La guerre anglo-boer
La bataille de Modderfontein : 17 septembre 1901


Jan Smuts

 

 

Le 17 septembre 1901 les Britanniques soupçonnaient le Commando Smuts d’être à bout de souffle, ayant durement souffert après avoir traversé l’Orange River et pénétré dans la colonie du Cap à Khiba Drift 2 semaines plus tôt. Les Sud-Africains avaient été attaqués par les Basotho près de la mission Wittenberg, perdant un tué et trois prisonniers avant de plonger vers le sud.
Le 11, Smuts lui-même avait échappé de peu à la capture avec 2 compagnons lors d’une reconnaissance à Moordenaar’s Poort près de Dordrecht.
Pour couronner le tout, la météo était particulièrement exécrable ces derniers jours, même pour cette région pourtant habituée aux tempêtes à cette époque de l’année.

Le commando avait ensuite traversé la voie ferrée secondaire près d’Halseton et la principale en provenance d’East London à Puffer’s Kraal avant de d’obliquer sud-ouest, le long de la Klaas Smits River. Ce faisant, il s’était dirigé vers la ferme Rhenosterhoek, croisant ainsi le chemin de la « colonne volante » du lieutenant-colonel G. F. Gorringe (Gorringe’s flying column, unité de reconnaissance levée en Afrique du Sud) qui s’y rendait elle aussi. Aucune des parties ne souhaitant s’affronter dans des conditions aussi épouvantables, Smuts s’était contenté de s’enfoncer dans le « veld » (savane sud-africaine) pour y passer une nouvelle nuit misérable.

Le lendemain, le 15, le commando se rassembla à Waterval, une grande ferme qui regroupait plusieurs familles. Smuts ne souhaitait pas y passer la nuit du fait de la présence de la colonne Gorringe dans les parages. Les hommes se remirent donc en route, sous des trombes d’eau. Après un arrêt à Groothaasfontein, une ferme abandonnée, ils se dirigèrent vers la ferme Hondeklip au nord-ouest avant de trouver fourrage et nourriture à la ferme De Hoek.

Le 17 septembre, après que le commando eût passé la ferme Rietfontein, une section de reconnaissance commandée par Denys Reitz arriva à la ferme d’Ewan’s Hope où elle fut prévenue par le jeune Jan Coetzer que les Britanniques campaient dans la vallée adjacente. Il avait vu une patrouille du 17th Lancers s’approcher de la ferme plus tôt dans la matinée. Ne remarquant rien de particulier les Lancers avaient rejoint leur campement à Modderfontein.

Le campement en question était mal situé pour organiser une défense digne de ce nom. Le régiment avait débarqué du train à Stormberg 2 jours plus tôt. Sa mission était de garder les passages de la vallée, Buysrivierpoort et Elandsrivierpoort. Du fait des pluies torrentielles de la semaine précédente, les eaux de l’Eland River avaient gonflé et étaient devenues difficiles à traverser. La ferme d’Hendrik Van Heerden, un peu en arrière des 2 passes offrait une possibilité d’installation à l’abri pour la troupe et un mess des officiers convenable. C’est donc là que s’installa l’escadron « C ». Mr. Van Heerden et sa femme furent confinés dans leur chambre pour empêcher toute tentative d’avertir Smuts ou tout autre ennemi situé dans le voisinage.

La veille le commandant des Lancers, le lieutenant-colonel Douglas Haig, qui deviendra célèbre lors du 1er conflit mondial, était venu en personne à Modderfontein et avait déjeuné avec le capitaine Sandeman, commandant de l’escadron. Dans une lettre écrite à sa sœur Henrietta quelques jours plus tard Haig décrira Sandeman comme un officier des plus compétents.
L’aube du 17 septembre était noyée dans le brouillard. Sandeman envoya 2 patrouilles reconnaître les passes. Selon toute vraisemblance, chaque patrouille devait comporter une trentaine d’hommes, commandés par un lieutenant. La première traversa Busyrivierspoort pour déboucher dans la plaine près d’Ewan’s Hope où elle espérait retrouver les hommes du lieutenant-colonel Gorringe. Ce dernier se trouvait en effet à proximité, ayant passé la nuit à la ferme Hondeklip. Mais, après avoir capturé la veille quelques Boers en quête de nourriture aux environs d’Hondeklip, il s’était remis en route en direction de Tarkastad pour s’y réapprovisionner et discuter avec Haig. Sur la plaine, les hommes pouvaient voir à une distance considérable jusqu’à la prochaine ligne de collines (les Toorberg) ainsi qu’au nord et au sud. Ni Boers ni Britanniques ne furent aperçus par qui que ce soit.
La seconde patrouille fit de même à Elandsrivierspoort, sans plus de résultat. Les 2 sections laissèrent chacune un piquet de garde sur place avant de s’en retourner vers le camp.

C’est la patrouille de Busyrivierspoort que le jeune Jan Coetzer signala à Reitz et ses hommes. Smuts avait prévu de passer à travers Lelik Poortjie pour atteindre la prochaine ligne de collines à Klein Mosterts Hoek. En apprenant la présence des Lancers à Modderfontein il décida d’attaquer immédiatement. Ses hommes avaient désespérément besoin de chevaux frais, de munitions et de nourriture.

Le commandant Ben Bouwer entraîna avec lui un groupe d’hommes et s’engagea dans la passe. Le commandant Jaap Van Deventer fit de même, un peu en arrière. Smuts s’occupa alors d’organiser le reste de la troupe, y compris ceux qui n’avaient pas de chevaux. La matinée approchait alors de sa fin.

Les Boers furent repérés par le piquet de garde qui envoya immédiatement un cavalier avertir le capitaine Sandeman. Il était alors entre 12h00 et 12h30. Sandeman envoya immédiatement une section sous les ordres du 2nd lieutenant Russel pour voir ce qu’il en était.

Les hommes de Russel aperçurent ceux de Ben Bouwer au-delà d’un ruisseau, au milieu d’un bosquet d’épineux. Les Boers levèrent leur fusil. Russel, persuadé d’être en présence de la colonne de Gorringe (1) leur cria « Ne tirez pas ! Nous sommes du 17th Lancers ! ».
Les Boers ouvrirent le feu en réponse, causant plusieurs pertes parmi les Britanniques. Comprenant son erreur, Russel envoya quelques hommes au campement pendant qu’il tentait une manœuvre par l’ouest. Les soldats envoyés à Modderdfontein furent retardés par une porte d’enclos, souffrant à cette occasion de nouvelles pertes.

Bouwer et Reitz se lancèrent à la poursuite de la patrouille en retraite en longeant le flanc Est de la vallée. Parfaitement maîtres du terrain, ils parvinrent à devanccer les fuyards et à repérer, cachés parmi les rochers un canon de montagne (à chargement par la bouche, fréquemment utilisé en Inde, facilement démonté et transporté par 4 ou 6 mules) et une mitrailleuse Maxim, le tout un peu à l’écart du camp principal. Les hommes de Reitz démontèrent et laissèrent leurs chevaux sur place (2). Ils se rapprochèrent de la position, exposée malgré la protection relative d’un cercle de rochers, et ouvrirent le feu blessant le lieutenant Hay-Coghlan (3) et tuant 2 servants. Un troisième, bien que blessé, parviendra à rejoindre le camp.

Lt PH.Hay Coghlan

Pendant ce temps, Bouwer déboulait dans la cour de la ferme. Une nouvelle fois, les uniformes « empruntés » aux Britanniques lui permit de s’approcher au plus près de l’ennemi avant que ce dernier ne se rende compte de sa méprise. Le garde à l’entrée abattit un des assaillants qui eurent le temps de se mettre en ligne à couvert et se mirent à ouvrir le feu sur le flanc droit britannique.

Jaap Van Deventer avait quant lui pris un chemin encore plus au sud et s’approchait de la ferme depuis cette direction.

De son côté Smuts avait pris position sur une petite hauteur à environ 730m à l’ouest d’où ses hommes purent tranquillement balayer de leurs tirs le champ de bataille.

Assaillis de toute part et sans couverture adéquate, les Lancers souffrirent terriblement malgré une résistance acharnée.

Lorsqu’une patrouille de l’escadron « A » (stationné à Hoogstede, au sud de Modderfontein) fut repérée au loin, par les hommes de Reitz, les Boers comprirent qu’ils devaient en finir vite, avant l’arrivée des renforts. Ils se ruèrent à l’assaut de la quinzaine d’hommes encore valides. Toute résistance était devenue inutile et 1 ou 2 d’entre eux jetèrent leurs armes à terre. D’autres se réfugièrent dans les tentes. Reitz abattit un officier qui tentait de fuir à cheval.

L’artillerie et l’armement collectif hors de combat, le camp principal fut rapidement débordé. Le capitaine Sandeman rallia plusieurs hommes qu’il regroupa dans un des enclos de pierres (ou kraals) de la ferme mais là encore ils se trouvèrent assaillis de toutes parts et trop peu nombreux pour maintenir le périmètre. Ils n’eurent d’autre choix que de se rendre. Certains Lancers parvinrent cependant à s’enfuir à travers l’étroit défilé menant à Thorn Grove.

Les Boers ne prirent que quelques minutes pour piller le campement. Ils firent le plein de munitions, toute la nourriture qu’ils pouvaient porter, des chevaux et des mules et à nouveau des uniformes pour remplacer leurs tenues en loques avant de brûler le reste. Ils emportèrent tous leurs blessés (ceux des combats précédents et les 6 nouveaux de la journée) et les emmenèrent à Cradock où se trouvait un hôpital de la Croix-Rouge.
Le canon de montagne fut saboté par Van Deventer (autrefois un artilleur de la Transvaal Staatsartillere).
Deux mitrailleuses Maxim furent capturées mais, trop encombrantes, rapidement abandonnées.

La patrouille « A » était trop faible pour faire plus qu’échanger quelques coups de feu avec les Boers en fuite. Les hommes firent ce qu’ils purent pour récupérer les Lancers non blessés et envoyèrent un message à Hoogstede. De là, un cavalier partit vers Tarkastad où Haig avait à disposition deux autres escadrons de Lancers. La nouvelle lui parvint à 16h30 et il parcourut les 22km le séparant de Modderfontein en 1h ¼, trop tard pour tenter une quelconque poursuite. Les blessés furent convoyés à Tarkastad.

Le 17 septembre 1901, c’est tout un escadron de la cavalerie d’élite britannique qui fut submergé par Smuts et ses hommes. Ce dernier reconnaîtra quelques années plus tard, alors l’invité de Haig lui-même, que les Lancers avaient combattu avec courage. « Avec quelle vaillance ces hommes se battirent-ils, plusieurs étant tués car ils ne savaient se rendre ».

Les trombes d’eau qui s’abattaient sur eux lorsqu’ils étaient arrivés, l’impossibilité de traverser l’Eland River en crue et la proximité de cette rivière même pour abreuver hommes et bêtes avaient convaincu les Britanniques que Modderfontein était l’endroit idéal pour bivouaquer. Cependant, le campement se trouvait être cerné de hauteurs et les Boers, fins renards pour utiliser au mieux la topographie du terrain avaient su en tirer tout l’avantage possible. De plus l’escadron « C » du 17th Lancers était largement constitué de nouvelles recrues avec peu d’expérience au feu. Sur 130 hommes, ils perdirent 29 tués et 41 blessés (4), plus qu’en aucun autre jour de leur histoire. Plus même que lors de la charge de la Brigade Légère à Balaklava en 1854 !

De leur côté les Sud-Africains avaient repris confiance en eux et leur chef. Les terribles conditions climatiques et la poursuite incessante des colonnes britanniques avaient ébranlé la foi des Boers en Smuts. Les premiers cas d’abandon (et non pas vraiment de désertion, les hommes étant déterminés à poursuivre la lutte mais ailleurs) s’étaient fait jour. Ainsi, le 8 septembre, Piet Wessels et une centaine de ses hommes s’en étaient retournés dans l’Orange Free State. Après Modderfontein, ce genre d’initiative n’était plus à l’ordre du jour.

(1) Durant la phase dite de « guérilla » du conflit, les Boers à bout de ressources en vinrent plus d’une fois à utiliser les uniformes kakis (adoptés en 1897) pris à l’ennemi pour changer les hardes qu’ils portaient. Ceci explique certainement la méprise du 2nd lieutenant Russel. A noter que pour un Boer, être pris vêtu de l’uniforme britannique signifiait le peloton d’exécution.

(2) Les chevaux boers étaient entraînés à rester où ils étaient et n’avaient pas besoin d’être attachés.

(3) Le lieutenant Hay-Coghlan décèdera de ses blessures 2 jours plus tard.

(4) Tous les officiers de l’escadron « C » furent soit blessés, soit tués.

Sources :
- R.W. Smith /Modderfontein 17 september 1901/The South African Military History Society
- Gregory Fremont-Barnes/The Boer War 1899-1902/Osprey

page précédente