Les Texas Rangers
Par Frédéric Ortolland

En 1821 Stephen Austin passe un contrat avec les autorités mexicaines pour faire venir 300 familles dans la province du Coahuila y Tejas
(Cf. Champs de bataille n°30). En 1823, 600 à 700 colons s’y sont installés, sans force régulière pour les protéger, notamment des incessants raids d’Indiens (Comanches, Tonkawas, Karankawas). Austin forme alors une compagnie de 10 puis de 20 hommes destinée à les repousser, arrêter les criminels et patrouiller la frontière contre les intrus. Ils auront plusieurs noms (Mounted Volunteers, Ranging Companies, Scouts…) avant de prendre officiellement celui de Texas Rangers en 1874. Milice, force para-militaire puis Police d’Etat, les Texas Rangers font partie des mythes fondateurs de la région. Leur histoire peut se diviser en 5 grandes périodes :


1. La création d’une tradition (1823-1836)


A cette époque les compagnies de Rangers volontaires sont formées puis dissoutes en fonction des besoins. Certaines servent pour quelques jours, d’autres pour des mois. Les compagnies d’infanterie du tout début montrent vite leur limite face aux Indiens montés.
En conséquence les Rangers, qui doivent apporter leur cheval et leur équipement, se transforment rapidement en de redoutables cavaliers. Souvent en infériorité numérique, ils prennent l’habitude d’emporter plusieurs fusils, pistolets et couteaux.
D’origine multiethnique (les premiers rôles d’engagement font état d’Anglo-Saxons, d’Hispaniques et d’Indiens, servant à tous les grades), ils sont réputés pour « chevaucher comme les Mexicains, pister comme les Indiens, tirer comme les gars du Tennessee et se battre comme le diable ».
C’est durant la guerre d’indépendance du Texas que leur organisation est un tant soit peu formalisée. Le gouvernement entérine la création d’un Corps de Rangers composé de 3 compagnies de 56 hommes commandées chacune par un captain, le tout chapeauté par un major. Chaque homme s’engage pour un an et reçoit 1,25$ par jour. Durant le conflit, en plus d’informer la Texas Army des mouvements ennemis, ils protègent les colons des Indiens et couvrent dans la mesure du possible leur retraite face à l’armée mexicaine lors de la « Grande Fuite » de 1836.


2. La défense de la frontière (1837-1865)

La fin de la guerre n’apporte pas de répit aux raids sauvages des Indiens auxquels les Rangers répondent avec une violence au moins égale. Leur réputation de dureté et de férocité commence à dépasser les frontières de l’Etat. Elle devient nationale lorsque le Texas rejoint l’Union en 1846 déclenchant officiellement la guerre larvée qui couve depuis 10 ans avec le Mexique. L’ardeur qu’ils mettent au combat lors d’actions de type « commando » ou de contre-guérilla est telle que les Mexicains les surnomment « Los diablos tejanos » (les diables texans). Après le traité du Guadalupe Hidalgo les Rangers sont mis en sommeil avant d’être réactivés pour prêter main-forte aux troupes régulières fédérales débordées, initialement destinées à protéger la frontière des Indiens et des raids mexicains par-delà le Rio Grande.
Lorsqu’éclate la guerre de sécession la plupart des Rangers partent au front dans la cavalerie, adoptant parfois, bien que de manière inappropriée, le titre de Texas Rangers (ce qui prouve la renommée qu’ils ont déjà acquise). Entre 1865 et 1873, ils sont de nouveau mis en sommeil par les officiels du Nord qui dirigent le Gouvernement de Reconstruction. La State Police, (Police d’Etat) qui les remplace est honnie de tous. Du côté de la frontière c’est le 4th Cavalry qui repousse les Indiens, en appliquant leurs méthodes.


3. Les Gardiens de la Paix (1874-1900)

En1873 le Texas est réintégré dans l’Union. En mai 1874, le Frontier Battalion (6 compagnies de 75 Texas Rangers) est formé. Il répond à un major, dépendant de l’adjutant-general (gouverneur militaire) et du gouverneur. Au fil des ans, le rôle des Rangers évolue. Ils se battent d’abord principalement contre les Indiens ou les bandidos mexicains en collaboration avec les forces fédérales avant de peu à peu se transformer en gardiens de la paix. Ils interviennent alors sur tout type de trouble à l’ordre public (guerres de clans, vols de bétail…) mais c’est lorsqu’ils arrêtent ou abattent les outlaws et autres voleurs de trains (John Wesley Harding, Sam Bass…) que leur réputation s’accroît le plus. A la fin du 19e siècle l’existence des Rangers comme l’organe indispensable au maintien de l’ordre lorsque le sheriff local est dépassé est largement établie.


4. Progrès et crise (1901-1934)


En juillet 1901 la Législature déclare que le Corps des Texas Rangers doit « protéger la frontière contre les voleurs et maraudeurs, faire respecter la loi et supprimer le crime sur tout le territoire de l’Etat ». Le Frontier Battalion est transformé en 4 Cies de 20 State Rangers qui, 15 ans plus tard, ne peuvent faire face aux débordements de la révolution mexicaine dans le sud de l’Etat. Le besoin de nouvelles compagnies est criant et plusieurs sont levées, parfois en 1 nuit (on comptera jusqu’à 1000 Rangers). Si la plupart d’entre elles respectent la Loi, d’autres ne sont guère plus que des milices locales dont l’absence de hiérarchie entraîne des abus (violations de la frontière, assassinats…) au point qu’en 1919 une enquête officielle est menée sur les évènements de 1915-1917. Elle aboutit à la réduction des Texas Rangers à 4 Cies de 17 hommes.
Les années 20 sont chaotiques. Après la Prohibition (1918) qu’il faut faire respecter, c’est le boom de l’or noir. Le développement semi-anarchique des villes pétrolières, à l’instar des villes minières du siècle précédent, nécessite de fréquentes interventions des Rangers pour maintenir l’ordre.
Au début des années 30 le gouverneur Ferguson accorde le statut de Ranger avec une libéralité inquiétante. Il remplace les anciens par ses séides, dont certains ex-détenus. Les « Ferguson Rangers » sont l’objet des moqueries de la population et des criminels qui profitent de leur incompétence et de l’avènement de l’automobile pour sillonner le Texas en toute impunité (Machine Gun Kelly, Bonnie Parker et Clyde Barrow…). En 1934 un comité d’enquête du sénat texan critique durement les méthodes d’investigation et de maintien de l’ordre de l’Etat.


5. Investigations spéciales (1935-)

Début 1935 ce même comité propose une solution au problème : la création d’une Agence d’Etat de Maintien de l’Ordre, connue sous le nom de Department of Public Safety (DPS). Les nouveaux Rangers (ceux de Ferguson sont révoqués) et la Highway Patrol (créée en 1927) sont réunis pour former une seule Police d’Etat le 1er septembre. Les Rangers sont alors au nombre de 36, en 5 Cies, et bénéficient de tous les moyens modernes nécessaires à l’accomplissement de leur fonction (communication, scientifiques, etc.). Ils perçoivent des indemnités kilométriques (mais doivent toujours fournir leur véhicule et/ou un cheval et une selle), un colt .45 et une winchester .30. Ils sont soumis à des périodes d’entraînement obligatoires et doivent désormais écrire des rapports hebdomadaires. Ils sont le plus souvent appelés dans les cas de crime majeur (major felony), paris clandestins, trafic de drogue, contrôle de la population (émeutes) et localisation de fugitifs.
En 1945, le nombre des Rangers passe à 45. Deux ans plus tard, ils sont 51. En 1949, leur QG est installé à Austin et ils achètent leur premier avion. Dans les années 60, employés à briser certaines grèves et à réprimer les manifestations d’ouvriers, ils sont violemment critiqués comme des « instruments du passé ». Le DPS décide de les réorienter avec succès en tant qu’enquêteurs criminels. De nos jours, ils en représentent l’élite. Les 134 Rangers, répartis en 7 Cies s’occupent aussi bien de vol de bétail que de grand banditisme. Les sergeants sont supervisés par des captains et lieutnants, eux-mêmes dépendants d’un Senior Captain (Chief) et Headquarters Captain (Assistant Chief).
Ils sont recrutés en interne. Il faut avoir 8 ans d’expérience dont 2 au DPS et avoir reçu au moins 60h de cours en enseignement supérieur pour espérer en faire partie. Il est désormais fourni à chaque Ranger un shotgun Remington cal.12, un fusil semi-automatique Ruger Mini-14, un gilet pare-balles et un kit d’enquête criminelle (relevé d’empreintes, moulages, etc.). Chaque Ranger peut choisir son arme de poing tant qu’il s’entraîne régulièrement avec. Les plus utilisées sont les .357 Sig Sauer et .45 Colt. Les compagnies ont accès à des fusils de sniper, des lunettes de vision nocturne, des lanceurs de grenades lacrymogènes, des masques à gaz et des lampes à lumière noire. Ils se déplacent en automobile, en avion, en hélicoptère et parfois même à cheval. Ils n’ont pas d’uniforme mais sont néanmoins censés porter leur badge et une tenue de type « western ». Le chapeau blanc, la grosse boucle de ceinture gravée et les « santiags » font partie de la tradition.

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