Dès
la prise du pouvoir en janvier 1933, Adolf Hitler entreprend de diriger
son peuple vers sa «Mission», c’est à dire
vers sa nazification destinée à le transformer en peuple
brutal et amoral comme il sied à la «race des Seigneurs»
qui doit oublier 2000 ans d’humanisme judéo-chrétien
pour pouvoir dominer l’Europe.
Le remodelage
biologique que le Führer entend mettre en œuvre ne concerne
en effet pas seulement l’extermination des Juifs et la mise en
esclavage des Slaves. Il s’agit aussi de transformer le peuple
allemand, de lui faire prendre conscience de sa «supériorité»
et de lui donner les «moyens» de l’affirmer sur le
terrain par le fer, le feu et le sang, le tout sans hésitations
morales.
Les premiers concernés
sont, bien entendu, les militaires qu’il lui faut subjuguer en
prévision des guerres d’extermination à venir. Il
y réussira avec son habituelle maestria quand il s’agit
de manipuler les âmes et les cœurs.
Un terreau fertile
:
La
caste des officiers de la Reichswehr descend en droite ligne des junkers
prussiens du Kaiser Guillaume II et, avant lui, de Bismarck. Ces hommes
estiment être la «perle» du pays, ce sont eux qui,
par la guerre, ont permis l'unification allemande. Ils ne sont pas là
pour le pays mais le pays est là pour eux. Sûr d'eux, arrogants,
antidémocrates, antirépublicains, ils regrettent la dynastie
des Hohenzolern qui avait fait d'eux l’élite du pays.
Ils
ne se sentent pas responsables de la défaite de 1918. Ils ont
rapidement oublié le fait que ce soit l’armée qui
a demandé au Kaiser de déposer les armes et ils suivent
allègrement la légende du "coup de couteau dans le
dos" (Coup soi-disant porté par les civils démocrates
de la République de Weimar) et de la "trahison" menant
au "Diktat de Versailles".
Les
junkers prussiens sont affectés par le racisme anti slave depuis
toujours. Les Chevaliers Teutoniques esclavagiseaient les Slaves des
terres conquises plus de 500 - 600 ans avant eux, ils ont des racines
! C'est donc sans peine qu'ils y rajouteront l’antisémitisme,
latent dans toute l'Europe à l’époque, surtout de
l'Allemagne à la Russie en passant par la Pologne.
Réduite
à 100 000 hommes avec peu ou pas de matériel lourd, la
Reichswehr est une sorte d’armée croupion.
Ils rêvent tous de lui redonner le brillant et la puissance d'avant
1914. C'est même une obsession et ils réussiront à
convaincre la pourtant timide République de Weimar de commencer
une légère mais bien réelle campagne de réarmement
clandestin.
La
discipline, le respect des ordres et des serments d’allégeance
jusqu’à la mort si nécessaire sont depuis des siècles
une tradition fortement implantée aussi bien chez les militaires
que chez les civils en Allemagne.
Pour
être complet, il est nécessaire de rappeler que l’armée
allemande a des traditions au niveau violences et crimes de guerre.
De nombreux exemples, qui débordent du cadre de cet article,
peuvent être cités en 1870-71 et 1914-18. Le nazisme va
les démultiplier et y rajouter les crimes contre l’humanité.
L’habileté
Nazie :
Hitler a besoin
de l’Armée pour prendre le pouvoir ainsi que d’autres
institutions comme par exemple la grande industrie. L’échec
du putsch à Munich en 1923 le lui a montré.Il
soutient donc la théorie du "coup de poignard dans le dos".
Il clame qu'il veut annuler le Traité de Versailles et réarmer.
Voilà un langage que les militaires aiment.
Lorsqu'il prend
le pouvoir en 1933, les premiers gestes d'Hitler sont contre ceux-là
même qui risquent d’empêcher les militaires de regagner
leurs privilèges :
Les communistes, les socialistes et les syndicalistes.
Le 21 mars 1933,
à l'occasion de la séance d'inauguration du nouveau Reichstag
élu le 5 mars, Hitler et Goebbels montent une grandiose cérémonie
qui est en fait une géniale manipulation : L'inauguration se
tient en effet dans l’église de la garnison de Postdam,
le grand autel du prussianisme, la ou se trouvent les restes de Frédéric
le Grand. De plus, le 21 mars est l'anniversaire du jour ou Bismarck
a créé le IIème Reich, unifiant l'Allemagne pour
la première fois. Cette manie du choix soigneux des dates anniversaires
se retrouvera tout au long de l’aventure nazie.
Retransmise en
direct à la radio, la cérémonie accueille certes
les députés mais aussi toutes les vieilles gloires de
l’armée du Kaiser, tous en grand uniforme, ainsi que l’Etat-major
au grand complet. L’ancien Kronprinz était présent,
ainsi que le Feldmarschall von Mackensen, revêtu de l’imposante
tenue et du casque des Hussards à tête de mort.
Les ombres de Frédéric le Grand, du Chancelier de fer
et du Kaiser planaient au-dessus de l’assemblée. Hindenburg,
en entrant, s'incline devant le siège, vide, du Kaiser. Hitler
rend un vibrant hommage au vieux Maréchal-Président et
à
« l'union [qui] a été célébrée
entre l'ancienne grandeur et la force nouvelle ». Hindenburg,
ainsi que de nombreux militaires, en a presque les larmes aux yeux.
Une autre manipulation
hitlérienne de haut niveau suivit : La nuit des longs couteaux.
En assassinant Roehm et quelques autres cadres de la SA en juin 1934,
Hitler rassure l’armée et s'engage, apparemment, à
lui laisser l’exclusivité des armes. Les officiers jubilent
(Ils ne sentent pas venir la Waffen-SS). Ils jubilent tant qu'ils font
semblant de ne pas remarquer que les généraux von Schleicher
et von Bredow, qui avaient eu le malheur de s'opposer à Hitler
avant la prise du pouvoir, sont également assassinés.
Personne ne proteste au sujet de ces meurtres de collègues. Le
petit doigt est dans l'engrenage nazi. L’armée pense avoir
ainsi renforcé son indépendance et son exclusivité
des armes alors que, en fait, elle vient de se compromettre en acceptant
que soient assassinés des Allemands, dont des militaires, sans
aucun jugement et ce pour des raisons uniquement politiques.
Intervient ensuite
l'affaire Blomberg-von Fritsh. Les 2 généraux les plus
hauts placés dans la structure de commandement sont victimes
d'accusations personnelles graves (Homosexualité pour l'un, avoir
épousé une ex-prostituée pour l'autre).
Les dossiers sortent tout droit des officines de la Gestapo. Ces deux
officiers sont traînés dans la boue et forcés de
démissionner. Hitler peut alors enlever tout pouvoir à
l’état major en créant l'OKW (Oberkommando der Whermacht),
s'en octroyant le commandement suprême et en y installant des
hommes qui ne le contrediront pas (Keitel, Jodl). Personne ne proteste
vraiment. L'accusation étant cousue de fil blanc, les 2 officiers
supérieurs seront plus tard réhabilités, mais pas
réintégrés ! La, c'est toute la main dans l'engrenage.
Artiste manipulateur, maître dans les techniques de compromission
de ses subordonnés, Hitler fera passer, petit à petit,
toute la Wehrmacht dans l'engrenage de la nazification.
La
prise en main :
La
prise en main du Reich et des Allemands par les nazis est souvent expliquée
uniquement par la violence et la terreur. Mais cette explication unique
est fausse. La séduction, la persuasion, la conviction furent
des éléments extrêmement importants de cette prise
en main.
Il
convient de rappeler que, entre 1933 et 1944, la «formation»
accordée aux membres de la Jeunesse Hitlérienne (Hitlerjugend,
HJ) avait formaté de nombreux jeunes soldats tout à fait
prêts à abonder dans ce sens. Dés décembre
1938, l’appartenance à la HJ devient obligatoire pour tous
les jeunes allemands à partir de l’âge de 14 ans,
mais nombreux étaient ceux qui étaient “Pimpf”,
l’antichambre de la HJ, à 10 ans, date a laquelle les jeunes
allemands prêtaient serment à Hitler:
« En présence de cet étendard de sang, qui représente
notre Führer, je jure de consacrer toute mon énergie et
toute ma force au sauveur de notre pays, Adolf Hitler. Je suis prêt
à donner ma vie pour lui, et je m’en remets a Dieu »
(1).
Le
travail de Baldur von Schirach, chef des jeunesses hitlériennes,
a largement porté ses fruits, préparant les jeunes esprits
allemands à la guerre totale et l’obéissance absolue
au Führer, mais ceci mériterait une étude particulière.
Immédiatement
après la mort d'Hindenburg, le 2 août 1934, Hitler institue
le serment au drapeau du soldat, le Fahneneid, par lequel celui-ci s'engageait
à lui obéir en tout : «Je jure par Dieu une
obéissance inconditionnelle à Adolf Hitler, Führer
de la nation et du peuple germaniques, chef suprême des forces
armées, et suis prêt comme un brave soldat à risquer
ma vie à tout instant pour ce serment».
La
propagande nazie réussit, entre autre, le tour de force de convaincre
la quasi-totalité des soldats du front de l'Est que, au lieu
de se considérer comme les agresseurs racistes qu'ils étaient,
ils faisaient partie des «défenseurs de l'Occident»,
rempart de la civilisation contre l’invasion des «hordes
asiatiques judéo-bolchéviques», Staline ayant «préparé
l'envahissement de l'Ouest». De nombreuses lettres que des sous-officiers
et soldats de la Wehrmacht envoyaient à leurs familles (mentionnées
dans livre d'Omer Bartov cité en source) montrent bien qu'ils
croyaient en la légende de la «guerre préventive
», qu'ils étaient au courant (voire étaient participants)
à des massacres de civils (Juifs et Slaves) et les approuvaient.
Dès
avril 1941, la Wehrmacht diffusa des ordres en préparation de
Barbarossa. Les états-majors concevaient l’invasion de
l’URSS comme une guerre idéologique et un combat racial.
Ces ordres furent distribués à l’ensemble de la
Wehrmacht, précisant clairement cet aspect vital du combat et
sa dimension idéologique, demandant aux soldats de les appliquer
sans réserve :
«La
guerre contre la Russie est une partie essentielle dans le combat pour
l’existence du peuple allemand […], la défense contre
le bolchevisme judaïque […] chaque situation de combat doit
être menée avec une volonté de fer jusqu’à
l’anéantissement total et sans pitié de l’ennemi.
Il n’y a en particulier pas de merci pour les tenants du système
actuel russo-bolchevique. »
Ces
instructions furent en fait une campagne de préparation psychologique
des soldats à la violence totale.
Les avertissements concernant les attaques dans le dos de soldats russes
feignant de se rendre, les groupes de partisans, les sabotages potentiels,
y compris par empoisonnement des puits ou le risque potentiel des gaz
de combat générèrent des craintes chez les soldats
et déformèrent leur vision de la guerre, justifiant ainsi
l’extraordinaire violence qui fut présente sur tous les
fronts dès le début de l’invasion. Tous les soldats
de l’Armée rouge dépassés par l’avance
de la Wehrmacht furent considérés comme Partisans. Les
masses de prisonniers de guerre furent ceux qui se rendirent suite aux
grands mouvements d’encerclement. Pour ce qui concerne les petits
groupes (jusqu’à 20 ou 30 hommes), la Wehrmacht les considérait
comme des partisans et les fusillait. Le prétexte des Partisans
servit également à justifier des fusillades de civils
juifs.
Il
est intéressant de citer ici un tract clandestin, écrit
par un groupe de soldats et diffusé comme étant une consigne
officielle aux permissionnaires de la Wehrmacht, qu’Antony Beevor
nous livre dans son Stalingrad (2) car il est significatif de l’ambiance
qui régnait sur le front de l’Est :
«Vous
devez vous rappeler que vous arrivez dans un pays national-socialiste
ou les conditions de vie sont très différentes de celles
auxquelles vous avez fini par vous habituer. Vous devez montrer du tact
envers les habitants, adopter leurs usages et vous abstenir de traits
de comportement que vous en êtes venus à affectionner.
Vivres
:
N'arrachez pas systématiquement les parquets, car, ici, on met
les pommes de terre ailleurs.
Couvre-feu
:
Si vous oubliez votre clé, essayez de vous servir de cet instrument
arrondi qui s’appelle une poignée de porte. N'utilisez
la grenade qu'en cas d’extrême urgence.
Défense
contre les partisans :
Il n'est pas nécessaire de demander le mot de passe aux civils
ni d'ouvrir le feu si la réponse n'est pas satisfaisante.
Défense
contre les animaux :
Les chiens piégés sont une spécialité de
l’union soviétique. Dans le pire des cas, les chiens allemands
mordent, mais ils n'explosent pas. Tirer sur tous les chiens qu'on voit
est peut-être à recommander en Union Soviétique,
mais cela risque de faire une mauvaise impression ici.
Relations
avec la population locale :
En Allemagne, toute personne habillée en femme n'est pas nécessairement
un partisan. Mais malgré cela elle peut être dangereuse
pour un permissionnaire.
Remarque
d'ordre général :
Quand vous serez en permission dans la Mère Patrie, prenez garde
à ne pas trop parler de l'existence paradisiaque que vous menez
en Union Soviétique au cas où tout le monde serait tenté
d'y venir et de gâcher un confort idyllique»
Il
ne faut pas oublier que les premiers crimes de guerre de la Wehrmacht
furent commis dés 1939-1940, en Pologne d’abord, puis en
Belgique (Massacre de 111 civils par des unités du Infanterie-Regiment
333 de la 225 Division d’Infanterie de la Heer a Vinkt, près
de Gand, les 27 et 28 mai 1940) et, enfin, en France (Exécutions
sommaires de prisonniers de guerre, comme les Tirailleurs Sénégalais,
notamment le long de la Somme par les troupes de Rommel, et au nord
de Lyon en juin 1940).
Mais
il est clair que les horreurs connurent leur apogée sur le front
de l’Est : «AUCUN soldat qui a séjourné ou
combattu sur l'Ost front ne pouvait ignorer cette odeur, cette ambiance
de mort et d'atrocité permanente qui planait sur les campagnes,
autour des gares et des voies ferrées, dans les villages désertés
ou brûlés » (3)
L’exemple venait
de haut :
Wilhem Keitel
: A Nuremberg, il avoue avoir été au courant du traitement
infligé aux prisonniers de guerre et des exactions commises contre
des civils auxquelles la Wehrmacht a participé. Sa défense
tente de relativiser sa position.
Il a connu les ordres criminels mais ne les aurait pas donnés.
Les procureurs démontreront le contraire.
Alfred
Jodl : Dans son commentaire écrit sur l’acte d’accusation,
il parle, entre autres, d’un «mélange d’accusations
justifiées et de propagande politique ».
Et ces «accusations justifiées » devinrent des preuves
contre lui pendant le procès.Erich von Manstein : (Nous citons
ici François Delpla qui regrette que certains généraux
de la Heer ne se soient pas retrouvés à Nuremberg)
«Erich von Manstein, froid exécutant des besognes antisémites
déléguées par les SS à l’armée
pendant cette dernière campagne [Est] : Sa comparution aurait
présenté l'avantage politique subsidiaire qu’il
s'agissait d'un stratège réputé […] et que
sa présence parmi les criminels, suivie d’une lourde condamnation,
aurait donné à réfléchir aux écoliers
de toutes nationalités qui, aujourd’hui encore et peut-être
plus que jamais, admirent ses campagnes sans soupçonner ses forfaits.
» (4)
Erich von Manstein émit, entre autres, un ordre du jour en prenant
le commandement de la 11éme armée en octobre 1941, dans
lequel il déclare que «Le système judéo-bolchévique
doit être éradiqué une fois pour toute […]
la nécessité des mesures les plus sévères
contre la juiverie».
En
captivité après Stalingrad, le Maréchal Friedrich
Paulus admit que «Les généraux suivirent Hitler
à cette occasion et, en conséquence, ils se retrouvèrent
complètement impliqué dans les conséquences de
sa politique et de sa conduite de la guerre. » Le
Général Hermann Hoth, qui commandait la 4éme armée
blindée, proclama que «L’annihilation de ces juifs
qui soutiennent le bolchevisme et son organisation de meurtre, les partisans,
est une mesure d’auto-préservation. »
Le
plus tristement célèbre est probablement l’ordre
émis par le commandement de la VIème Armée, Walther
von Reichenau, en octobre 1941 :
«A l'Est, le soldat n'est pas seulement un homme combattant
conformément aux lois de la guerre mais aussi l’impitoyable
porteur d’un idéal national [...] Le soldat doit être
pleinement conscient de la nécessité de représailles
sévères mais justes a l’encontre de la sous-race
juive. »
Les
autres généraux :
Heinrich Himmler a conduit une série de conférences destinées
aux cadres du Reich :
- 6 octobre 1943, à Posen, devant les Reichsleiters et Gauleiters.
- 16 décembre 1943 à Weimar, devant les Amiraux.
- 5 mai 1944 à Sonthofen, devant les Généraux
- Puis encore le 24 mai et le 21 juin 1944, devant d'autres officiers
supérieurs.
Un extrait de son discours :
«Je désire vous parler maintenant, dans le cadre de
ce cercle des plus restreints, d'une question que vous avez acceptée
depuis longtemps comme allant de soi mais qui est devenue pour moi le
plus lourd de ma vie :
La question des Juifs (...) Nous sommes, voyez-vous, confrontés
à la question : «Que faites-vous des femmes et des enfants
? » Et j'ai décidé, ici aussi, d'adopter une solution
sans équivoque. Car je ne trouvais pas justifié d’anéantir,
c'est à dire de tuer ou de faire tuer, les hommes tout en laissant
grandir les enfants et les petits-enfants»
Ces
conférences étaient en fait destinées, en révélant
officiellement l’étendue de la Solution finale, à
lier les cadres, y compris les militaires, au régime nazi en
leur signifiant ainsi qu’ils étaient complices. A notre
connaissance, il ne s’en suivit aucune démission.
Au
sujet des autres officiers, citons le quatrième de couverture
du livre d’Omer Bartov :
«Confrontée
à des conditions de guerre épouvantables, l’armée
allemande a connu la déroute des la fin 1941.
Elle a alors été contrainte d’enrôler sans
cesse de nouvelles recrues ; elle est devenue une armée de masse.
La nation entière fut mobilisée. Au moins un membre de
chaque famille connut le front de l'Est.
Une nouvelle image de l’héroïsme s'imposa, dans laquelle
la puissance matérielle était remplacée par une
conception brutale fanatique du combat. Les pires actes de barbarie
furent autorisés par le pouvoir militaire, et les officiers et
les troupes se rallièrent à la vision nazie de la guerre,
faisant de l'Allemagne le rempart contre le bolchevisme.
La Wehrmacht, armée de conscrits, devint alors l’armée
d'Hitler. L’idéologie avait conquis la nation. »
Dans
son livre, Omer Bartov démontre clairement que la sévère
discipline de l’armée (15 000 fusillés pour lâcheté,
désertion, refus de combattre) avait pour contrepoids l’absence
totale de répression pour les exactions, viols, meurtre de civils,
pillages, etc. qui, au contraire, étaient devenus la norme à
tous les échelons hiérarchiques.
Les
«monstres sacrés » :
Le
Feldmarschall Erwin Rommel est considéré comme un personnage
emblématique de
la Wehrmacht : Officier charismatique et stratège hors pair qui
est obligé de se suicider sur l’ordre d’Hitler en
raison de son implication dans le complot du 20 juillet 1944. S’il
ne s’agit pas de contester les (indéniables) qualités
militaires de l’intéressé, la façon dont
il est habituellement présenté met toujours mal à
l’aise. En effet, on a souvent l’impression que le fait
qu’il ait participé (et encore, d’assez loin semble-t-il)
à la conjuration est présentée comme un fait qui
démontre la bonne foi de la «pauvre Wehrmacht » abusée
par Hitler.
Or, jusqu’aux premières défaites sérieuses
encourues sur le terrain, ni Rommel ni la Wehrmacht n’ont contesté
la politique de Hitler. Les seuls points de différent portaient
uniquement sur des questions stratégiques ou tactiques, jamais
– répétons-le, jamais – sur le fond de la
politique d’Hitler. Aucun
de ses aspects n’a, à notre connaissance, jamais été
mis en cause par la Wehrmacht. Rommel a réellement commencé
à douter d’Hitler quand ce dernier lui a imposé,
notamment en Afrique du Nord, des décisions tactiquement désastreuses.
L’opposition ne s’est toutefois manifestée qu’au
plan tactique ou stratégique, pas au plan politique.
En avril 1937, le lieutenant-colonel Rommel, instructeur à Potsdam,
prend en charge la formation militaire des Jeunesses Hitlériennes
à qui sont distribué une réédition à
400 000 exemplaires de son Infanterie greift an (L'infanterie attaque)
sur instruction personnelle de Hitler. En octobre 1938, promu colonel,
il assume quelques temps le commandement de la garde d’Hitler.
Il avait de plus soit participé aux conférences d’Himmler
citées plus haut, soit en a reçu rapport de l’un
de ses collègues, donc le présenter comme blanc comme
neige est sans doute loin de la vérité.
Une
très récente biographie de Benoît Lemay à
son sujet mérite que son quatrième de couverture soit
cité ici :
"Plus
de soixante ans après sa mort, il personnifie encore le soldat
allemand exemplaire, qui inspire le respect aussi bien pour sa formidable
maîtrise de l'art de la guerre que pour s'être montré
réservé avec le régime nazi. Or, à la lumière
des archives et notamment des correspondances privées de Rommel,
comme des rapports officiels, Benoît Lemay remet en question cette
image apologétique. En réalité, Rommel a été
un partisan convaincu du Führer qui lui est resté fidèle
jusqu'à la fin et dont la gloire est redevable en partie à
la propagande nazie qui en a fait un " dieu de la guerre "
issu du peuple. Mais cela n'aurait pas suffi à faire du "
Renard du désert " un héros capable d'inspirer Hollywood
: l'adversaire britannique a contribué presque autant à
la fabrication du " mythe Rommel ". C'est l'histoire paradoxale
d'un soldat d'exception au service d'un régime criminel que raconte
ce livre."
Le
général Dietrich von Choltitz a fort intelligemment bâti
sa réputation de «sauveur de Paris» en se rendant
au général Leclerc le 25 août 1944 sans avoir détruit
l’essentiel de la capitale comme, a-t-il prétendu, Hitler
le lui avait demandé.
Cela lui a permis d’être libéré des 1947 et
de faire oublier les sinistres forfaits qu’il a perpétré
sur le Front de l’Est comme durant le siège de Sébastopol
en 1942, ville martyre qu’il transforma en champ de ruines peuplées
des cadavres des victimes d’exécutions sommaires et de
délibérés bombardements de bateaux évacuants
des blessés ou des civils, sans parler des prisonniers de guerre
soviétiques utilisés de force à des taches logistiques
contre leur propre camp. Il eut d’ailleurs la même attitude
impitoyable en rasant Rotterdam en 1940.
Aide
apportée par la Wehrmacht aux Einzatzgruppen :
Les
Einzatzgruppen, ces unités SS-SD qui ont massacré plus
d’un million de Juifs et autres «asociaux inférieurs
» dès 1940 à l’Est, n'ont pas agi seuls. Ils
furent aidés.
Le
rôle des Einzatzgruppen est clairement mentionné dans des
instructions du chef de l’OKW, Wilhelm Keitel, le 13 mars 1941
:
«Dans
le cadre des opérations de l'armée et dans le but de préparer
l'organisation politique et administrative [des territoires occupés],
le Reichsführer SS assume, au nom du Führer, la responsabilité
des missions spéciales qui résulteront de la nécessité
de mettre fin à l'affrontement entre deux systèmes politiques
opposés. Dans le cadre de ces missions, le Reichsführer
agira en toute indépendance et sous sa seule responsabilité.»
(5)
Ces
instructions sont détaillées dans un accord négocié
entre Reinhard Heydrich, chef du RSHA, via Walter Schellenberg, et le
général Wagner, en date du 26 mars 1941, complété
en mai 1941 : l’armée était tenue d’abandonner
à la SS la police sur les arrières du front, mais également
d’aider les Einzatzgruppen en leur fournissant ravitaillement,
carburant et autre tout en mettant à leur disposition son réseau
de communication.
Des
soldats raflèrent eux-mêmes les Juifs et participèrent
aux massacres. Ainsi, à Minsk, plusieurs milliers de Juifs furentenfermés
par la Wehrmacht dans un camp, puis livrés à l'Einzatzgruppen
B qui les assassina.
Lorsque les tueurs estimaient que l’extermination prendrait du
temps, ils créèrent des ghettos pour y entasser les survivants
en attendant leur élimination.
Mais dans plusieurs cas, cette création ne fut pas nécessaire,
comme à Kiev : 33 000 Juifs ont été assassinés
en quelques jours, à Babi Yar (Le Ravin des grands-mères)
avec l’aide d’unités Wehrmacht de la 6éme
armée qui participèrent aux rafles à Kiev et fournirent
les moyens de transport.
François
Delpla parle des Einzatzgruppen comme étant «l’instrument
des nazis pour achever de damner la Wehrmacht tout en mettant le génocide
sur orbite» (6) Définition de choc, mais ô combien
juste !»
Trop peu, trop tard
:
Le
complot militaire du 20 juillet 1944, souvent présenté
comme un acte de résistance antinazie, est né au moment
où il apparaissait qu’Hitler menait l’Allemagne à
la catastrophe. Mais encore une fois, il semble que sa motivation essentielle
n’était pas une opposition au système mis en place
par les nazis, mais aux conséquences qu’allait entraîner
pour l’Allemagne une défaite devenue inéluctable.
Quant à Rommel lui-même, son degré d’implication
dans le complot est une question à laquelle il n’existe
toujours pas de réponse finale et définitive.
Les
conjurés regroupés autour de Claus von Stauffenberg envisageaient
en effet d’éliminer les nazis du pouvoir, obtenir une paix
séparée avec les Occidentaux et regrouper toutes leurs
forces vers l’Est, peut-être avec l’aide occidentale.
Le fait que les Alliés aient exigé une reddition sans
condition n’avait pas été vraiment intégré,
ni d’ailleurs le fait que leurs compromissions passées
avec le nazisme ne faisaient pas d’eux des interlocuteurs acceptables.
En fait, tous ces officiers supérieurs de la Wehrmacht apparaissent
un peu comme des enfants qui font la fête parce que quelqu’un,
en l’occurrence Adolf Hitler, leur a offert de beaux jouets tout
neufs et l’occasion de s’en servir sans limites. Ce n’est
que lorsqu’ils voient où ce jeu les mène que soudain
certains réagissent. Un peu tard...
Il
est également frappant de constater que la Wehrmacht dans son
ensemble n’a absolument pas soutenu la tentative de coup d’état,
bien au contraire, la grande majorité des soldats ont été
scandalisés. Les conjurés étaient tous des officiers
d’Etat-major ou ayant combattu à l’Ouest ou en Afrique,
aucun officier du front de l’Est parmi eux alors que c’est
eux qui étaient les mieux placés en 1944 pour percevoir
l’étendue criminelle de la guerre nazie et son inéluctable
issue.
Un extrait du témoignage à Nuremberg de Madame
Vaillant-Couturier :
Monsieur
DUBOST (Procureur français du tribunal) : - Quels étaient
les gardiens de ces camps ?
Madame
VAILLANT-COUTURIER (Résistante communiste déportée)
: - Au début, c'était seulement des SS. A partir du printemps
1944, les jeunes SS, dans beaucoup de compagnies, ont été
remplacés par des vieux de la Wehrmacht ;
à Auschwitz et également à Ravensbrück, nous
avons été gardées par des soldats de la Wehrmacht,
à partir de 1944.
Monsieur
DUBOST : - Vous portez témoignage, par conséquent, que
sur l'ordre du Grand Etat-major (O.K.W) allemand, l'Armée allemande
a été mêlée aux atrocités que vous
nous avez décrites ?
Madame
VAILLANT-COUTURIER : - Evidemment, puisque nous étions gardées
également par la Wehrmacht, cela ne pouvait pas être sans
ordres.
Monsieur
DUBOST : - Votre témoignage est formel, et il atteint à
la fois les SS et l'Armée ?
Madame
VAILLANT-COUTURIER : - Absolument (7)
Quelques
conclusions :
L’exposition
itinérante «Guerre d’anéantissement, les crimes
de la Wehrmacht 1941-1944 » dans les années 1990 en Allemagne
a fait hurler les associations d'anciens combattants, mais continua
sa route avec la bénédiction de la Faculté !
La
Wehrmacht (Surtout la Heer) fut dans son ensemble coupable :
-
De crimes de guerre, pour en avoir perpétré à tous
les niveaux hiérarchiques et sur tous les fronts.
-
De crimes contre l’humanité soit pour en avoir perpétré
(Rafles de Juifs, aide aux Einzatzgruppen, etc.), soit pour en avoir
été complice passif.
Dans
ces conditions, chercher un officier de la Heer qui n’aie rien
sur la conscience, c’est chercher une aiguille dans une botte
de foin.
Il
n'existe pas, à notre connaissance, d'autres dictatures ayant
réussi à un si haut niveau à convaincre son peuple.
Il y avait de nombreux dissidents et opposants à Staline, même
s’ils étaient silencieux ou au Goulag. A la chute de Saddam
Hussein, de nombreux Irakiens ont explosé bruyamment de joie
dans les rues. Mussolini a été exécuté par
des Italiens et la résistance italienne était active.
En Allemagne, rien de tout cela. Des 1933, les chefs de l’opposition
étaient en camp de concentration ou en exil et la résistance
fut extrêmement modeste, ce qui ne fait que mettre en lumière
les mérites des rares opposants actifs comme Sophie Scholl et
ses camarades de la Rose Blanche. Il n’est pas question ici de
considérer tous les soldats allemands comme des criminels mais
de montrer l’extrême spécificité du nazisme,
qui ne peut être comparé à rien.
Amnésie
collective après-guerre :
Le
foisonnement de Mémoires-gruyère (avec des trous) d’anciens
officiers de la Heer qui furent publiés après la guerre
ne générèrent guère de critiques. Cette
mansuétude est due à la guerre froide. Les Allemands étaient
en "première ligne", il fallait rapidement dédouaner
un maximum de gens, surtout les anciens de la Wehrmacht qui pouvaient
être appelés à reprendre du service en cas de coup
dur sur le rideau de fer et avaient un avantage sur tous les autres
membres de l'OTAN : l’expérience de la guerre contre l’Armée
Rouge. La plupart des anciens officiers de la Wehrmacht ont repris du
service dans la Bundeswehr ou ont travaillé pour la CIA.
Mais
il est grand temps, aujourd’hui, de l’admettre.
L’une
des forces de l’Hitlérisme est exposée ici : Sa
prodigieuse capacité à compromettre les exécutants.
Il est très difficile de reprocher à des hommes enfermés
dans une machine à tuer et à compromettre aux rouages
très bien huilés de n'avoir rien fait ou presque. Ils
sont tombés, comme tant d’autres, dans les pièges
de la ruse nazie.
Mais
qu'ils se soient tous ou presque auto-blanchis après la guerre,
faisant porter le poids de leurs crimes sur des absents et sur certaines
unités SS et W-SS, est fort regrettable. Leurs aveux étaient
pourtant possibles et pratiquement sans risques des 1955. Cela aurait
présenté les avantages, entre autres, de permettre de
comprendre plus rapidement comment fonctionnait le nazisme et d’éviter
d'avoir à polémiquer sur le sujet plus de 60 ans après.
Notes
:
1 – William SCHIRER, Le IIIème Reich, Stock, 1966, p. 335.
2 - Antony BEEVOR, Stalingrad, de Fallois, 1999, p.58
3 – Cédric MAS, lettre à l’auteur, septembre
2008
4 - François DELPLA, Nuremberg face à l’histoire,
l’Archipel, 2006, p.69
5 - Richard RHODES, Extermination : la machine nazie. Einzatzgruppen
à l'Est, 1941-1943, Paris, Autrement, p.21
6 – François DELPLA, Magazine Seconde Guerre Mondiale,
Editions Astrolabe, Hors Série septembre 2008, éditorial
7 - Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER, témoignage à Nuremberg,
28 janvier 1946, Annales du procès de Nuremberg, Vol. 6.
Sources :
Benoît LEMAY, Rommel, Perrin, 2009
Jean-Luc LELEU, La Waffen-SS, Perrin, 2007.
François DELPLA, Nuremberg face à l'histoire, L’Archipel,
2006 et Hitler, Grasset, 1999.
Omer BARTOV, l’Armée d'Hitler, Hachette Littératures,
1999.
Antony BEEVOR, Stalingrad, de Fallois, 1999.
Heinrich HIMMLER, Discours secrets, Gallimard, 1978.
William SCHIRER, Le IIIème Reich, Stock, 1966.
Source
: Alain
ADAM et Daniel LAURENT, Du 5 au 8 juin 1940, un tournant ?
Source
: Traduction par Laurent Huchard d’un article en italien de Wikipédia,
qu’il en soit ici remercié.
Un grand
merci au magazine «Champs de Bataille» qui nous a autorisés
à mettre en ligne sur HistoQuiz cet article de Daniel Laurent
qui a été publié en avril 2009 (numéro 27)
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