La
tête de pont désormais sécurisée et les Argentins
n’ayant tenté aucune réelle percée contre les
forces britanniques, le 21 mai marqua le début de la consolidation
des positions. Les attaques aériennes ennemies se poursuivaient
quotidiennement mais étaient plus axées sur les navires
de la Task Force (Groupe de combat tactique) que sur les zones de débarquement.
Le 26 mai l’état-major argentin déplaça la
plus grande partie du 12ème RI de la zone du Mont Kent –
qui surplombait l’approche vers Stanley- vers la garnison de Goose
Green (GG).
C’est une équipe d’observation des SAS qui reporta
ce mouvement d’autant plus inquiétant que GG était
la garnison la plus proche à partir laquelle une contre-attaque
pouvait être menée.
Les pertes de matériels des jours précédents incluaient
un convoi d’hélicoptères lourds qui devaient être
utilisés au transport et au soutien des troupes à proximité
des défenses argentines autour de Stanley.
Ce plan ayant fait long feu, un nouveau système devait être
conçu pour déplacer les troupes et les ravitailler.
Ces développement poussèrent l’état-major (basé
au Royaume-Uni) à déclarer au Brigadier Thompson que "quelque
chose [devait] être fait".
Compte tenu de la menace que représentait la garnison renforcée
de GG, Thompson ressortit de ses cartons un ancien plan pour le 2ème
Paras qui prévoyait un raid sur la zone Darwin/GG en tant que diversion.
Le 45ème Commandos et le 3ème Paras devaient partir à
pied vers la zone Mont Kent/Estancia, tandis que le 42ème Commandos
serait héliporté directement sur le Mont Kent désormais
inoccupé.
Le 40ème Commandos, quant à lui, devait rester en arrière
pour protéger la base logistique contre toute attaque.
Il était espéré que le raid convaincrait les Argentins
d’une manœuvre britannique vers le Sud laissant ainsi les troupes
les plus au Nord exposées, protégeant en fonction du succès
du raid le flanc droit britannique et cachant à l’ennemi
le véritable objectif du plan : encercler Stanley.
Les circonstances voulurent que ce fut le 2ème Paras qui fut choisi
car ses positions, le Sud des Montagnes Sussex étaient les plus
proches de l’objectif.
Le plan original prévoyait une manœuvre familière aux
Royal Marines mais beaucoup moins à l’Armée : "Raid
et retour à la maison".
La nouvelle donne voulait désormais la capture de l’aérodrome
et des villes, GG étant la 2ème plus grande colonie des
Falklands, mais sans ressources supplémentaires malgré l’évidence
de leur besoin.
De plus, les renseignements communiqués au populaire et charismatique
commandant du 2ème Paras, le lieutenant-colonel H. Jones, étaient
confus et incomplets, ne parvenant même pas à situer précisément
les positions des nouveaux renforts.
Mais le problème principal de Jones était ailleurs : ses
hommes allaient devoir rejoindre GG à pied.
Même avec chaque homme portant 60 Kg d’équipement plus
ses armes, le 2ème Paras devait laisser derrière lui la
plupart de ses mortiers lourds et de son équipement de soutien.
Les hélicoptères étaient rares et recherchés,
le terrain ne convenait pas aux véhicules blindés Volvo
en dotation et une opération amphibie fut rejetée, les plages
étant solidement gardées, probablement minées et
les larges bans de varech peu appropriés aux barges de débarquement.
Trois unités d’appui-feu lourd furent détachées
auprès du 2ème Paras : la moitié de la 8ème
Battery (3 canons de 105 et son personnel héliportés à
proximité de Camilla Creek House,
à 18 Km de GG et point de départ des paras), le HMS Arrow
et ses canons de 4.5 pouces, et les nouvellement arrivés Harrier
GR3 si le temps le permettait (les autres unités aériennes
étaient entièrement dévolues à un rôle
de défense aérienne contre les bombardiers argentins).
C’est l’Air Force argentine qui prit la 1ère le contrôle
de GG. Elle y établit une base pour ses Pucaras, occupée
par des troupes du Génie et des canons anti-aérien de 20
et 35mm (commandés par le Air Commodore Pedroza).
Ces troupes étaient elles-mêmes soutenues par la Cie C du
25ème RI du lieutenant Stephan dont l’équipement incluait
de l’artillerie de campagne (3 canons de 105mm).
Les derniers arrivés, en date du 26 mai, représentaient
la plus grande partie du 12ème RI du lieutenant-colonel Italo Piaggi,
là aussi avec son artillerie de campagne.
Contrairement aux professionnels du 25ème, les membres du 12ème
RI étaient en grande majorité des conscrits sans grande
expérience.
Bizarrement, le commandant de ces troupes regroupées sous le nom
de Task Force Mercedes, le brigadier-général Omar Parada,
avait son PC à Stanley, ce qui fit que lorsque les combats débutèrent,
il ne put communiquer avec elles que par radio.
Le 2ème Paras, sous-équipé, devait donc faire face
à 3 contre 1 à des forces mieux armées, en positions
défensive, dont ils ignoraient la situation exacte !
En fait de raid c’est la 1ère grande bataille terrestre du
conflit qui allait avoir lieu.
Le 26 mai le 2ème Paras abandonna ses positions au 42ème
Commandos.
Les 13 Km de terrain rocailleux et accidenté menant à Camilla
Creek House furent une véritable torture pour les hommes et leurs
60 Kg d’équipement.
Les 105 mm argentins firent parfois feu mais très à gauche
et tous arrivèrent à Camilla Creek House aux petites heures
du matin du 27.
A l’aube, 2 sections de reconnaissance furent envoyées pour
détecter les positions avancées de l’ennemi et en
repérèrent 3 nouvelles, dont celle de Darwin Hill.
Un observateur de l’Air Force partit avec une des sections permit
de lancer une attaque aérienne contre les collines qui surplombaient
GG.
Bien qu’il fut considéré comme dangereux de faire
plusieurs passages sur une même cible les pilotes firent 2 passes.
A la troisième le chef d’escadron Iverson fut abattu par
2 obus de 35mm.
Il put s’éjecter à temps, suffisamment loin des positions
ennemies pour être récupéré par la Royal Navy
2 jours plus tard.
Peu de temps après, les sections de reconnaissance furent repérées
et se replièrent sous le feu des mitrailleuses longue portée
argentines.
Sur le chemin du retour ils capturèrent un Land-Rover civil qui
contenait une patrouille de reconnaissance ennemie qui leur révéla
les positions qui leur manquaient tant.
Après avoir passé la journée à se préparer,
les compagnies d’attaque se dirigèrent vers leurs bases de
départ, au Nord de l’isthme de GG, à 23h.
Deux mortiers furent mis en batterie à Camilla Creek, les 105 mm
étaient près et le HMS Arrow croisait non loin pour apporter
sa couverture.
A 2h30 du matin le 28 mai toutes les unités étaient prêtes.
Les compagnies B et D se trouvaient à l’Ouest de l’Etang
de Burntside, la compagnie A à l’Est et la C (plusieurs patrouilles
de reconnaissance réunies) surplombait la pointe Nord-Ouest de
l’isthme en couverture.
Tout était prêt pour l’assaut.
La Cie A du major Dair Farrar-Hockley se mit immédiatement en mouvement
vers Burntside House, suspectée d’être un poste avancé
ennemi.
Le HMS Arrow fut mis à contribution et bombarda la maison qui fut
immédiatement après prise d’assaut.
Les seuls occupants, heureusement saufs, étaient 4 civils.
Les Argentins avait battu en retraite peu de temps avant afin de prévenir
la garnison principale de l’arrivée des Britanniques. A 4h30
le PC Tactique (PCT) de Jones suivit la compagnie A vers l’Est de
l’isthme, en direction de Coronation Point, vide d’ennemi.
Une simple patrouille y fut laissée en couverture et les hommes
de Farrar-Hockley se dirigèrent vers Darwin pensant avoir largement
pénétré les lignes argentines.
Une demi-heure après le départ de la Cie A, la B du major
John Crosland se mit en marche suivie de la D du major Phillip Neame.
La Cie D devait passer à travers la B une fois que celle-ci aurait
sécurisé ses 1ers objectifs.
Les 2 Cies furent rapidement obligées de changer le plan initial
après que la B ait dépassé sans s’en rendre
compte une position argentine qui s’en prit par la suite à
la D. La Cie B s’assura rapidement de son 1er objectif, Burntside
Hill, sans déplorer aucune perte.
Sous un feu de plus en plus nourri les 2 Cies se dirigèrent vers
Coronation Point, le 1er objectif de D, qu’elles sécurisèrent
à 5h.
Beaucoup de terrain avait été gagné, mais beaucoup
moins vite que ne l’espérait Jones.
L’aube se lèverait à 7h30.
Le principe même de l’attaque ne devait laisser aucun répit
aux Argentins pour les empêcher de comprendre ce qui se passait
et de se regrouper.
Le feu croissant des positions ennemies commençait à sérieusement
ralentir l’avance des paras dont les pertes augmentaient.
L’initiative, facteur primordial de tout assaut d’infanterie
risquait de changer de main.
En longeant la baie la Cie A fut attaquée par des positions solidement
défendues situées sur 2 petites collines, si petites qu’elle
n’apparaissaient même pas sur les cartes d’état-major.
Elles avaient bien été repérées lors des reconnaissances
de la veille mais furent oubliées lors du pointage des cartes.
La Cie A fut fixée plus de 2h30 dans un petit ravin rempli d’ajoncs,
incapable de franchir le terrain à découvert devant les
positions ennemies.
La Cie A était alors mélangée avec le PCT de "H"
Jones qui prit les choses en main.
Plusieurs tentatives de positionnement sur la colline se soldèrent
par un échec.
A 10h Jones décida de mener lui-même la charge de la 1ère
colline d’un mouvement flanquant.
Ce faisant, il s’exposa aux tirs de la 2ième colline, désormais
dans son dos et sur sa droite.
Le sergent Barry Norman lui hurla de faire attention à ses arrières
mais Jones fut abattu dans le dos, à quelques mètres de
la tranchée qu’il chargeait.
Norman courut récupérer le corps de son commandant qui mourut
quelques minutes plus tard sans prononcer un mot.
Il reçut la Victoria Cross à titre posthume.
La mort de leur chef si apprécié "reboosta" les
hommes pourtant épuisés.
Vitesse et agressivité devinrent le nouvel ordre du jour.
Le major Chris Keeble était désormais en charge des paras
et se trouvait confronté à une situation pour le moins difficile.
Bien que les britanniques ne le sachent pas à cette heure, 80 hommes
du 12ème RI étaient héliportés pour renforcer
la garnison de GG.
Plus grave encore les canons de 20 et 35mm à cadence de tir rapide
et obus explosifs tiraient désormais directement sur les paras.
Keeble changea l’axe d’attaque et confia à Farrar-Hockley
le soin de régler le sort de Darwin Hill.
Pendant ce temps la Cie B était fixée par des Argentins
retranchés dans les ruines de Boca House, son 2ème objectif.
Keeble décida de concentrer l’attaque sur la partie Ouest
de l’isthme.
Il place la Cie D à l’extrême droite de Boca House
et ils rampèrent le long de la plage pour se mettre en position.
La Cie B utilisa des missiles anti-tank Milan contre Boca House, usage
non prévu mais fortement efficace. La Cie D arrosa largement les
ruines en couverture et finalement les Argentins se rendirent. Une vingtaine
d’entre eux furent faits prisonniers.
12 Argentins avaient été tués, les autres avaient
fui en direction de GG. Les paras avaient maintenant l’espace nécessaire
pour manœuvrer.
La Cie D reçut l’ordre de foncer droit vers le terrain qui
surplombait l’aérodrome alors que la Cie B devait partir
plein Sud et prendre GG à revers.
Keeble comptait encercler totalement l’aérodrome, ce qu’il
fit mais une poche de résistance subsistait.
Sur Darwin Hill le vent tournait pour les Argentins.
La 2ème section de la Cie A progressait lentement mais sûrement
sur la gauche pendant que le PCT et une partie de la 3ème section
profitait de la diversion pour occuper de meilleures positions. Le feu
des mitrailleuses était désormais directement dirigé
sur les tranchées ennemies.
Le sergent Ted Barrett et la caporal David Abols se distinguèrent
en faisant exploser en un tir direct le bunker de la tranchée d’où
étaient partis les tirs qui avaient tué Jones au lance-fusées
de 66mm. La position clef de la défense argentine n’existait
plus. Abols reçut la Distinguished Conduct Medal et Barrett la
Military Medal pour leur action décisive.
Darwin Hill se rendit. 18 Argentins avaient été tués,
74 furent capturés, dont la moitié de blessés.
La prise en tenaille de GG du major Keeble était maintenant complète.
La Cie C, jusque-là positionnée en appui-feu reçut
l’ordre de dépasser la Cie A et prendre la tête.
La Cie A détacha une section à la C qui se dirigea droit
vers GG. La Cie fut repérée le long de Darwin Ridge et matraquée
par l’artillerie ennemie qui lui causa de sérieux dommages.
Les capitaines Paul Farrar et Colin Connor, en charge des sections de
reconnaissance firent sortir les hommes de leurs abris et les firent se
ruer en avant, évitant ainsi le plus gros des tirs argentins et
continuant leur avance.
Lors de sa progression depuis Boca House, la Cie D se trouva face à
un champs de mines, si bien que ses lignes finirent par chevaucher celles
de la C.
Les 2 compagnies firent face ensemble aux Argentins retranchés
dans les premiers bâtiments de la colonie, qu’elles savaient
vides de civils.
Un nouvel événement vint contrarier l’avance des paras.
Il fut rapporté qu’un drapeau blanc flottait au-dessus de
la principale position argentine de l’aérodrome.
Le chef de la 12ème section de la Cie D, le lieutenant Jim Barry
se porta volontaire pour aller vérifier.
Accompagné du caporal-chef Paul Sullivan et du caporal Nigel Smith,
il s’approcha de la position quand une mitrailleuse britannique
ouvrit le feu, pensant le couvrir.
Une autre position argentine, pas celle agitant un drapeau blanc, répliqua
aussitôt, tuant les 3 hommes instantanément, en blessant
plusieurs autres.
Il n’y eut pas de reddition et la position fut réduite 30mn
plus tard. Les Cies C et D furent pris sous un feu provenant de l’école
et de certains magasins. Ils détruisirent le bâtiment au
M79, à la grenade et à la mitrailleuse légère.
C’est alors que les forces aériennes des deux parties entrèrent
en action. 2 Aermacchis MB-339 et 2 Puccaras attaquèrent à
la roquette et à la mitrailleuse. Le second Puccara lâcha
même un bombe au napalm qui manqua les paras.
L’avion fut touché par des tirs provenant du sol. Le pilote
s’éjecta et fut capturé par les hommes de la Cie D.
Un des Aermacchis fut lui aussi détruit.
A 19h25, 3 Harriers s’en prirent aux positions d’artillerie
argentine.
Les 2 premiers attaquèrent avec des bombes à fragmentation
BL755, le dernier avec des roquettes. L’un des canons de 35mm fut
totalement pulvérisé. Menée à seulement 200m
des positions avancées britannique, ce raid fut hautement salué
pour sa terrible précision et l’impact certain qu’il
causa au moral des Argentins par sa violence.
Le crépuscule tombait et Keeble préféra assurer ses
positions. Après le passage des Harrier il découvrit qu’il
y avait 114 civils dans GG et qu’il ne pouvait se permettre d’écraser
la cité pour contraindre l’ennemi à se rendre.
Il ne savait pas alors que la Cie B du 12ème RI venait d’être
héliportée à 1Km5 au Sud de GG, juste derrière
les lignes de la Cie B.
Ils étaient censés briser l’encerclement des paras
et permettre au restant de la garnison de se désengager.
Deux Argentins parvinrent à entrer en contact avec eux.
Mis au courant de la situation, leur commandant décida de venir
renforcer la garnison.
Ils y parvinrent sous couvert de l’obscurité, pour trouver
des hommes démoralisés et au bout du rouleau.
Les Britanniques aussi devaient recevoir des renforts, la Cie J du 42ème
Commandos du major Mike Norman, héliportés à la pointe
Nord de l’isthme.
Ils ne devaient cependant arriver qu’une fois la bataille terminée.
Keeble envoya 2 prisonniers dans la colonie avec une note qui disait simplement
"Rendez-vous ou acceptez-en les conséquences".
Les négociations durèrent toute la nuit mais la promesse
d’une nouvelle intervention aérienne et d’une démonstration
de force au petit matin mit en évidence le côté désespéré
de la situation pour les Argentins.
Ceux-ci, quoique plus nombreux et largement pourvus en munitions étaient
effectivement encerclés par les Britanniques, sans possibilité
de manœuvre. Leurs options se résumaient à une reddition
ou à une sanglante et inutile bataille au milieu des civils.
Le commodore Pedroza et le lieutenant-colonel Piaggi décidèrent
de se rendre et rencontrèrent le major Keeble à 9h30.
Les Argentins furent estomaqués de voir à combien peu d’hommes
ils se rendaient.
1 500 Argentins furent faits prisonniers durant la bataille de Goose Green
et 45 furent tués.
De leur côté les Britanniques virent 15 hommes du 2ème
Paras, un des Royal Engineers et un pilote des Royal Marines tués
et 37 paras blessés.
Aucun civil ne fut blessé.
La bataille de Goose Green fut la plus importante, non seulement en termes
d’hommes impliqués mais aussi en termes de territoire à
couvrir.
Plusieurs observateurs firent remarquer qu’à son commencement
l’opération n’était en rien assurée du
succès. Même le colonel Jones ne lui avait accordé
que 75% de chances de réussite.
La qualité de ses hommes ; leur habileté aux armes et leur
esprit de conquête, la qualité de ses chefs ; le leadership
du colonel Jones et le flair tactique du major Keeble expliquent pour
partie cette victoire ajoutée à la légende du 2ème
Paras.