Un
grand merci au magazine «
Seconde Guerre mondiale »qui nous a
autorisés à mettre en ligne sur HistoQuiz cet article
de Daniel Laurent qui a été publié le 23 septembre
2008 dans le Hors-Série. HistoQuiz
La
création des Einsatzgruppen (groupes d'intervention) marque le
début de la « Solution finale du problème juif ».
Ils dépendaient du Reichssicherheitshauptamt (RSHA)
et étaient composés de membres de la SS ou d’organisations
dépendant d’elle (Gestapo, Kripo, SD, Ordnungspolizei
-police d’ordre- et Waffen-SS), ainsi que d’auxiliaires
locaux.
La mission des
Einsatzgruppen fut essentiellement l’extermination en masse des
Juifs polonais, puis soviétiques.
Premières interventions
Lors
de l'Anschluss et de l'invasion de la Tchécoslovaquie, ils suivent
les troupes allemandes mais leur rôle fut limité dans le
temps et dans l’action, les Einsatzgruppen ayant par exemple été
dissous en Tchécoslovaquie dès l’installation d’un
service de la Gestapo à Prague.
L’agression
contre la Pologne entraîne une première radicalisation.
Quatre
Einsatzgruppen sont constitués en juillet 1939 par Reinhard Heydrich.
Leur mission porte officiellement sur l'arrestation de tous les ennemis
potentiels, de manière « déterminée mais
correcte ». Heydrich et le général Eduard Wagner
s’entendent là-dessus en août 1939.
Mais
loin de se limiter à leur mission officiellement convenue, les
Einsatzgruppen se livrent à des massacres systématiques
de Juifs polonais. Ils s’attirent les critiques d’un général,
Johannes Blaskowitz : « Les sentiments de la troupe envers la
SS et la police oscillent entre la répulsion et la haine. Tous
les soldats sont pris de dégoût et de répugnance
devant les crimes commis en Pologne » [1]. Il semble être
le seul à avoir jugé «inopportun » de livrer
des Juifs aux Einstazgruppen mais adresse un rapport directement à
Hitler qui ne servit à rien. A la fin de la campagne de Pologne,
lors d'un rassemblement d'officiers, le Generalleutnant Mieth déclare
que les formations de police, qui ont pratiqué des exécutions
de masse « sans procédure juridique régulière
[ont] sali l'honneur de la Wehrmacht ».
Ces
« incidents » ne sont clos qu'après un accord entre
von Brauchitsch et Heinrich Himmler, début 1941, accord selon
lequel les « événements locaux de 1939 sont définitivement
clos ». Un accord sera également pris entre l’OKW
et Himmler quant à la « mission » des Einzatzgruppen
pour la future guerre contre l’URSS.
Les
militaires ayant osé protester sont peu nombreux : Canaris, Blaskowitz
et dans une moindre mesure Brauchitsch et Mieth. Ils tentèrent
de manœuvrer Keitel (chef de l’OKW) pour qu’il intervienne
mais cela n’était pas allé loin.
La nazification de la Wehrmacht, fort bien analysée par Omer
Bartov, était en marche dés 1939.
De
septembre 1939 au printemps 1940, les meurtres commis par les Einzatsgrupen
firent entre 50 000 et 60 000 victimes juives.
Planification des futurs massacres
Le
3 mars 1941, Hitler exige du chef d'état-major de la Wehrmacht,
le général Alfred Jodl, que soit examinée l'intégration
des services du Reichsführer SS Heinrich Himmler dans les zones
d'opération de l'armée, ce qui débouche sur d'intenses
négociations au sein de la Wehrmacht, puis entre celle-ci et
la SS. Dès le 5 mars, la Wehrmacht accepte de limiter le rôle
des juridictions militaires aux affaires internes à la troupe
ou aux affaires liées à une menace immédiate contre
l'armée.
En l'absence d'administration militaire, l'arrière du front devient
de ce fait une zone où la SS a les mains libres.
Le
rôle des Einsatzgruppen est clairement mentionné dans des
instructions du chef de l’OKW, Wilhelm Keitel, le 13 mars 1941
:
«
Dans le cadre des opérations de l'armée et dans le but
de préparer l'organisation politique et administrative [des territoires
occupés], le Reichsführer SS assume, au nom du Führer,
la responsabilité des missions spéciales qui résulteront
de la nécessité de mettre fin à l'affrontement
entre deux systèmes politiques opposés. Dans le cadre
de ces missions, le Reichsführer agira en toute indépendance
et sous sa seule responsabilité. »[2]
Ces
instructions sont détaillées dans un accord négocié
entre Reinhard Heydrich, chef du RSHA, via Walter Schellenberg,
et le général Wagner, en date du 26 mars 1941, complété
en mai 1941 : l’armée était tenue d’abandonner
à la SS la police sur les arrières du front, mais également
d’aider les Einsatzgruppen en leur fournissant ravitaillement,
carburant et autre tout en mettant à leur disposition son réseau
de communication.
Déchaînement sanglant à l’Est
« Les tentatives
de nettoyage de la part des éléments anticommunistes ou
antisémites dans les zones qui seront occupées ne doivent
pas être gênées. Au contraire, il faut les encourager,
mais sans laisser de traces, de sorte que ces milices d'autodéfense
ne puissent prétendre plus tard qu'on leur a donné des
ordres ou [fait] des concessions politiques. [...] Pour des raisons
évidentes, de telles actions ne seront possibles que pendant
la phase initiale de l'occupation militaire »
Reinhard Heydrich, 29 juin 1941. [3]
L’Einsatzgruppe
A entre en Lituanie le 23 juin 1941 et encourage immédiatement
des pogroms « spontanés » de la part des Lituaniens
:
les massacres font plusieurs milliers de victimes juives. Un soldat
de la 562e compagnie de boulangers a témoigné avoir vu
« des civils lituaniens frapper un certain nombre de civils avec
différents types d'armes jusqu'à ce qu'ils donnent plus
signe de vie ». D’autres parlent de « la présence
enthousiaste de la population lituanienne (dont beaucoup de femmes avec
des enfants s'installant au premier rang pour la journée) »
[4]
Des tueries ont
également immédiatement lieu en Ukraine. Le NKVD y avait
assassiné environ 20 000 victimes, sans rapport avec les Juifs.
Peu importe, les Einzatzgruppen appellent au pogrom en décidant
que les « judéo-bolchéviques » en étaient
responsables.
A Zloczow, le
Sonderkommando 4b de l' Einsatzgruppe C « se contente d'un rôle
relativement passif consistant à encourager les Ukrainiens »,
ceux-ci «n'ayant aucunement besoin d'être aiguillonnés.
»
Cela fonctionne
parfaitement : « la plupart des Juifs qui ont péri à
Brzezany ce jour-là ont été assassinés à
coup de manches à balai sur lesquels on avait fixé des
clous. Il y avait des rangées de bandits ukrainiens, armés
de gros bâtons. Ils ont forcé ces gens, les Juifs, à
passer entre les deux rangées et les ont massacrés de
sang-froid avec ces bâtons. » [5]
Cela ne fut pas
le cas partout : à Brest-Litovsk, « les Biélorusses
et les Polonais exprimèrent ouvertement leur compassion envers
les victimes juives et leur dégoût des méthodes
barbares employées par les Allemands » ;
A Jitomir (Ukraine), les responsables nazis regrettent : « il
n'a été presque nulle part possible d'amener la population
à prendre des mesures actives contre les Juifs. » [6]
En juillet 1941,
l'Einsatzkommando 9 de l'Einsatzgruppe B se livre à des exécutions
de masse au sein de la population juive de Bialystok, au nord-est de
la Pologne. À la même période, d'autres unités
de l'Einsatzgruppe B exterminent les Juifs en âge de porter les
armes à Minsk, à Vitebsk et à Vilnius, aidés
par des auxiliaires locaux.
C’est ainsi
qu’en juillet, le 45e bataillon de police de réserve extermine
la population juive de Chepetovka, non loin de Kiev, hommes, femme,
vieillards et enfants. Entre le 27 juillet et le 11 août 1941,
deux régiments Waffen-SS, sous la direction de Hermann Fegelein,
massacrent tous les Juifs de la région de Polésie. (1) Celui-là
même qui, ayant épousé en juillet 1944 Gretl Braun,
soeur d’Eva, serait devenu le beau-frère de Hitler si celui-ci
ne l’avait fait éxécuter la veille de son propre
mariage.
Les « moyens »
Les buts sont
partout les mêmes, mais les moyens diffèrent d’une
unité à l’autre.
Certains assassinent
via des pelotons d’exécutions constitués de plusieurs
hommes, comme le Sonderkommando 7a de l'Einsatzgruppe B (Walter Blume)
qui sévit dans la région de Minsk. Si cette méthode
se traduit par une grande consommation de munitions, elle permet de
diluer la responsabilité, chaque tireur ne pouvant déterminer
quelle est la balle qui a tué la victime.
A Ponary, près
de Vilnius, des auxiliaires lituaniens, sous les ordres de l' Einsatzkommando
9a, obligent leurs victimes à se dénuder jusqu'à
la ceinture et à se couvrir le visage de leur chemise avant de
les assassiner, un peloton de dix hommes tirant sur dix Juifs ; ils
utilisent aussi une mitrailleuse légère avant d'achever
les blessés d'une balle dans la tête. C'est également
à la mitrailleuse que sont massacrés, les 27 et 28 août,
23 600 Juifs à Kamenenets-Podolsk, sous les ordres du Höherer
SS und Polizeiführer (HSSPF) Jeckeln.
En Ukraine, les
unités du même Jeckeln forcent les victimes à s'allonger
sur le sol avant de les tuer d'une balle dans la nuque.
Dans certains
cas, les tueurs sont amenés sur place par avion, comme à
Berditchev et Koroliuk, en Ukraine, le 14 septembre 1941.
L'extension des
meurtres de masse aux femmes et aux enfants juifs accroît la brutalité
des bourreaux. Viktors Arajs, chef d'un Sonderkommando composé
d'auxiliaires lettons explique que si ses tueurs jettent les enfants
en l'air avant de leur tirer dessus, ce n'est pas parce qu'ils sont
des gamins farceurs, mais pour éviter de dangereux ricochets
sur le sol.
Ces différences
de méthodes se retrouvent cependant toujours dans le cadre d’un
même schéma de l’horreur. Selon les opérations,
le nombre des victimes varie lui aussi. Les Einsatzkommandos et Sonderkommandos
font parfois plusieurs centaines ou plusieurs milliers de victimes en
quelques jours. Le nombre des victimes augmentera au cours des années
41-42 et atteindra plusieurs dizaines de milliers de victimes au cours
d'une seule opération.
Même les
petits villages sont également visés, aucun Juif ne devant
être épargné.
Récit de
Luba, une Ukrainienne témoin du massacre de la population juive
du village de Senkivishvka en juin 1941
:
« Au bord de la fosse, il y avait un escalier sommaire, en terre.
Les Juifs se déshabillaient, tabassés par les gardes.
Complètement nus, famille après famille, les pères,
les mères et les enfants descendaient calmement les marches et
s'allongeaient, face contre terre, sur les corps de ceux qui venaient
d'être fusillés. Un policier allemand, Humpel, avançait,
debout, marchait sur les morts et assassinait chaque Juif d'une balle
dans la nuque. [...] Régulièrement, il arrêtait
les tirs, remontait, faisait une pause, buvait un petit verre d'alcool
puis redescendait. Une autre famille juive, dénudée, descendait
et s'allongeait dans la fosse. Le massacre a duré une journée
entière. Humpel a tué tous les Juifs du village, seul.
» [8]
Les rafles des
Juifs et leur exécution ont été décrites
par plusieurs témoins. L’ingénieur allemand Hermann
Graebe, directeur de l’agence ukrainienne d’une entreprise
du bâtiment, se trouvait à Rovno le 13 juillet 1942 quand
5000 Juifs furent exterminés. Graebe tenta de sauver ceux de
ses employés qui étaient Juifs, une centaine environ,
en invoquant la difficulté de trouver de la main d’œuvre
qualifiée. Il a suivi toute la nuit le développement des
massacres, protestant auprès des officiers, mais sans succès.
Il en a fait à Nuremberg un témoignage qui bouleversa
la salle :
« Toute
la nuit, ces gens battus, traqués, défilèrent le
long des rues illuminées, des femmes portant des enfants morts
entre leurs bras, des enfants tirant jusqu’au train leurs parents
morts, les traînant par les bras et par les jambes. [...] Je vis
en chemin des douzaines de cadavres des deux sexes et de tous les âges
dans les rues. [...] On entendait sans interruption des hurlements de
femmes et d’enfants, le crépitement des coups de fusils
et le bruit des fouets » [9]
Lorsque les tueurs
estimaient que l’extermination prendrait du temps, ils créèrent
des ghettos pour y entasser les survivants en attendant leur élimination.
Mais dans plusieurs cas, cette création ne fut pas nécessaire,
comme à Kiev : 33 000 Juifs ont été
assassinés en quelques jours, à Babi Yar (Le Ravin des
Grands-Mères) avec l’aide d’unités Wehrmacht
de la 6éme armée qui participèrent aux rafles à
Kiev et fournirent les moyens de transport.
Leur action fut
complétée par des unités formées par les
chefs de la SS et de la Police, par le SD du Gouvernement général
de Pologne et par la Gestapo de Tilsit. C’est le cas à
Memel (plusieurs milliers de victimes), Minsk (2 278), Dniepropetrovsk
(15 000) et Riga.
Plusieurs dirigeants
d’Einsatzgruppen réclamèrent une autre technique
d'extermination, psychologiquement plus supportable. De plus les exécutions
étaient photographiés par des soldats de la Wehrmacht
ou des personnes vivant à proximité. La méthode
de substitution à la fusillade fut l'utilisation de camions,
les « camions S » (voir encadré), provoquant l’empoisonnement
au gaz d'échappement des victimes. Lorsque la décision
fut prise, à la fin de 1941, d'exterminer aussi les Juifs d'Europe
occidentale, le gazage fut employé de préférence
à la fusillade.
Les complices des Einsatzgruppen
La Wehrmacht fut
le premier complice et assista les Einzatzgruppen comme cela avait commencé
dès la Pologne mais à une échelle bien supérieure
en URSS.
Des soldats raflèrent
eux-mêmes les Juifs et participèrent aux massacres. Ainsi,
à Minsk, plusieurs milliers de Juifs furent enfermés par
la Wehrmacht dans un camp, puis livrés à l'Einsatzgruppe
B qui les assassina.
Mais l’exemple
venait de haut. Erich von Manstein, entre autres, émit un ordre
du jour en prenant le commandement de la 11éme armée dans
lequel il déclare que « le système judéo-bolchévique
doit être éradiqué une fois pour toute » et
explique « la nécessité des mesures les plus sévères
contre la juiverie ». [10] En captivité, le Maréchal
Paulus admit que « Les généraux
suivirent Hitler à cette occasion et, en conséquence,
ils se retrouvèrent complètement impliqué dans
les conséquences de sa politique et de sa conduite de la guerre.
» [11]
Le Général Hermann Hoth, qui commandait la 4éme
armée blindée, proclama que « L’annihilation
de ces juifs qui soutiennent le bolchevisme et son organisation de meurtre,
les partisans, est une mesure d’auto-préservation. »
Le plus tristement
célèbre est l’ordre émis par le commandement
de la VIéme Armée, Walther von Reichenau,
en octobre 1941 : « A l'Est, le soldat n'est pas seulement un
homme qui combat selon les règles de l'art de la guerre mais
le porteur de l’idéal national [...]
Les soldats doivent bien connaître la nécessité
de la punition dure mais juste à infliger aux Juifs [... ] Nous
devons faire face aux rebellions et de tout temps celles-ci ont été
inspirées par les Juifs. »
Il y eut aussi
des complices parmi les populations locales bien que la majorité
des assassins fussent des citoyens du Reich.
Heinrich Himmler
donna le 25 juillet 1941 l'ordre de créer des groupes de tueurs
« avec les éléments fiables et anticommunistes parmi
les Ukrainiens, les Lettons, les Estoniens et les Biélorusses
».
Selon les chiffres
de l’Israel’s War Crime Investigation Office, sur les 100
000 personnes qui ont activement participé aux massacres se trouvaient
45 000 Allemands et 8 500 Autrichiens. Mais on décompte aussi
11 000 Ukrainiens,
11 000 Baltes, 7 500 polonais, 9 000 Russes et Biélorusses, et
3 000 européens de l’Ouest.
Macabre comptabilité
Les Einsatzgruppen tenaient une soigneuse comptabilité de leurs
tueries. Le rapport Jäger, chef de l’Einsatzkommando 3, étalé
sur 5 mois, donne une liste de chaque massacre, arrivant à un
total d’environ 137 000 morts et conclut :
« Je peux confirmer aujourd'hui que l'Einsatzkommando 3 a réalisé
son objectif de résoudre le problème juif en Lituanie.
Il n'y a plus de Juifs en Lituanie, mis à part les travailleurs
juifs et leurs familles. »
Après la
guerre, Jäger vivait en Allemagne sous sa véritable identité.
Arrêté en 1959, il se suicida.
Les documents
disponibles, dont le rapport de Himmler à Hitler en décembre
1942, mentionnent près de 900 000 Juifs assassinés (Raul
Hilberg).
Si l’on
tient compte des morts non « enregistrés » et de
ceux qui ont été massacrés par d’autres unités,
l’auteur arrive à un total de 1,4 millions de Juifs. Le
chiffre minimum cité par d’autres sources parle de 1,2
millions.
Une fourchette
de 200 000 êtres humains, à rapprocher de la fourchette
généralement acceptée concernant la totalité
des victimes du judéocide (entre 5 et 6 millions). Malgré
l’obsession germanique de l’archivage, le secret absolu
qui est l’une des caractéristiques du nazisme nous empêche,
63 ans après, de savoir exactement combien de Juifs furent exterminés
par les nazis.
Comment ont-ils pu le faire ?
Une analyse des
effectifs et du nombre des victimes donne l’épouvantable
moyenne d’environ 400 assassinats par tueur. Ces hommes étaient
pour la plupart sains de corps et d'esprit, mis à part qu'ils
buvaient trop, non parce qu'ils avaient honte de ce qu'ils faisaient
mais parce que c’était vraiment un "travail"
écœurant. Beaucoup étaient pères de familles,
la plupart volontaires et n'auraient encouru aucune sanction s'ils avaient
demande à être mutés ailleurs.
Comment ceci fut-il
possible ? Comment une telle perversion de l’âme a-t-elle
été obtenue ? Comment expliquer leur attitude criminelle
et leur absence de remords après la guerre comme le montre les
comptes-rendus des procès qui leurs furent intentés ?
Les motivations
de ces hommes font l'objet par ailleurs d'un débat psycho-psychiatrique
assez polémique dans lequel nous ne nous engagerons pas.
Nous nous contenterons
de constater qu’Adolf Hitler avait parfaitement réussi
dans son entreprise de corruption de l’âme allemande et,
usant et abusant des faiblesses de l’être humain, avait
convaincu ses compatriotes qu’ils faisaient partie de la
« race des seigneurs » et que l’extermination «
du Juif » était parfaitement justifiée.
Conclusion
Le judéocide
est une opération hitlérienne d'ordre à la fois
moral et métaphysique, visant plusieurs objectifs :
- Affûter
le tranchant de la violence aryenne : une « brutalisation »
inouïe, nécessaire selon Hitler pour permettre à
la « race des seigneurs »
de sortir de 2000 ans d’humanisme judéo-chrétien
et d’affirmer sa supériorité.
- Compromettre
toute la nation allemande, non seulement les SS mais aussi la Wehrmacht,
les témoins, tous ceux qui savaient mais ne dirent rien. Hitler
a réussi à transformer en criminels ou en complices la
quasi-totalité de son peuple, pas à pas, par petites touches,
leur faisant habilement mettre le doigt dans un engrenage mortel.
- Mériter
la bienveillance de la Providence dont il est persuadé qu’elle
lui a confié la mission de «sauver» le peuple allemand.
Le remodelage
biologique que le Führer entend mettre en œuvre ne concerne
en effet pas seulement l’extermination des Juifs et l’esclavagisation
des Slaves. Il s’agit aussi de transformer le peuple allemand,
de lui faire prendre conscience de sa
« supériorité » et de lui donner les «moyens»
de l’affirmer sur le terrain par le fer, le feu et le sang, le
tout sans hésitations morales.
Il est donc clair
que ceux qui avancent que tout cela fut « sans utilité
militaire » ou « détournait des moyens ferroviaires
», etc., n’intègrent pas le facteur « Hitler
» dans leurs analyses. Le judéocide fait en effet partie
intégrante de l'effort de guerre tel qu'il est conçu par
le nazisme.
C’est en
quelque sorte « grâce » à ses crimes que le
nazisme a mobilisé contre lui la plus imposante force militaire
de tous les temps et a donc engendré sa propre perte, chaque
cadavre juif étant un élément de sa propre dégénérescence.
Ces victimes n’ont
donc pas été tuées « comme des moutons à
l’abattoir ». Elles sont tombées au champ d’honneur
et ont participé, sans le savoir, à la victoire finale.
Daniel Laurent
Notes :
[1] Guido Knopp,
« Les SS, un avertissement de l'histoire », Paris, Presses
de la Cité, 2006, p. 282
[2] Richard Rhodes, « Extermination : la machine nazie. Einsatzgruppen
à l'Est, 1941-1943 » Paris, Autrement, p.21
[3] R. Rhodes, op.cit., p. 59
[4] Saul Friedländer, « L'Allemagne nazie et les Juifs, 1939-1945
», Paris, Seuil, 2008, p. 290-291
[5] S. Friedländer, op. cit., p. 282
[6] S. Friedländer, op. cit., p. 293
[7] R. Rhodes, op.cit., p. 143
[8] Père Patrick Desbois, « Porteur de mémoires
», Paris, Michel Lafon, 2007, p. 11-12
[9] Jacques Delarue, « Histoire de la Gestapo », Fayard,
1968, p. 433
[10] Antony Beevor, « Stalingrad », de Fallois, 1999, p.
29
[11] A. Beevor, op. cit., p. 29
Autres ouvrages
utilisés :
Omer Bartov, «
L’Armée d’Hitler », Hachette, 1999
Antony Beevor, « Stalingrad », de Fallois, 1999
François Delpla, « Hitler », Grasset, 1999
Jacques Delarue, « Histoire de la Gestapo », Fayard, 1968
Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, Gallimard, 2006
William Shirer, « Le troisième Reich », Stock, 1966
Encarts
La composition
des Einsatzgruppen
Il y avait approximativement
600 à 1200 hommes dans chaque groupe d'intervention, dont un
assez important effectif de personnel de soutien. Les membres «
actifs » des Einsatzgruppen provenaient de différentes
organisations SS.
La majorité des membres appartenait aux Waffen-SS, branche militaire
des SS. Dans le groupe d'intervention A, par exemple, la répartition
des membres actifs était la suivante :
Waffen-SS : 340
Gestapo : 89
SD (service de sécurité) 35
Police de l'ordre : 133
Kripo : 41
Selon Jacques
Delarue, la répartition moyenne pour 1000 hommes était
la suivante :
Waffen-SS : 350
Gestapo : 100
SD : 30 à 35
Police de l’ordre : 130
Kripo : 40 à 50
Auxiliaires recrutés sur place : 80
Plus environ 300 « Non actifs » (Chauffeurs, mécaniciens,
interprètes, radios, télétypistes, bureaucrates,
dont 10 à 15 femmes par groupe car il y eut des femmes dans les
Einsatzgruppen)
Organisation générale (juin 1941)
Quatre Einsatzgruppen
sont constitués en préparation de l'invasion de l'Union
Soviétique. Affectés aux arrières d'un groupe d'armée,
ils sont divisés en Einsatzkommandos et en Sonderkommandos.
Einsatzgruppe
A ( Sonderkommandos 1a et1 b, Einsatzkommandos 2 et 3)
groupe d'armée nord (Lituanie, Lettonie, Estonie et Nord de la
Russie)
Commandeurs :
SS-Brigadeführer Dr. Walter Stahlecker (22 juin 1941 - 23 mars
1942)
SS-Brigadeführer Heinz Jost (23 mars 1942 - 15 juin 1942)
SS-Oberführer Dr. Hubert Achamer-Pifrader (15 juin 1942 - 5 septembre
1943)
SS-Gruppenführer Friedrich Panzinger (5 septembre 1943 - 6 mai
1944)
SS-Brigadeführer Dr. Wilhelm Fuchs (6 mai 1944 - 17 octobre 1944)
Einsatzgruppe
B ( Sonderkommandos 7a et 7 b, Einatzkommandos 8 et 9)
groupe d'armée centre (Est de la Pologne et Biélorussie)
SS-Brigadeführer Artur Nebe (jusqu'en octobre 1941) puis Erich
Naumann
Einsatzgruppe
C (Sonderkommandos 4 a et 4 b, Einsatzkommandos 5 et 6)
groupe d'armée sud (centre et nord de l'Ukraine)
SS-Gruppenführer Dr. Otto Rasch (jusqu'en octobre 1941) puis Max
Thomas.
Einsatzgruppe
D ( Sonderkommandos 10 a et 10 b, Einsatzkommandos 11a, 11b et 12) :11e
armée (Bessarabie, sud de l'Ukraine, Crimée et Caucase)
SS-Gruppenführer Otto Ohlendorf (jusqu'en juin 1942) puis Bierkamp.
L’effectif
total se situe donc entre 4 et 5000 hommes. Sachant qu’au moins
30% d’entre eux ne participaient pas aux massacres et qu’ils
ont assassiné environ 1,2 millions de Juifs, 400 meurtres ont
été commis en moyenne par les membres « actifs».
Les camions S
Fin août
1941, le Reichführer-SS Heinrich Himmler en tournée d’inspection
à Minsk, voulut assister à l’exécution de
prisonniers juifs.
Comme cela arrivait
fréquemment, des victimes grièvement blessées,
dont des femmes, furent jetées dans la fosse avec les cadavres
et continuaient à gémir alors que d’autres cadavres
commençaient à les recouvrir.
Au vu de ce sinistre
spectacle, Himmler…s’évanouit.
De retour à Berlin, il ordonna que des recherches soient menées
pour mettre au point une manière plus « propre »
d’assassiner les Juifs.
Il ne s’agissait bien évidemment pas de pitié vis-à-vis
des victimes, mais de désir de faciliter le « travail »
des tueurs et leur éviter des « traumatismes écœurants
». Le cauchemar climatisé, en quelque sorte.
Le SS-Untersturmführer
docteur Becker fut chargé de l’affaire et mis au point
un prototype de camion de gazage : Les gaz d’échappement
du moteur étaient dirigés vers l’intérieur
de la cabine étanche. Le monoxyde de carbone pouvait ainsi tuer
par asphyxie les occupants en dix à quinze minutes.
Le responsable
des transports du RHSA, le SS-Obersturmbannführer Rauff, fut chargé
de la réalisation et passa commande aux établissements
Saurer, honorables fabricants de camions. La commande, qui aurait pu
être refusée sous de multiples prétextes, fut acceptée,
signe, s’il en était besoin, que les industriels allemands
jouaient le jeu nazi et avaient été complètement
subjugués par Hitler.
Les camions S
firent partie de la dotation des Einzatzgruppen au printemps 1942 mais
ils ne résolurent pas le
« problème » des exécutions. D’une part
la discrétion espérée fit long feu, les victimes
ayant rapidement compris qu’il ne s’agissait pas de simples
camions de transport. D’autre part, les difficultés de
réglage des soupapes généraient des morts par asphyxie
pénible, pas des paisibles évanouissements comme prévus.
Les exécutants étaient donc obligés de décharger
à l’arrivée des corps qui étaient non seulement
juifs mais aussi rigidement enchevêtrés par des agonies
douloureuses et couverts d’excréments.
D’où
une préférence pour la chambre à gaz fixe, lorsqu’elle
fut au point, et l’institution des Sonderkommandos composés
de Juifs.
Les
procès d’après guerre Cet encart est une exclusivité HistoQuiz. Celui-ci devait
paraître dans le hors-série mais n'a pas été
publié faute de place.
23
membres des Einsatzgruppen furent jugés à Nuremberg de
juillet 1947 au 10 avril 1948 par un tribunal américain.
Dans les attendus du jugement, le Juge Michael Musmanno ecrivit :
«
On lit et relit ces récits dont nous ne pouvons donner ici que
quelques extraits et cependant subsiste l'instinct de ne pas croire,
de contester, de douter. Il est psychologiquement moins difficile d'accepter
les plus étranges histoires de phénomènes surnaturels,
comme, par exemple, de l'eau qui coule vers le sommet d'une colline
et des arbres dont les racines atteignent le ciel, que de prendre pour
argent comptant ces récits qui vont au-delà des frontières
de la cruauté humaine et de la sauvagerie. Seul le fait que les
rapports dont nous avons cité des extraits proviennent de la
plume d'hommes appartenant aux organisations mises en accusation permet
à l'esprit humain d'être sûr que tout ceci s'est
réellement passé. Les rapports et les dépositions
des prévenus eux-mêmes confirment ce qui autrement serait
écarté comme le produit d'une imagination malade. »
(Jugement du Tribunal, p. 50) [1]
Les
peines prononcées et surtout la façon dont elles furent
appliquées laissent rêveur :
SS-Gruppenführer
Otto Ohlendorf - peine de mort, exécuté le 7 juin 1951
SS-Brigadeführer Erich Naumann - peine de mort, exécuté
le 7 juin 1951
SS-Standartenführer Paul Blobel - peine de mort, exécuté
le 7 juin 1951
SS-Obersturmbannführer Werner Braune - peine de mort, exécuté
le 7 juin 1951
SS-Sturmbannführer Waldemar Klingelhöfer - peine de mort,
commuée en 1951 à la prison à vie
SS-Obersturmbannführer Adolf Ott - peine de mort, commuée
en 1951 en peine de prison à vie, libéré le 9 mai
1958
SS-Obersturmbannführer Ernst Biberstein - peine de mort, commuée
en 1951 en peine de prison à vie, libéré le 9 mai
1958
SS-Standartenführer Martin Sandberger - peine de mort, commuée
en 1951 en peine de prison à vie, libéré le 9 mai
1958
SS-Obersturmbannführer Walter Hänsch - peine de mort, commuée
en 1951 en 15 ans de prison
SS-Obersturmbannführer Eduard Strauch - peine de mort, extradé
en Belgique, mort à l'hôpital
SS-Standartenführer Walter Blume - peine de mort, commuée
en 1951 en 25 ans de prison
SS-Standartenführer Eugen Steimle - peine de mort, commuée
en 1951 en 20 ans de prison
SS-Standartenführer Willy Seibert - peine de mort, commuée
en 1951 en 15 ans de prison
SS-Obersturmführer Heinz Schubert - peine de mort, commuée
en 1951 en 10 ans de prison
SS-Sturmbannführer Emil Haussmann - Suicide le 31 juillet 1947
SS-Brigadeführer Heinz Jost - prison à vie, peine commuée
en 1951 à 10 ans de prison
SS-Obersturmbannführer Gustav Adolf Nosske - prison à vie,
peine commuée en 1951 à 10 ans de prison
SS-Brigadeführer Erwin Schulz - 20 ans de prison, commuée
en 1951 en 15 ans de prison
SS-Sturmbannführer Waldemar von Radetzky - 20 ans de prison, libéré
en 1951
SS-Brigadeführer Franz Six - 20 ans de prison, commuée en
1951 en 15 ans de prison
SS-Sturmbannführer Lothar Fendler - 10 ans de prison, commuée
en 1951 en 8 ans de prison
SS-Hauptsturmführer Felix Rühl - 10 ans de prison, libéré
en 1951
SS-Untersturmführer Mathias Graf - 3 ans de prison, peine purgée
SS-Brigadeführer Otto Rasch - évacué du procès
le 5 février 1948 pour des raisons médicales
Sur
les 14 peines de morts prononcées par le tribunal, 4 furent mises
en application, les 10 autres commuées en peines de prison et
de nombreux condamnés furent libérés en 1951.
[1]
Cité dans un essai de Yale F. Edeiken, traduit et adapté
en français par Gilles Karmasyn pour phdn.org.
Merci
aux membres des forums Le monde en guerre
et Croix de fer qui m’ont
aidé à établir l’ordre de « bataille
» des Einsatzgruppen.