avait été
chef du camp de Dachau entre septembre 1942 et octobre 1943 affirma
que durant sa présence, il n’y eut pas d’exécution
par balles mais uniquement par pendaison.
A Dachau, on pendait en effet des condamnés aux poutres de charpente
juste face aux fours crématoires (j’ai pu le constater
par moi-même). Enfin l’agent du SOE Johnny Hopper, dans
sa version des faits prétend que le Général Delestraint
aurait été effectivement pendu.

La mémoire.
Le 9 mai 1965, un Musée fut ouvert dans l’ancien camp de
concentration de Dachau. On y trouvait étrangement aucune photo
du Général et aucun renseignement sur la mort d’un
prisonnier pourtant essentiel du camp.
Mais en 1978, un catalogue de documents a été publié
par le comité international de Dachau, pour la vente aux visiteurs
du Musée. Il contenait des photos des œuvres exposées,
des photos et des documents présents dans le musée. Parmi
ceux-ci figuraient des listes mentionnant l’exécution de
31 prisonniers de guerre russes le 22 février 1944, de 90 prisonniers
de guerre russes. Le catalogue indique également que 55 polonais
furent éliminés en novembre 1940 et des milliers de prisonniers
de guerre soviétiques entre fin 1941 et 1942, sans pour autant
préciser de liste nominative. Sur la même page on trouve
quelques renseignements (allant dans le sens du témoignage de
Kientzler) concernant l’exécution du Général
Delestraint et de 11 officiers tchécoslovaques, en avril 1945,
sans date plus précise.
Depuis mai 2003,
une nouvelle exposition a été créée dans
le Musée de Dachau. Une section dans ce nouveau musée
est dédiée aux prisonniers de chaque nation et la partie
réservée aux français inclue bien entendu le parcours
du Général Charles Delestraint. (J’ai visité
le camp et le musée le 13 août 2003).
Dans son village
natal, à 3 kilomètres de chez moi, un square portant le
nom de Charles Delestraint a été créé, juste
à côté de l’église. En son centre,
il est dominé par un monument dédié au Chef de
l’Armée Secrète. Dans une petite rue à 200m
de là, une plaque identifie le lieu où il vît le
jour en 1879.

Le Général
Delestraint a été finalement honoré en France,
bien que tardivement, grâce aux efforts de l’ex agent du
SOE britannique Robert Sheppard. Son nom a été ajouté
à la liste des grands hommes de la France au Panthéon,
le 10 novembre 1989, le lendemain de la chute du mur de Berlin.
Charles Delestraint fut un homme droit pendant toute sa carrière.
Militaire au sens du devoir indiscutable et très croyant, il
fut toujours fidèle à sa devise : « Etre exact ».
Malheureusement pour nous les circonstances précises de sa disparition
sont confuses et on ne saura probablement jamais pour quelles raisons
et sur ordre de qui il fut exécuté, alors que la seconde
guerre mondiale s’achevait.

Décorations attribuées
au Général Delestraint :
- Commandeur de la Légion d'Honneur
- Compagnon de la Libération - décret du 17 novembre 1945
- Croix de Guerre 14-18 avec palme
- Croix de Guerre 39-45
- Croix de Guerre Belge
Les Livres :
De gaulle, la solitude
du combattant, Max Gallo
Le Général Delestraint de J.F. Perrette, Presse de la
cité, 1972
Plaquette commémorative éditée en mars 2010 par
l'ONAC, les ACPG CATM et de l'ANACR de Biache St vaast
Le général Delestraint , le premier chef de l'Armée
secrète, F.Y. Guillin, Plon, 1995
Les sites :
http://www.scrapbookpages.com/natzweiler/History/Delestraint.html
http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/266.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Delestraint
http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichecitoyennete.php?idCitoyen=12&idLang=fr
http://dianamarahenry.com/natzweiler-struthof/GeneralDelstraintatNatzweiler.htm